Institut recherche jacquaire (IRJ)

Béranger de Landore, un Français archevêque de Compostelle (1317-1330)

Une personnalité qui mérite d'être comparée à celle de Gelmirez


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 26 Juin 2010 modifié le 27 Juin 2010
Lu 13275 fois

Béranger de Landore, à 56 ans, est nommé archevêque par le pape Jean XXII qui l'a jugé seul capable de résoudre les conflits civils et religieux qui agitaient la Castille avec un relief singulier en Galice, incapable de proposer un candidat au siège épiscopal vacant depuis novembre 1316. Il fut nommé en raison de ses qualités de fin négociateur, en particulier dans les conflits franco-flamands.
Cette page a été réalisée à l'occasion de l'inauguration d'une place Béranger de Landore à Salmiech.



De Salmiech à Compostelle, un parcours remarquable

Salmiech l'escalier du donjon, symbole de l'ascension de l'enfant du pays
Salmiech l'escalier du donjon, symbole de l'ascension de l'enfant du pays
Béranger de Landore est né en 1262 au château de Salmiech* dans une famille appartenant à une branche des comtes de Rodez. Il entre chez les Dominicains de Rodez en 1282, étudie à Paris, devient Provincial de Toulouse puis en 1312 maître général de l’ordre des frères Prêcheurs. Il devient très vite un précieux auxiliaire de Clément V **, premier pape d’Avignon,  puis de Jean XXII*** qui lui confient des missions diplomatiques importantes. Par une Bulle du 15 juillet 1317, Jean XXII le nomme archevêque de Compostelle. Béranger reçoit l’onction épiscopale le 30 avril 1318, le dimanche d’après Pâques, à Avignon en présence du pape. Béranger de Landore est un personnage particulièrement en vue en France au moment de cette nomination.

* Aveyron, ar. Rodez, cant. Cassagne-Bégonhès
** Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, pape de 1305 à sa mort en 1314
** *Jacques d’Euze, famille de la riche bourgeoisie de Cahors, élu pape à 72 ans, pape d’Avignon de 1316 à sa mort en 1334

La consécration du choeur de l'église de Rabastens

Le choeur de l'église de Rabastens
Le choeur de l'église de Rabastens
Avant sa prise de fonction, le 29 juin 1318 à Rabastens (35 km au NE de Toulouse) il bénit le nouveau chœur de l’église du prieuré Notre-Dame consacré à saint Jacques, ainsi qu’en témoigne l’inscription peinte à cette occasion :
B. Dalern pauzec aquesta clau. Ano Domini M.CCC.XVIII. Le archiavesque de Sant-Jacme senhec aquesta clau, le jor de Sant Peyre
(B. Dalern posa ceste clef. L’an du Seigneur 1318. L’archevesque de Saint-Jacques benit ceste clef le jour de Saint-Pierre)

Cette église avait reçu un décor peint vers 1260, dont un saint Jacques grandeur nature, nimbé, vêtu d'un ample manteau rouge, le bâton de pèlerin à la main, l'escarcelle en bandoulière, et la tête coiffée d'un chapeau triangulaire. Les spécialistes pensent que c’est peut-être Béranger qui, lors de son passage, commanda la décoration de la deuxième chapelle nord du chœur, laquelle est entièrement décorée de la légende espagnole de saint Jacques : conversion d'Hermogène, apparition de la Vierge sur le pilier de Saragosse, prédication du saint, décollation, transport en Galice, écroulement des ponts, apparition du saint à Clavijo. Est-ce lui qui dota l’église d’une relique de la tête de saint Jacques dont il est fait mention dans un catalogue en 1605 : Reliquiae de capite sancti Jacobi, fratris Joannis evangelistae, et de ossibus ipsius, conservée dans un buste reliquaire en argent pesant près de 4 kg. à l'église du prieuré Notre-Dame-du-Bourg ?

