Le fond de carte
Il est assez curieux en ce sens qu'il présente à la fois un caractère archaïque et moderne. Un caractère archaïque par son dessin qui ne correspond pas aux proportions, que tout lecteur a bien en tête, de la France d'aujourd'hui mais semble inspiré par une carte de l'Europe telle qu'elle a pu être dans la nuit des temps. En effet quelques-uns des fleuves y sont représentés par des estuaires très volumineux, alors que d'autres, le Rhône ou la Garonne, n'y figurent même pas. Une question se pose naturellement, mais on ne sait comment y répondre : à quel siècle ce tracé est-il censé correspondre ? En principe, puisque l'essentiel concerne les voyages de Gelmirez, il devrait s'agit d'une carte de l'Europe, telle qu'elle se présentait dans les cinq premières années du douzième siècle. Mais en réalité, elle donne plutôt l'impression d'une rétro-projection fantasmatique et floue qui amalgame des données de provenances très diverses.
Un certain nombre d'indications géographiques y sont portées, en particulier des noms de provinces en français moderne, que l'on ne savait pas exister déjà sous cette forme. Ils sont de plus disposés parfois fort étrangement : les noms de l'Alsace (au lieu d'Alsatia) et de la Lorraine (au lieu de Lotharingia) sont situés sur la rive droite du long estuaire que l'on devine figurer le Rhin, alors que la rive gauche de celui-ci, jusqu'à la mer du Nord, est occupée par un vaste espace vide appelé Champagne. Vus à partir de Compostelle, les confins de l'Europe géographique se trouvent donc étrangement déformés, comme si une perspective rigoureuse de géographie historique avait été délaissée au profit d'un je ne sais quoi.
En plus forts caractères, mais en latin cette fois, sont marquées les dénominations des chemins dits habituellement de pèlerinage : Via Tolosana, Via Podiensis, Via Turonensis . La Via Lemovicensis, désignée comme toutes les autres en fonction d'une ville, y reçoit une fausse dénomination de Via Lemosina, en fonction d'une province. Ces dénominations latines sont ici anachroniques, car aucun des quatre chemins distingués par le Guide du Pèlerinage du Livre de saint Jacques ne comporte à l'origine l'une ou l'autre de ces désignations. Les chemins y sont seulement distingués par les listes des villes qu'ils traversent et ne portent donc pas de nom médiéval. Ils ont été baptisés par la science de la fin du dix-neuvième siècle, après l'édition du Guide en 1882. Ces quatre chemins ont au moins le mérite d'être eux-mêmes, à défaut de leurs noms, attestés par le Guide, tandis que la Via Francigena italienne n'y figure même pas par le biais de ses stations. Quant au Camino de Santiago, titré en rouge, il semble d'invention plus récente encore, puisque les textes anciens l'appelaient communément camino francés.
Cette cartographie des voyages de Diego Gelmirez est donc tant au point de vue de la langue que de la documentation tout autre chose qu'un document historique fiable ou qu'un schéma scientifique acceptable. C'est un amalgame d'informations d'origines et de dates différentes. Il révèle en quoi le sous-titre de l'ouvrage, L'histoire de Diego Gelmirez est fallacieux, car on n'y trouve justement pas le souci de cette discretio temporum qui est le propre de l'histoire. L'amalgame des époques n'est pas le fait de la science historique mais celui de la publicité.
Un certain nombre d'indications géographiques y sont portées, en particulier des noms de provinces en français moderne, que l'on ne savait pas exister déjà sous cette forme. Ils sont de plus disposés parfois fort étrangement : les noms de l'Alsace (au lieu d'Alsatia) et de la Lorraine (au lieu de Lotharingia) sont situés sur la rive droite du long estuaire que l'on devine figurer le Rhin, alors que la rive gauche de celui-ci, jusqu'à la mer du Nord, est occupée par un vaste espace vide appelé Champagne. Vus à partir de Compostelle, les confins de l'Europe géographique se trouvent donc étrangement déformés, comme si une perspective rigoureuse de géographie historique avait été délaissée au profit d'un je ne sais quoi.
