Une exposition révélatrice


Rédigé par le 4 Juin 2009 modifié le 28 Juillet 2020
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En 1950, l'Institut français en Espagne a organisé une exposition itinérante, proposée à Compostelle, Burgos et Madrid. Il s'agissait à l'occasion de l'année sainte universelle et du millénaire du voyage de Godescalc de "faire revivre les antiques souvenirs du pèlerinage de Saint-Jacques".



Un héritage du XIXe

Les premières "études compostelliennes", comme on les appelait en 1950,  avaient été faites par des érudits du XIXe. Dès 1863, l'abbé Pardiac fut l'un de ces précurseurs qui se sont intéressés à Compostelle où il se rendit en pèlerinage. L'intérêt pour Compostelle s'éveillait dans l'Eglise du XIXe qui faisait face à la déchristianisation initiée avec le siècle des Lumières et la Révolution française. L'image de la Reconquista dont l'Eglise de Compostelle avait été un acteur majeur inspirait tous ceux qui aspiraient à la reconquête des masses qui s'éloignaient de la foi et des traditions religieuses.
L'intérêt pour ce pèlerinage s'est développé après 1879 quand fut annoncée la découverte des reliques de l'apôtre. Il reçut peu après un appui intellectuel important avec l'édition en 1882 du dernier Livre du Codex Calixtinus, supposé avoir été connu et largement diffusé depuis le XIIe siècle et considéré comme un guide à l'usage des pèlerins.
Comme l'écrivait Léon XIII dans la Lettre apostolique Deus Omnipotens par laquelle il reconnaissait les reliques de saint Jacques et de ses disciples à Compostelle :
" Aussi il n'est pas étonnant que, d'après les desseins de la divine Providence, les corps de certains saints, longtemps laissés dans les ténèbres des caveaux et oubliés des générations précédentes, soient remis à la lumière dans les jours où l'Église est particulièrement tourmentée par des tempêtes violentes, alors que les chrétiens ont besoin d'un excitant plus puissant pour pratiquer la vertu ".
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les pèlerinages étaient justement apparus comme un de ces "excitants puissants" capables de mobiliser les foules. L'image du pieux pèlerin en marche vers compostelle s'imposait progressivement. Connue surtout pour la promotion des pèlerinages en Terre Sainte puis des pèlerinages mariaux, la congrégation des Assomptionnistes apporta de façon plus discrète son concours à la diffusion de cette image.
 

Des bases historiques non vérifiées

A partir de cet héritage, deux savants français, Joseph Bédier et Emile Mâle jouèrent un rôle majeur et influencèrent durablement la recherche dans ce domaine. Il semble même possible d'affirmer qu'ils la neutralisèrent pour près d'un siècle. Leur notoriété fut telle en effet que nul parmi leurs successeurs directs n'osa remettre en cause leurs hypothèses dont les conclusions magistrales mais erronées s'imposèrent comme des dogmes.
Chacun dans son domaine, l'histoire littéraire pour le premier, l'histoire de l'art pour le second développa avec autorité les conséquences de l'existence de routes de pèlerinage parcourues par d'innombrables pèlerins. Ces routes devinrent, grâce à eux, une source quasi exclusive d'explications des réalisations littéraires et artistiques médiévales. Toutes les influences espagnoles sur la France n'étaient vues qu'en fonction de Compostelle et des foules pèlerines censées avoir fréquenté ces routes. Les pèlerins de Compostelle étaient progressivement devenus les seuls vecteurs d'échanges artistiques incontestables. Mais n'étant pas historiens, ni l'un ni l'autre n'avait songé à connaître les origines et la diffusion de ce Livre sur lequel tout reposait. Curieusement aucun historien français ne s'est intéressé à Compostelle pendant près d'un siècle.