La lutte pour la conquête du siège galicien

Béranger arrive en Galice seize mois après sa nomination, le 12 novembre 1318. Il fut reçu à Mellid par l’infant Felipe mais l’entrée dans Compostelle lui fut interdite car les habitants de la ville (soutenus par l’infant Felipe !) voulaient un autre archevêque.  A partir de ce moment sa vie est connue par les Hechos de Don Berenguel de Landoria arzobispo de Santiago, vraisemblablement rédigés vers 1322 par l’un des amis français dont il s’est entouré, Bernard Carrier, Hugues de Vezins, Jean Fabre ou Bernard Rossinhol, à moins que ce ne soit Aymerico de Anteiaco, trésorier de la cathédrale.

Bérenger se réfugia à trois kilomètres, au château de La Rocha, où il demeura un mois en liberté surveillée. Il passa Noël et l’Epiphanie à Padron, puis la Chandeleur à Pontevedra, il présida l’office en présence du roi de Portugal, Denis le Libéral. Pendant ce temps, à Compostelle, les insurgés incendient le palais de l’archevêque. Furieux, Bérenger de Landore les menace d’excommunication et de les priver de revenus jusqu’à la troisième génération. Dans l’été 1319, la ville semble se rendre… Mais c’est une ruse de guerre ! Confiant, Bérenger pénètre solennellement dans sa cathédrale, à cheval. Ses ennemis ferment les portes et lui annoncent que lui et ses gens y mourront de faim. Au bout de quelques jours, les assiégés sont obligés de manger quelques-uns de leurs chevaux. Après treize jours, ils s’enfuient et se réfugient à Noïa où Béranger réunit un synode. Il prononce de nouvelles peines contre les rebelles, valables cette fois-ci jusqu’à la quatrième génération.

A la fin de 1319, alors que ses soldats ont dressé leur camp sur le mont Almaciga (au NE de Compostelle), Béranger passe la nuit au couvent dominicain du village de Bonaval, au pied du mont, où il manque d’être tué par un projectile lancé par une catapulte. Il trouve un appui auprès de la reine régente Marie de Molina : elle lui remet en otage quatre des insurgés de Compostelle qui étaient venus lui demander assistance ! Béranger orchestre alors l’assassinat de son pire ennemi, Alonso Súarez de Deza, dans le château de La Rocha et ordonne la décapitation de l’un des fidèles vassaux de don Felipe, don Alonso Suarez de Deza et des dix représentants du Conseil de Ville qui lui avaient été toujours hostiles (16 septembre 1320).

La victoire, l'instauration de l'année jubilaire

L'image de la victoire (Tombo B, arch. de la cathédrale)
L'image de la victoire (Tombo B, arch. de la cathédrale)
Les Hechos relatent deux miracles de saint Jacques, prouvant que le saint a constamment aidé Béranger en apparaissant à lui pour l’assurer de son soutien : pendant qu’il était prisonnier, une nuit, par trois fois l’archevêque « vit le très saint apôtre sur un cheval blanc suspendu en l’air au-dessus du sommet de la tour du château de la Rocha Fuerte. L’apôtre avait un bouclier à son bras gauche et dans sa main droite une lance qu’il brandissait de façon menaçante vers Compostelle. Il protégeait un personnage agenouillé, en habit de dominicain, coiffé d’une mitre épiscopale, qui tenait d’une main une croix et de l’autre une blanche colombe ». Saint Jacques est encore apparu le jour de l’exécution des traîtres, courant à la cime du château de Rocha à la poursuite des coupables, les frappant avec l’épée ensanglantée qu’il essuya ensuite à son manteau avant de la remettre au fourreau.
C'est cette image que l'on retrouve sur un folio du Tumbo B : les  personnages foulés aux pieds du cheval de saint Jacques ne sont ni des musulmans, ni les jeunes vierges du roi Ramire, mais les insurgés vaincus...
Enfin, le 27 septembre 1321, les insurgés remettent à Béranger les clés de la ville. Le 16 juillet suivant (1322), il accorde son pardon aux anciens rebelles et décide que « le jour de saint Jacques serait bon pour tous… ». Il « célébra avec une grande dévotion sa première messe solennelle sur l’autel du très saint apôtre… ». Cette année-là le 25 juillet tombait un dimanche. Peut-on voir dans cette journée exceptionnelle la première année jubilaire, à l’image de celle de Rome instaurée en 1300 ?