En plus forts caractères, mais en latin cette fois, sont marquées les dénominations des chemins dits habituellement de pèlerinage : Via Tolosana, Via Podiensis, Via Turonensis . La Via Lemovicensis, désignée comme toutes les autres en fonction d'une ville, y reçoit une fausse dénomination de Via Lemosina, en fonction d'une province. Ces dénominations latines sont ici anachroniques, car aucun des quatre chemins distingués par le Guide du Pèlerinage du Livre de saint Jacques ne comporte à l'origine l'une ou l'autre de ces désignations. Les chemins y sont seulement distingués par les listes des villes qu'ils traversent et ne portent donc pas de nom médiéval. Ils ont été baptisés par la science de la fin du dix-neuvième siècle, après l'édition du Guide en 1882. Ces quatre chemins ont au moins le mérite d'être eux-mêmes, à défaut de leurs noms, attestés par le Guide, tandis que la Via Francigena italienne n'y figure même pas par le biais de ses stations. Quant au Camino de Santiago, titré en rouge, il semble d'invention plus récente encore, puisque les textes anciens l'appelaient communément camino francés.
Cette cartographie des voyages de Diego Gelmirez est donc tant au point de vue de la langue que de la documentation tout autre chose qu'un document historique fiable ou qu'un schéma scientifique acceptable. C'est un amalgame d'informations d'origines et de dates différentes. Il révèle en quoi le sous-titre de l'ouvrage, L'histoire de Diego Gelmirez est fallacieux, car on n'y trouve justement pas le souci de cette discretio temporum qui est le propre de l'histoire. L'amalgame des époques n'est pas le fait de la science historique mais celui de la publicité.
Les chemins de pèlerinage et le tracé marron
Extrait de la carte, itinéraires en France
Sur ce fond de carte, qui suscite à lui seul une certaine impression de malaise, divers chemins sont représentés en couleurs différentes que chaque observateur doit interpréter selon sa sagacité personnelle et par élimination des affectations improbables. Les tracés marron semblent marquer les chemins français et italiens de Saint-Jacques. A vrai dire le tracé de ces chemins ne concorde même pas avec celui que l'on suppute communément sur la base du Guide du Pèlerinage. Celui-ci ne connaît pas de lien entre Orléans et Paris, ni entre Tours et Paris par Les Guérets (Saint-Jacques-des-Guérets), Châteaudun et Chartres. Il ignore aussi le double embranchement entre Argenton et Vézelay, soit par Châteauroux et Bourges, soit par La Châtre, Saint-Amand et Nevers. Lorsque la carte concerne des régions méridionales évoquées expressément par le Guide ses indications ne sont pas plus conformes. On voit ainsi apparaître un tracé entre Ostabat et Moissac qui relève Aire et Condom inconnus du Guide, tout comme Saint-Sever et La Réole entre Ostabat et Périgueux, ou Pouillon entre Dax et Saint-Jean de Sorde. De toute manière, ces précisions ne constituent qu'un remplissage indifférent, car elles ne concernent certainement pas Gelmirez.
Ces chemins dits de pèlerinage, qu'étaient-ils en ce début du XIIe siècle ? On est bien en peine de le savoir, et ce d'abord pour une raison de date. La référence au Guide du Pèlerinage, dernière partie du Codex Calixtinus généralement daté de 1160 et dont Gelmirez ne peut avoir suscité l'écriture vingt ans après sa mort, ne garantit nullement leur existence un demi-siècle plus tôt. Même si l'on estime, comme il convient, qu'une version brève du Guide a pu être rédigée sans doute vers 1137, donc encore du vivant de Gelmirez, cela ne fait que déplacer le problème de quelques décennies. Surtout la manière dont on lit ce Guide comme toute autre production du même genre littéraire ne doit pas faire illusion. Contrairement à une lecture fréquente, le guide ne prescrit rien, et il faut même ajouter qu'il ne décrit rien des prétendus chemins. Il en indique seulement la possibilité en marquant les principales stations, les hauts-lieux de grâce par lesquels ils passent. Ces stations sont des occasions diverses de méditer sur la sainteté qui s'esquissent à partir des tombeaux que les pèlerins ne sauraient manquer de visiter et où ils trouveront, en plus des fêtes votives dont la date est toujours soigneusement indiquée, des sources d'émotions esthétiques qui soutiendront leur enthousiasme et leur piété. On ne doit pas s'étonner de ne pas trouver d'indications matérielles sur les chemins français (elles sont réservées à l'Espagne). L'essentiel est le culte à rendre aux reliques qui parsèment l'itinéraire, quel qu'il soit.
