Institut recherche jacquaire (IRJ)

Dante, saint Jacques et les pèlerins


Rédigé par Louis Mollaret le 17 Juillet 2009 modifié le 28 Juillet 2009
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Dante a évoqué saint Jacques et les pèlerins dans ses oeuvres. Quelle place ont-ils tenue dans sa pensée et son inspiration ? Quel sens donner à ces quelques références. La question est ouverte.



Dans Vita Nuova, Dante, après avoir croisé des pèlerins allant à Rome, sans oser leur parler de Béatrice, en donne une définition. Sortie de son contexte, une phrase du passage qu'il leur consacre  est souvent utilisée pour montrer la prééminence de Compostelle. Dante en effet a écrit : "Au sens étroit on n’entend par pèlerin que celui qui va vers la maison de saint Jacques ou en revient ". En dehors de toute analyse de la pensée de Dante sur ce sujet beaucoup y voient aujourd'hui une preuve de l'importance de Compostelle.

A quelques reprises dans ses oeuvres Dante a évoqué saint Jacques et les pèlerins. En quoi la figure de saint Jacques le Majeur et l'Epître de Jacques qui à son époque lui était encore attribuée ont-elles pu inspirer le poète ? A quelles autres influences les rattacher ?
Dans son exil, il s'est identifié au pèlerin qui reste à jamais un étranger mais qui est porteur d'espoir. Espérance pèlerine que saint Jacques lui-même semble reconnaître quand il interroge le poète : « Et vif gré te saurai si tu me contes le bien que te promet ton espérance ».

Les extraits ci-dessous montrent les principaux passages de l'oeuvre de Dante dans lesquels le poète évoque saint Jacques ou les pèlerins. Que peuvent-ils apprendre sur le pèlerinage médiéval et Saint-Jacques de Galice ?



Mentions de saint Jacques dans les oeuvres de Dante

- Il est celui qui assiste à la Transfiguration (Banquet, II, I, 5 et Monarchie, III, IX, 11)
- Il est le saint de l’Epître :
« Ce pourquoi saint Jacques apôtre dit en son Epitre : Voici que l’homme des champs attend le précieux fruit de la terre, endurant patiemment jusqu’au jour où il recevra le saisonnier et le tardif » (Banquet, IV, II, 10)

Dante explique que la « divine semence » ne tombe pas sur telle ou telle personne en tenant compte de la noblesse de son lignage, mais sur des personnes « qui font une noble lignée ». Il s’agit bien, dit-il, d’un « divin don selon la parole de l’Apôtre : toute bonne chose baillée et tout don parfait vient d’en haut, descendant du Père des astres ».
- Il est le saint du « chemin » :
« Le ciel étoilé nous montre la Galaxie, c’est-à-dire ce cercle blanc que le vulgaire appelle Chemin de saint Jacques » (Banquet, II, XIV, 1)
- Il apparaît à Dante lors de son arrivée au Paradis (chant XXV, 17-18), signalé par Béatrice qui s’écrie :
« Mire, mire ! ici vois le baron pour qui là-bas on visite Galice »

- Il parle aux arrivants (82-85)
« L’amour dont brûle encore Mon cœur pour la vertu qui me suivit Jusqu’à la palme, au sortir du champ clos Veut que je te reparle, à toi qui l’aimes »

Etonnant, c’est lui qui interroge Dante sur l’espérance (86-87)
« Et vif gré te saurai si tu me contes
Le bien que te promet ton espérance »


Mentions de pèlerins dans les oeuvres de Dante

Dans la Viata nuova (XL) où il célèbre sa passion pour Béatrice Portinari (1292-1294) le poète voit passer à Florence, peu avant la semaine sainte, un groupe de pèlerins qui se rendaient à Rome pour voir le linge blanc avec lequel fut essuyé le visage du Christ et portant les traits du Sauveur. Béatrice est absente, le poète pense que la ville entière se désole, il voudrait même que les pèlerins la cherchent et, ne la trouvant pas, la pleurent !
« Et ces pèlerins allaient, selon qu’il me parut, moult pensifs. Adonc, pensant à eux, je dis en moi-même : ces pèlerins me semblent de lointain pays, et je ne cuide point qu’ils aient même ouï parler de cette dame, et rien ne savent d’elle. Ainçois leurs pensées vont à autres choses que celles d’ici, car ils pensent, qui sait, à leurs amis lointains, que nous-mêmes ne connaissons pas »
.
Aucune méfiance envers eux. Il a envie de retenir ces étrangers, de leur parler de Béatrice et du vide de l’absence, mais ils lui semblent perdus dans des pensées qui lui sont trop inconnues pour qu’il ose les aborder.
« Je disais en moi-même : je sais que s’ils étaient d’un pays proche, à quelque semblant nous les verrions troublés, passant parmi la douloureuse cité ».

Une grande pudeur, une timidité aussi l’empêchent de leur adresser la parole. Le poète pense :
« Si je les pouvais retenir un petit, je finirais bien par les faire pleurer avant qu’ils sortissent de cette ville »…
 
Les pèlerins passent, sans avoir rien deviné. Le poète transforme le contact non noué en un poème :
« Ô pèlerins qui cheminez pensifs Qui sait ? De choses à vos vœux non prochaine Venez-vous d’une gent si reculée Comme le donne à voir votre semblance, Que vous ne pleurez mie, en trespassant Tout par le milieu de la cité dolente A guise de songeurs qui n’ont figure De prendre garde à son accablement ? Si vous restiez pour le vouloir ouïr, Certes le cœur, nid des soupirs, me jure Que vous en sortiriez bientôt en larmes. Oyez, elle a perdu sa Béatrice : Et d’icelle un mot seul qu’on puisse dire A la vertu de faire les gens pleurer ».