Le Chef de saint Jacques perdu et retrouvé

Le reliquaire de Béranger dans le Trésor de la cathédrale
Le reliquaire de Béranger dans le Trésor de la cathédrale
Les Hechos racontent encore que c’est au cours de cette cérémonie que Béranger plaça dans un reliquaire neuf une tête de saint Jacques Alphée

« La tête de saint Jacques Alfée qui avait été apportée dans des temps anciens à la basilique de saint Jacques Zébédée et qui était délaissée dans une misérable niche fut transférée par ses soins dans un endroit plus convenable. Il ordonna que soit fabriquée une tête en argent d’une beauté prodigieuse et d’un grand prix. Dans cette tête d’argent il plaça de ses propres mains avec beaucoup de dévotion et de révérence les sacro-saintes reliques, c’est-à-dire la tête de saint Jacques Alfée… »

Cette tête avait été donnée à Gelmirez comme étant la tête du Majeur. Mais,selon l'Historia compostellana,  il n'en voulait pas, considérant que la tête était avec le corps. Dès 1325 cette tête est pourtant la seule relique montrée aux pèlerins à qui on laisse croire pendant des siècles qu'il s'agit de la tête du Majeur.

 

Un nouveau saint Jacques ?

Le tympan de l'église Notre-Dame de Noia
Le tympan de l'église Notre-Dame de Noia
Béranger fut chargé ensuite par le pape d’autres missions au Portugal et en Espagne mais il témoigna constamment d’un souci de rayonnement du sanctuaire compostellan. En 1328, l’église Sainte-Marie de Noia fut reconstruite à sa demande et, sur le tympan du porche principal, il est représenté en pèlerin aux pieds de la Vierge.
Il fit en particulier exécuter trois copies du dernier Livre du Codex Calixtinus, connu aujourd'hui sous le nom de Guide du pèlerin, et écrire le manuscrit appelé Tumbo B sur lequel apparaît l'iconographie nouvelle de saint Jacques qui remplace l’apôtre par le combattant. Il laissa son nom à la tour Berenguela de la cathédrale de Compostelle, qu’il fit fortifier. S’est-il identifié à saint Jacques ? Pour l’amour de lui et comme lui, il fut d’abord serviteur de Dieu puis, lui aussi, pèlerin et combattant.
En 1330, il accompagne le roi en Andalousie lors d’une croisade. Il meurt au couvent dominicain de Séville, où il fut inhumé. En 1404, selon sa volonté, ses restes furent transférés au couvent des dominicains de Rodez. Son tombeau fut détruit lors de la révolution de 1793.

Source et bibliographique

Dessin du tombeau de Béranger de Landore
Dessin du tombeau de Béranger de Landore
Source :
Hechos de don Berenguel de Landoria, arzobispo de Santiago
,
éd. et trad. espagnole M. Diaz y Diaz, Universidad de Santiago de Compostela, 1983
Bibliographie :
- Denise Péricard-Méa, Compostelle et cultes de saint Jacques au Moyen Age, Paris, PUF2000, chap. XIV, p. 249-256
- Ahlsell de Toulza, (G.), « Les peintures murales de la chapelle Saint-Jacques dans l’église ND-du-Bourg à Rabastens-sur-Tarn », Cahiers de Fanjeaux n°15, 1980, p.44-55
- Stones, Alison et Krochalis (J.), « Qui a lu le Guide du pèlerin ? », Pèlerinages et croisades, Actes du 118e colloque du C.T.H.S., Pau, 1993, Paris, 1995, p.11-36
- King, (G.G.), The way of saint James, New-York, 1920, 3 vol., t.I p.65-66 et n.5, p.446-447
- Nogueira, Pablo, “Un français archevêque de Compostelle”, Histoire du christianisme, n° 22, juin 2004;
- Serafin Moralejo, Serafin, « L’image de saint Jacques à l’époque de l’archevêque compostellan Béranger de Landore », colloque Les traces du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle dans la culture européenne organisé par le Centre italien d’études compostellanes et par l’université de la Tuscia à Viterbe, en collaboration avec le conseil de l’Europe, 1989, éd. dans Patrimoine culturel, n°20, p. 67-69.