Ces chemins dits de pèlerinage, qu'étaient-ils en ce début du XIIe siècle ? On est bien en peine de le savoir, et ce d'abord pour une raison de date. La référence au Guide du Pèlerinage, dernière partie du Codex Calixtinus généralement daté de 1160 et dont Gelmirez ne peut avoir suscité l'écriture vingt ans après sa mort, ne garantit nullement leur existence un demi-siècle plus tôt. Même si l'on estime, comme il convient, qu'une version brève du Guide a pu être rédigée sans doute vers 1137, donc encore du vivant de Gelmirez, cela ne fait que déplacer le problème de quelques décennies. Surtout la manière dont on lit ce Guide comme toute autre production du même genre littéraire ne doit pas faire illusion. Contrairement à une lecture fréquente, le guide ne prescrit rien, et il faut même ajouter qu'il ne décrit rien des prétendus chemins. Il en indique seulement la possibilité en marquant les principales stations, les hauts-lieux de grâce par lesquels ils passent. Ces stations sont des occasions diverses de méditer sur la sainteté qui s'esquissent à partir des tombeaux que les pèlerins ne sauraient manquer de visiter et où ils trouveront, en plus des fêtes votives dont la date est toujours soigneusement indiquée, des sources d'émotions esthétiques qui soutiendront leur enthousiasme et leur piété. On ne doit pas s'étonner de ne pas trouver d'indications matérielles sur les chemins français (elles sont réservées à l'Espagne). L'essentiel est le culte à rendre aux reliques qui parsèment l'itinéraire, quel qu'il soit.
Le tracé jaune ou le premier voyage à Rome de Diego Gelmirez
Sans doute le tracé jaune représente-t-il le voyage de Gelmirez à Rome en 1100. L'Historia Compostellana qui l'évoque en une seule ligne pour dire : orationis gratia limina beati Petri adiuerat, dissimule la vérité concrète sous une formule topique, en prétendant que le prélat est allé à Rome en pèlerinage alors qu’il y est allé seulement pour recevoir un ordre mineur, le sous-diaconat, minimum requis pour recevoir ensuite, dans la foulée, l'ordre majeur qu'est l'épiscopat. Mais elle ne fournit aucune information supplémentaire. Elle n'indique pas s'il y est allé par mer ou par voie de terre, ni en combinant les deux moyens. Cela n'empêche pas la carte de dénoter, donc sans aucun fondement, un transport terrestre détaillé par une vingtaine de localités espagnoles plus une douzaine de localités françaises jusqu'à Marseille, où il est censé s'embarquer en direction de Gênes et de Pise, avant de poursuivre par Sienne, Sant Antimo Montalcino et Viterbe. Autant de précisions fallacieuses qui donnent l'illusion d'un savoir alors même que l'on ignore tout. Cette représentation imaginaire du premier voyage de Gelmirez à Rome mérite autant de créance que la navigation de saint Brendan vers les îles bienheureuses.
Aucun exemple n'est fourni permettant de penser qu’il soit allé se recueillir sur l'une ou l'autre des reliques qui honorent la Ville Eternelle. Il se rend à Rome, alors que n'importe quel autre évêque pouvait l'ordonner sous-diacre, pour bien montrer que ce qui concerne l'église de Compostelle ne peut être décidé qu'à Rome. Le pape d'alors, Pascal II, avait été légat en Espagne avant son élection au pontificat et connaissait tant la situation calamiteuse de l'Eglise de Compostelle évoquée par le chapitre précédent de l’Historia compostellana que la personnalité de l'impétrant à la fonction épiscopale. C'est bien une sorte de prédésignation à celle-ci que va signifier l'ordination relativement anodine comme sous-diacre.
Aucun exemple n'est fourni permettant de penser qu’il soit allé se recueillir sur l'une ou l'autre des reliques qui honorent la Ville Eternelle. Il se rend à Rome, alors que n'importe quel autre évêque pouvait l'ordonner sous-diacre, pour bien montrer que ce qui concerne l'église de Compostelle ne peut être décidé qu'à Rome. Le pape d'alors, Pascal II, avait été légat en Espagne avant son élection au pontificat et connaissait tant la situation calamiteuse de l'Eglise de Compostelle évoquée par le chapitre précédent de l’Historia compostellana que la personnalité de l'impétrant à la fonction épiscopale. C'est bien une sorte de prédésignation à celle-ci que va signifier l'ordination relativement anodine comme sous-diacre.