Le poids des années troublées

L'Espagne de son côté s'intéressait plus naturellement à ce pèlerinage. Les recherches y furent encouragé par Franco le Galicien et saint Jacques y fut enrôlé dans une nouvelle croisade. Pendant toute la guerre, des intellectuels français ont maintenu des liens avec le régime franquiste. Le partage de la même conviction religieuse rapprochait ceux qui plaçaient les relations franco-espagnoles sous le double patronage de deux souverains, cousins de surcroît, saint Louis, roi de France de 1226 à 1270 et  saint Ferdinand, roi de Castille de 1217 à 1252. La nostalgie du pèlerinage devenu impossible incitait plus au rêve qu'à la recherche historique. Et celle qu'encourageait Franco ne pouvait que renforcer la gloire de Compostelle. 1948 fut, la première année sainte compostellane d'après-guerre. Selon la revue Signo 60 000 jeunes s'y rassemblèrent à l'invitation des Jeunesses d’Action Catholique Espagnole, arrivés à pied ou dans les 900 camions qui les ont transportés.Cette année suivait de peu la publication d'une importante étude de trois auteurs récompensés par le prix Franco pour leurs investigations sur les pèlerinages à Compostelle.
L'affiche de l'année sainte 1948

L'exposition

En 1949, eut lieu le premier grand pèlerinage français à Compostelle, organisé par l'abbé Branthomme au départ du Mans. En 1950, l'anniversaire du pèlerinage de Godescalc coïncidait avec l'Année Sainte universelle. Godescalc était connu des milieux intellectuels depuis sa redécouverte par Léopold Delisle, publiée dans les Annales d'une société savante du Puy en 1866.
L'abbé Branthomme et les pèlerins français à compostelle en 1949

Une exposition conçue pendant la guerre civile

Elle est la "réalisation d'un projet déjà ancien, arrêté par la guerre". Pour ses organisateurs, "la genèse de la poésie épique et de l'art roman [en France] ne s'explique pas sans le pèlerinage".
Leur propos est triple :
- rassembler les souvenirs du Camino francès parcouru par des milliers de nos compatriotes, - évoquer la vie des pèlerins, les sanctuaires, les hôpitaux qui marquaient leurs étapes, - montrer l'importance du pèlerinage dans l'histoire de la civilisation médiévale.

Pour les Français de l'époque nul besoin de chercher au-delà de ce qu'avaient écrit Bédier et Mâle. Il leur suffisait de piocher dans leurs écrits pour trouver des souvenirs des pèlerins français, oubliant que le Camino francés est d'abord le chemin des Francs. C'est sur leurs hypothèses qu'a été construite l'exposition présentée en 1950 à Santiago puis Burgos et Madrid.
Mais le document de présentation de l'exposition apporte une dimension supplémentaire. Il invite à
"capter les lointaines résonances du pèlerinage, si profondes pour ceux auxquels est cher le trésor spirituel de l'Occident chrétien".

Des idées qui ont la vie longue

C'est encore très largement sur les idées présentées à l'exposition de 1950 qu'a été bâti l'argumentaire de présentation de monuments français pour leur inscription au Patrimoine de l'humanité en 1998.
Chacun sait qu'aujourd'hui la ville du Puy-en-Velay s'enorgueillit d'être le point de départ le plus important pour Compostelle. Elle était déjà présentée comme telle en 1950 mais avec une image dont la légende contredit le but que l'image est censée servir. Il reste beaucoup à faire pour triompher des erreurs et approximations. Leur exploitation démesurée risque sans doute, à terme,  de dénaturer le pèlerinage. Mais des signes montrent que les efforts entrepris çà et là pour mieux connaître saint Jacques et comprendre Compostelle sont payants. Mythes, légendes et rêves font partie de l'histoire, il convient de ne pas les mélanger. Il convient surtout de ne trahir ni les textes ni les dates. Il suffit de les mettre en perspective dans l'esprit de leur temps.
Au Puy en 1830, une procession sort de la cathédrale devantdeshabitants agenouillésla cathédrale