Dante profite de cette rencontre pour définir le pèlerin. Cette définition fut maintes fois reprise, mais toujours tronquée, ce qui la transforme totalement :
« Et je dis pèlerins selon la signifiance large de ce mot. Car on peut entendre pèlerins en deux manières, une large et une étroite. Au sens large, on nomme pèlerin quiconque est hors de sa patrie. Au sens étroit on n’entend par pèlerin que celui qui va vers la maison de saint Jacques ou en revient ».

Toutes les citations s’en tiennent à cette dernière phrase, voulant montrer que le pèlerinage à Compostelle est l’essence même du pèlerinage religieux. Mais Dante éprouve le besoin de définir ce mot, ce qui prouve à quel point il n’est pas clair dans sa pensée et dans son entourage :
« A ce propos il faut savoir qu’il y a trois façons de nommer les gens qui vont au service du Très-Haut : On les appelle paulmiers en tant qu’ils vont Outre-Mer, d’où maintes fois ils rapportent la palme. On les appelle pèlerins en tant qu’ils vont à la maison de Galice, pour ce que la sépulture de saint Jacques fut plus lointaine de sa patrie que celle d’aucun autre apôtre ».

La pensée du poète s’obscurcit encore car, s’il définit comme « romieux » ceux qui vont prier à Rome, il termine contre toute logique en donnant une précision troublante :
« là où ceux que je nomme pèlerins se rendaient ».

Le poète, chassé de Florence pour raison politique en 1302, habite successivement Vérone, Paris, Lucques, Padoue etc… puis Ravenne où il meurt en 1321. Le Banquet est la première des œuvres qu’il compose en exil.
Il est maintenant « pèlerin » au sens large qu’il lui donnait (I, III, 4) :
« Depuis qu’il plut aux citoyens de Florence de me jeter hors de son doux sein … par toutes les régions, peu s’en faut, auxquelles s’étend cette langue, pèlerin, presque mendiant, je suis allé contre mon gré » …

Dans Banquet (IV, XII, 15), il donne au pèlerinage un sens symbolique
« Et comme le pèlerin qui va par une voie par où il n’a jamais été, en sorte que toute maison qu’il voit de loin, il cuide que ce soit l’auberge, et trouvant que cela n’est point, adresse sa croyance à la suivante, et ainsi de maison en maison, jusqu’à ce qu’il arrive à l’auberge. De même notre âme incontinent qu’elle est entrée dans le chemin nouveau de cette vie, par où elle n’est jamais passée, adresse ses yeux au souverain bien. Et de la sorte tout ce qu’elle voit qui semble avoir en soi quelque bien, elle cuide que ce soit lui ».


Dans la Divine Comédie (Enfer, Purgatoire, Paradis), il raconte une vision qu’il eut pendant la semaine Sainte de 1300, avant son exil : guidé par Virgile, il traverse les 9 cercles de l’Enfer, fait l’ascension du sommet du Purgatoire où il rencontre Béatrice qui le conduit au Paradis.
Dans le Purgatoire (chant II, 59-63) Dante et Virgile rencontrent l’ange accompagné de 100 âmes. L’ange les interpelle : 
« Si vous savez la route, enseignez-nous comme aller contre mont. Sans doute cuidez-vous, répond Virgile, que nous ayons de ces lieux accointance. Mais, comme vous, nous sommes pèlerins ».

Dans le même Purgatoire (chant VIII, 1-6) sonne l’Angélus du soir. Dante chante la mélancolie du pèlerin et regrets de ceux qu’il a laissés.
« L’heure venait qui plie à lent désir Les navigants, et leur cœur s’attendrit Du jour qu’ils ont douce amitié laissée. Alors, les sons d’une cloche lointaine Blessent d’amour le pèlerin nouvel Comme pleurant la clarté qui se meurt »

Dans le chant XXIII (16-21), il reprend le thème des « pèlerins pensifs » qui sont alors les âmes du Purgatoire qu’il rencontre :
« Si comme font les pèlerins pensifs rejoignant par chemin gent inconnue Qui jettent l’œil vers elle et point ne s’arrêtent, Ainsi derrière nous … s’avançaient âmes à flots, dévotement taisantes ».

Enfin, dans chant XXVI (109-112), il décrit le bonheur du pèlerin voyant naître le jour, au moment où il approche du but
« Déjà devant l’esplendissante aurore
Aux pèlerins tant plus douce à voir naître
Quand plus et plus près du but ils hostellent,
De toutes parts s’enfuyaient les ténèbres ».
C’est enfin le Paradis (chant I, 49-55 et XXXI, 43-46)
« Et comme un second rai sort du premier Rejaillissant vers le haut à la guise Du pèlerin qui se met au retour, Son geste … tira mon geste : Au soleil je fichai mes yeux »


« Comme un pèlerin qui se console Quand il regarde au temple de son vœu Espérant jà compter comme il est fait »