Le tracé bleu ou le second voyage à Rome de Diego Gelmirez
Un chemin bleu qui va de Compostelle à Rome semble se rapporter au second voyage qu'accomplit Diego Gelmirez en 1105. L'Historia Compostellana nous renseigne ici beaucoup mieux que précédemment. Elle rapporte, à juste titre, que Gelmirez est allé à Rome pour y recevoir le pallium, symbole de la brebis perdue que le Bon Pasteur porte sur ses épaules et marque de la plus haute dignité. Le roi de Castille Alphonse VI avait déconseillé ce voyage, craignant que Pierre Ier d'Aragon, qui hébergeait Diego Pelaez évincé du siège de Compostelle, ne fasse des difficultés en cours de route. Le prélat choisit donc un itinéraire évitant l’Aragon. A partir de Burgos, son confrère, l'ordinaire du lieu, le fait passer en France sous bonne escorte pour éviter que l'on ne s'empare de sa personne : « Entouré de nombreuses gens idoines, tant clercs que militaires, il traversa les Pyrénées et parvint en Gascogne ad honores saluitatum nostre ecclesie ». Entendons par là que Gelmirez va réclamer leur redevance aux sauvetés que possède l’église de Compostelle en Gascogne.
Cette préoccupation économique est confirmée par un témoignage extérieur selon lequel en cette même année 1105, le Français Hugo, cardinal de Compostelle donne à l'abbé clunisien de Lézat-sur-Lèze la sauveté de Saint-Jacques, située entre Saint-Julien et Salles-sur-Garonne, au nord de Cazères. La donation précise que, « si un légat ou le vicaire de Saint-Jacques vient dans ce domaine, qu'il soit accueilli avec honneur et servi par les habitants du lieu ; c'est la volonté de l'évêque de Compostelle que je visite cette sauveté et d'autres afin de mieux les connaitre et d'en prendre soin au profit de l'église de Saint-Jacques » (Dom Vaissette, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, 1874, III, 567-568, V col. 793 et 1763; BnF. ms. lat.9189, fol.44). L'honneur ou les honneurs c'est bien ici, comme dans l'Historia Compostellana l'usufruit dû au seigneur.
Selon les dires de celle-ci, il passe par Auch où il est accueilli par l’évêque, le jour de la Nativité de la Vierge, puis par Toulouse, puis par le monastère Saint-Pierre de Moissac, la ville de Cahors, le monastère Saint-Pierre d'Uzerche, Limoges (où il reçoit de Saint-Martial des biens situés à Chambon-sur-Voueize et à Saint-Léonard-de-Noblat, sans qu'il soit dit s'y rendre), Cluny, la vallée de la Maurienne, Suse, enfin Rome. L'Historia Compostellana ne précise nullement le trajet que suit Gelmirez entre Burgos et Auch. Cependant la carte fait figurer sur la ligne bleue les localités de Roncevaux, Ostabat, Oloron-Sainte-Marie et Pau, qui relèvent de la pure conjecture. D'autre part, entre Suse et Rome, la carte relève dix stations sur lesquelles l'Historia Compostellana garde le silence le plus complet.
Une constatation s'impose : le seul toponyme commun au récit du second voyage de Gelmirez, tel que le rapporte l'Historia Compostellana et aux stations de piété mentionnées par le Guide du Pèlerinage est celui de Toulouse. (et à la rigueur celui de Saint-Léonard-de-Noblat). C'est vraiment un point de contact que l'on pourrait dire asymptotique avec les chemins de pèlerins. Sur la base de cette constatation, on conclurait beaucoup plus justement que Gelmirez a délibérément évité les chemins des pèlerins de saint Jacques, si tant est que ces chemins aient existé. L'Historia Compostellana montre très bien que toute préoccupation de pèlerinage est loin de sa pensée. A aucun moment, elle ne mentionne une rencontre avec des pèlerins de saint Jacques ni l'existence d'étapes sur les chemins de pèlerinage. Deux choses seulement lui importent : d'une part la perception des impôts que Compostelle prélève sur ses sauvetés, d'autre part les attentions honorifiques que lui témoignent les évêques et abbés des lieux où il passe. A chaque station, le texte précise qu'il est reçu en grande pompe et avec des égards qui n'en finissent pas.
