Un pèlerinage espagnol devenu européen
Article de mai 2009
Qu'est-ce que Compostelle ?
Compostelle est le sanctuaire où l'Espagne vénère son patron saint Jacques. Son existence est liée à l'histoire de l'Espagne. Il a été connu en Europe par la légende de Charlemagne. Les premiers documents connus à son sujet datent du XIe siècle et font remonter son histoire au IXe siècle. Au début du XIIe siècle, Diego Gelmirez, évêque de Compostelle et Guy de Bourgogne,le futur pape Callixte II, les parrains du jeune roi Alphonse VII, prennent la défense de son trône et font rassembler des documents à la gloire de Compostelle. Ils lui créent une histoire prestigieuse dans le but de l'imposer dans l'Eglise et en Europe. La possession du tombeau de Jacques premier apôtre martyr est un atout majeur. Alphonse VII se veut successeur de Charlemagne et convoite la grande Aquitaine dont les princes sont invités à son couronnement. Le parallèle est frappant entre la Chronique d'Alphonse VII et le dernier Livre du Codex calixtinus.
Un pèlerinage espagnol
Patron de l'Espagne, saint Jacques est aussi son libérateur du joug sarrasin. Il fut présent dans le ciel de nombreuses batailles depuis celle de Clavijo en 844 jusqu'au jour de 1492 où son étendard flotta sur Grenade libérée. Chaque année les villes libérées grâce à lui devaient remettre à Compostelle une participation financière, le voto de Santiago. C'est ainsi que saint Jacques prit en Espagne la figure particulière du Matamore, inconnue dans le reste de l'Europe. Vers 1119, le Pseudo-Turpin appelle la noblesse européenne à Compostelle, derrière Charlemagne dans une nouvelle croisade. En 1135, Alphonse VII de Castille se veut l’égal de Charlemagne : « Suivant les faits de Charles, il est semblable à lui. Ils furent égaux par la race, identiques par la force des armes ». La chevalerie européenne répondra à cet appel, sans doute moins nombreuse qu'il n'a été dit. Certains de ces chevaliers partis guerroyer dans le sud firent sans doute un détour par Compostelle, tout en restant très minoritaires. Lors du Pas d’Armes tenu par le chevalier castillan Suero de Quinones entre les 10 juillet et 9 août de l’année jubilaire 1434 sur le pont d’Orbigo, sur les 68 adversaires étant « nobles pèlerins de Compostelle », seuls 4 venaient de l’extérieur de la Péninsule ibérique. Après la reconquête les souverains castillans durent faire appel à l'immigration pour repeupler les régions libérées. Des villes et zones franches furent créées, accueillant des hommes et des femmes du nord des Pyrénées et de plus loin en Europe. Ce mouvement de population suivit la seule route possible qui devint le camino francés, chemin des Francs.
Partout des cultes à saint Jacques
En dehors de l'Espagne saint Jacques fut longtemps vénéré comme rédacteur de l'Epître de Jacques. La dévotion populaire faisait l'amalgame entre ce disciple proche du Christ, connu pour son tempérament fougueux, auréolé de la palme du martyr et le rédacteur de cette Epître avec ses exhortations aux oeuvres charitables et surtout sa recommandation de l'onction aux malades qui fut le sacrement de Monseigneur Saint-Jacques avant de devenir le sacrement de l'extrême onction (aujoud'hui sacrement des malades). Il y avait un corps de saint Jacques à Toulouse, un à Angers, un autre était vénéré à Echirolles près de Grenoble. Les reliques étaient nombreuses, beaucoup provenant de généreuses distributions faites par Charlemagne, certaines données par Compostelle elle-même. Et ces reliques faisaient du sanctuaire qui les possédait un lieu de pèlerinage. Ce fut ainsi le cas de Saint-Jacques de la Boucherie à Paris où le roi Charles VII lui même vint en pèlerinage. Nombreux étaient donc les pèlerins de saint Jacques en France et en Europe. Ils allaient au plus près de chez eux, pas à Compostelle. Mais Compostelle était connue, quelques personnalités s'y rendaient ainsi que des gens du peuple ou des marchands. Peu nombreux ils faisaient rêver les autres ...
Le XIXe siècle découvre les chemins
En 1882 est édité à Paris le dernier Livre du Codex Calixtinus. Ce Livre parle des chemins de Compostelle. Alphonse VII est oublié depuis longtemps mais l'image du pèlerin médiéval a été renforcée par les difficultés que l'Eglise affronte dans un monde qui commence à réfléchir par lui-même et se déchristianise. Sans aucune étude, des intellectuels s'emparent de cette édition et la transforment en un guide des pèlerins. Les chemins de Compostelle prennent une dimension nouvelle, ils deviennent vecteur d'échanges culturels et sources d'inspiration artistique. Cette interprétation sera renforcée lorsqu'en 1938 une traduction française de cette édition paraîtra sous le titre Guide du pèlerin. En Espagne saint Jacques libérateur est enrôlé par Franco le galicien dans la lutte contre un nouvel ennemi le matérialisme marxiste et les Républicains. Pendant les années de guerre, les liens se resserrent entre les Eglises de France et d'Espagne dans leur lutte commune contre l'athéisme. Compostelle est inaccessible aux grands pèlerinages mais l'ambassadeur de France à Madrid s'y rend néanmoins en 1943, porteur d'un ciboire (appelé à tort calice) offert par le Maréchal Pétain en souvenir de la visite qu'il y avait faite en 1939 alors qu'il était ambassadeur.
Le XXe siècle impose le "tout Compostelle"
En 1950, un groupe d'intellectuels catholiques français, la plupart liés à l'Espagne, créent à Paris la Société des amis de saint Jacques. Elle a pour objectif l'étude et la promotion du pèlerinage à Compostelle. Pour ses animateurs aucun culte à saint Jacques n'a de valeur en dehors de celui rendu à Compostelle. Tout sanctuaire, hôpital, lieu-dit ou chemin dont le nom est Saint-Jacques ne peut qu'être en relation avec le sanctuaire galicien. Les liens avec l'Espagne sont renforcés. C'est ainsi qu'en 1965, la Société fait offrir par l'Espagne une plaque commémorant les "millions de pèlerins qui se sont rassemblés à Paris à la tour Saint-Jacques". Aucun historien n'en a jamais trouvé trace mais qu'importe. Les foules pèlerines symboliques trouvent là par la faute de quelques intellectuels français une matérialité qu'elles n'auraient jamais du avoir. Le mouvement est lancé en France, la Société essaime dans les autres pays européens dont les cultes locaux à saint Jacques sont eux aussi rattachés à Compostelle. Encouragées par tant de soutiens les autorités espagnoles demandent en 1982 une reconnaissance officielle des chemins de Compostelle par le Conseil de l'Europe. En 1984 ce dernier reconnait le caractère exemplaire de Compostelle mais recommande une action en faveur de "tous les itinéraires de pèlerinage". Mais le lobbying de l'Espagne et de ses amis pèsera finalement plus que la réalité historique. En 1987, les chemins de Compostelle deviennent le premier itinéraire Culturel Européen. Les vannes sont ouvertes à toutes les exagérations, l'UNESCO s'y engouffre, enrichissant le Patrimoine Mondial de centaines de monuments et de kilomètres de chemins dont l'existence serait due au vaste mouvement pèlerin vers Compostelle. Rien ne semble plus pouvoir endiguer le flot d'inepties que ces décisions ont libéré.