Cette préoccupation économique est confirmée par un témoignage extérieur selon lequel en cette même année 1105, le Français Hugo, cardinal de Compostelle donne à l'abbé clunisien de Lézat-sur-Lèze la sauveté de Saint-Jacques, située entre Saint-Julien et Salles-sur-Garonne, au nord de Cazères. La donation précise que, « si un légat ou le vicaire de Saint-Jacques vient dans ce domaine, qu'il soit accueilli avec honneur et servi par les habitants du lieu ; c'est la volonté de l'évêque de Compostelle que je visite cette sauveté et d'autres afin de mieux les connaitre et d'en prendre soin au profit de l'église de Saint-Jacques » (Dom Vaissette, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, 1874, III, 567-568, V col. 793 et 1763; BnF. ms. lat.9189, fol.44). L'honneur ou les honneurs c'est bien ici, comme dans l'Historia Compostellana l'usufruit dû au seigneur.
Selon les dires de celle-ci, il passe par Auch où il est accueilli par l’évêque, le jour de la Nativité de la Vierge, puis par Toulouse, puis par le monastère Saint-Pierre de Moissac, la ville de Cahors, le monastère Saint-Pierre d'Uzerche, Limoges (où il reçoit de Saint-Martial des biens situés à Chambon-sur-Voueize et à Saint-Léonard-de-Noblat, sans qu'il soit dit s'y rendre), Cluny, la vallée de la Maurienne, Suse, enfin Rome. L'Historia Compostellana ne précise nullement le trajet que suit Gelmirez entre Burgos et Auch. Cependant la carte fait figurer sur la ligne bleue les localités de Roncevaux, Ostabat, Oloron-Sainte-Marie et Pau, qui relèvent de la pure conjecture. D'autre part, entre Suse et Rome, la carte relève dix stations sur lesquelles l'Historia Compostellana garde le silence le plus complet.
Une constatation s'impose : le seul toponyme commun au récit du second voyage de Gelmirez, tel que le rapporte l'Historia Compostellana et aux stations de piété mentionnées par le Guide du Pèlerinage est celui de Toulouse. (et à la rigueur celui de Saint-Léonard-de-Noblat). C'est vraiment un point de contact que l'on pourrait dire asymptotique avec les chemins de pèlerins. Sur la base de cette constatation, on conclurait beaucoup plus justement que Gelmirez a délibérément évité les chemins des pèlerins de saint Jacques, si tant est que ces chemins aient existé. L'Historia Compostellana montre très bien que toute préoccupation de pèlerinage est loin de sa pensée. A aucun moment, elle ne mentionne une rencontre avec des pèlerins de saint Jacques ni l'existence d'étapes sur les chemins de pèlerinage. Deux choses seulement lui importent : d'une part la perception des impôts que Compostelle prélève sur ses sauvetés, d'autre part les attentions honorifiques que lui témoignent les évêques et abbés des lieux où il passe. A chaque station, le texte précise qu'il est reçu en grande pompe et avec des égards qui n'en finissent pas.
Le tracé rouge ou le voyage de Gelmirez à Braga
En une sorte d'appendice, un tracé rouge consigne le déplacement, qui précède immédiatement le second voyage à Rome, fait à Braga, où il s'est intéressé de près aux reliques de saint Fructueux, de saint Silvestre, de saint Cucfat et de sainte Suzanne. Etant donné les conséquences délictueuses de cette entreprise, puisque au mépris du commandement “Tu ne voleras point”, il n'a pas résisté à la tentation d'y dérober les reliques détenues par l'archevêque dont il était le suffragant, on hésitera naturellement à parler ici de pèlerinage. Il est vrai toutefois, comme le rappelle opportunément l'article consacré dans ce volume à ce que l'on appelle par euphémisme le « pieux larcin » de Gelmirez, que le prélat conféra à Gérald de Braga, l'archevêque qu'il avait dépouillé, la dignité de chanoine de Compostelle, ce qui prouve au moins que dans sa grandeur d'âme, il n'avait pas de rancune envers ses victimes. Comme le remarque, avec un sourire en coin, la seule contribution du volume émanant de l'archevêché de Compostelle, « saint Gérald de Braga est le seul saint canonisé du chapitre de Saint-Jacques dans toute son histoire » (p. 165).
Diego Gelmirez pèlerin comme Charlemagne
L'insistance avec laquelle l'ouvrage applique à Diego Gelmirez la qualification de pèlerin invite à s'interroger sur le bien-fondé de cette désignation. Il s'est rendu deux fois à Rome pour des raisons administratives et politiques impérieuses qui tenaient à sa propre promotion, la première fois au grade de sous-diacre, la seconde fois à celui de détenteur du pallium. Ce sont des voyages d'affaires qu'il est tout à fait déplacé de ranger dans la catégorie des pèlerinages.
L'attribution à Diego Gelmirez du statut de pèlerin, dont il n'a nul besoin, montre bien de quelle confusion dans les esprits s'accompagne le discours compostellan. Les notions et les textes n'y servent plus qu'à une apologétique publicitaire qui ne recule devant aucun sacrifice de la pensée. Depuis sa traduction en 1938, le Guide du Pèlerinage a tourné la tête à plus d'un esprit prompt, en incitant à voir partout des chemins de Saint-Jacques et dans tout usager de ceux-ci un pèlerin. Le mal n'est pas récent, mais il sévit toujours.
C'est ainsi que dans l'interview récente donnée par une responsable dite à tort scientifique, on peut entendre que Gelmirez, évidemment auteur à titre posthume autant que miraculeux du Codex Calixtinus composé vingt ans après sa mort, aurait « mis sur la géographie les voyages attribués à Charlemagne, ce que nous connaissons sous le nom de Guide du Pèlerin à Saint-Jacques de Compostelle». Indépendamment du français plus que douteux, la baliverne est flagrante, puisque le nom de Charlemagne n'apparaît dans le Guide qu'à propos de Roncevaux d'où il peut difficilement être absent, pour expliquer qu'au col d'Ibañeta on trouve une Croix de Charles et un Val Carlos et quant aux sépultures des preux qui y sont morts. Elle est surtout symptomatique d'un délitement de la connaissance et de la moralité pédagogique. Nul n'est besoin désormais de vérifier avant de parler, même s'il suffit d'ouvrir un livre qu'on trouve partout.
On ne peut que constater avec affliction l'incapacité des chercheurs en pèlerinage à respecter les distinctions conceptuelles les plus nécessaires, à mettre chaque chose à sa place, bref à respecter une logique élémentaire dont les titres scientifiques ne dispensent personne. Dès qu'il est question de chemins, voilà leur meute prête à battre la campagne en tous sens. Épidémie ou pandémie, le symptôme principal est la répétition compulsive du credo : « Tout le monde il est pèlerin ! ».
L'attribution à Diego Gelmirez du statut de pèlerin, dont il n'a nul besoin, montre bien de quelle confusion dans les esprits s'accompagne le discours compostellan. Les notions et les textes n'y servent plus qu'à une apologétique publicitaire qui ne recule devant aucun sacrifice de la pensée. Depuis sa traduction en 1938, le Guide du Pèlerinage a tourné la tête à plus d'un esprit prompt, en incitant à voir partout des chemins de Saint-Jacques et dans tout usager de ceux-ci un pèlerin. Le mal n'est pas récent, mais il sévit toujours.
C'est ainsi que dans l'interview récente donnée par une responsable dite à tort scientifique, on peut entendre que Gelmirez, évidemment auteur à titre posthume autant que miraculeux du Codex Calixtinus composé vingt ans après sa mort, aurait « mis sur la géographie les voyages attribués à Charlemagne, ce que nous connaissons sous le nom de Guide du Pèlerin à Saint-Jacques de Compostelle». Indépendamment du français plus que douteux, la baliverne est flagrante, puisque le nom de Charlemagne n'apparaît dans le Guide qu'à propos de Roncevaux d'où il peut difficilement être absent, pour expliquer qu'au col d'Ibañeta on trouve une Croix de Charles et un Val Carlos et quant aux sépultures des preux qui y sont morts. Elle est surtout symptomatique d'un délitement de la connaissance et de la moralité pédagogique. Nul n'est besoin désormais de vérifier avant de parler, même s'il suffit d'ouvrir un livre qu'on trouve partout.
On ne peut que constater avec affliction l'incapacité des chercheurs en pèlerinage à respecter les distinctions conceptuelles les plus nécessaires, à mettre chaque chose à sa place, bref à respecter une logique élémentaire dont les titres scientifiques ne dispensent personne. Dès qu'il est question de chemins, voilà leur meute prête à battre la campagne en tous sens. Épidémie ou pandémie, le symptôme principal est la répétition compulsive du credo : « Tout le monde il est pèlerin ! ».