Une découverte surprenante
« Cette église a été dédiée au nom de la très glorieuse Mère de Notre Seigneur Jésus-Christ selon la chair, princesse de toutes les vierges et reine de tous les peuples de foi catholique, sous l'autel sacré de laquelle sont conservées les reliques [...] de la croix de Notre Seigneur, de saint Jean-Baptiste, de saint Étienne, de saint Pierre, de saint Paul, de saint Jean l'Évangéliste, de saint Jacques, de saint Julien et de sainte Basilisse, de saint Tirse, de saint Cines, de sainte Mamilla. Le 25 janvier... ».
La pierre a été étudiée par Navascués, professeur d'épigraphie. Il a conclu qu'il s'agissait de l'inscription dédicatoire d'une église dédiée à la Vierge Marie, consacrée entre 607 et 648 et rasée par les Arabes lors de la conquête de Merida par Muza en 730.
Cette découverte était totalement révolutionnaire, car elle prouvait, ni plus ni moins, que deux siècles avant l'apparition supposée du corps de l'apôtre, il y avait des reliques de celui-ci à Merida. Nous ne savons pas comment, ni quand, ces reliques de saint Jacques sont arrivées. Nous ne savons pas non plus en quoi elles consistaient, s'il s'agissait de parties de son corps ou peut-être d'un brandeum (tissu ou objet ayant été en contact avec le corps). Ce qui est certain, c'est que deux siècles avant l'apparition supposée des restes de saint Jacques à Compostelle, les habitants de Merida vénéraient les reliques de l'apôtre ; l’authenticité de la pierre constitue la plus ancienne preuve archéologique de la présence de reliques de saint Jacques en Espagne. Il convient de rappeler qu'à l'époque wisigothique, Merida était un siège archiépiscopal d'une grande importance, qui entretenait d'étroites relations culturelles et commerciales avec l'Orient, et qu'à cette époque, le transit et l'acquisition de reliques étaient très courants. Il n'est pas du tout surprenant que des reliques aussi importantes aient été apportées d'Orient et/ou d'Afrique du Nord et aient été vénérées à Merida.
Une hypothèse séduisante
Que découvre Pérez de Urbel ? Qu'à Santiago, dans la cathédrale même, il existe une église dédiée à la Vierge, dont le culte est aussi ancien et obscur que l'origine du culte de saint Jacques, appelée Santa María de Corticela, dont les reliques coïncident en grande partie avec celles de Mérida. N'est-il pas étrange que presque toutes les reliques vénérées à Merida au VIIe siècle se trouvent à Compostelle deux siècles plus tard ?
Nous savons avec certitude que certains habitants de Merida ont fui vers la Galice dès le début de l'invasion, et que parmi ces fugitifs se trouvaient des groupes de moines et d'ecclésiastiques qui ont laissé leurs églises à l'abandon. Pérez de Urbel affirme à ce sujet :
« Nous pouvons supposer que parmi ces églises se trouvait celle de Santa María, puisque les vainqueurs ont pu utiliser l'une de ses pierres les plus célèbres, probablement placée dans le portique ou dans le frontispice, pour couvrir une brèche dans le mur, peut-être ouverte pendant le siège. Ses serviteurs - moines ou simples clercs - rassemblèrent en toute hâte ce qu'ils pouvaient sauver de plus précieux, et surtout les reliques sacrées, et, suivant le courant du Guadiana, ils atteignirent d'abord l'embouchure du fleuve, puis se dirigèrent vers l'ouest, longeant la côte de la Lusitanie jusqu'à ce que, à l'extrémité nord de la péninsule, ils puissent se considérer à l'abri des envahisseurs. Et là, ils ont dû poursuivre leur vie sous la protection de sainte Marie, dans un nouveau sanctuaire qu'ils ont dû consacrer à la Vierge, en souvenir de celui qu'ils avaient laissé sur leur terre, et qui aurait pu naître sur les vestiges d'un ancien temple païen, et au milieu d'une nécropole dont la propriété leur aurait été cédée par quelque riche dame du pays, a moins qu'ils en aient pris eux-mêmes possession sans rien demander à personne, à la faveur de la confusion qui devait alors régner dans toute la péninsule. Les vestiges romains découverts lors de diverses fouilles semblent confirmer cette hypothèse ».
« Que les citoyens conserveraient leur religion, leur liberté et leurs biens ; que les biens de ceux qui seraient morts au combat ou qui auraient émigré en Galicie seraient confisqués au profit des musulmans; que les biens et les trésors des églises passeraient entre les mains du chef de guerre vainqueur, mais que les églises elles-mêmes, même si elles avaient été abandonnées, resteraient entre les mains des chrétiens résidant dans la ville ».
« il est évident que des chanoines et des clercs sont restés, et qu'en acceptant la domination islamique et en payant le tribut correspondant, ils s'assuraient le respect et la protection des dominateurs, dont la règle éthique était de respecter les moines et leurs monastères.
Si la fuite initiale vers la Galice d'une partie des habitants de Mérida face à l'avancée musulmane est documentée, il est d'autant plus sûr aussi que la plupart d'entre eux ont décidé de rester et de garder leurs reliques. Ceux qui ont fui l'ont fait par voie terrestre et vers le nord, à travers des territoires inoccupés où ils pouvaient se réfugier, jamais vers le sud, et en aucun cas par voie fluviale ou maritime, non seulement parce qu'il était très improbable qu'ils aient des bateaux adaptés au voyage, mais aussi parce qu'ils seraient descendus dans des territoires aux mains de l'envahisseur qui leur aurait mis fin à leur fuite de manière hostile ».
De sérieuses contestations
L'autre objection à la théorie d'Urbel est facilement réfutable : étant donné les « facilités » de Muza pour ceux qui décidaient de rester, les reliques et les clercs de Santa Maria seraient restés à Merida. Le fait que l'église de Santa María n'ait pas été conservée et que la pierre du frontispice ait été réutilisée pour combler le mur arabe prouve que l'église a été détruite parce que ses moines n'ont pas payé le tribut et se sont enfuis avec les reliques.
Portela Pazos (1877-1976), Galicien et chanoine de Compostelle, présente en 1953 des objections plus solides à la théorie d'Urbel. Il suggère que la relique ne serait pas de saint Jacques le Majeur, mais de saint Jacques le Mineur, et que sur les 63 reliques de Compostelle, seules 7 coïncident avec celles de Mérida.
Cependant, il n'est pas possible de douter qu'il s'agisse de Jacques le Majeur, d'une part en raison de l'absence même d'indication explicative qu'il s'agit de saint Jacques Alphée, et d'autre part parce qu'il est cité après son frère saint Jean l'Évangéliste, comme c'était et c'est toujours l'usage, pour Jacques Zébédée. Quant au nombre de reliques coïncidant, il n'invalide pas le fait que les reliques d'Emerita apparaissent deux siècles plus tard dans la Corticela de la cathédrale de Santiago.
Un panorama sur l’origine du culte de saint Jacques en Espagne
Les premières informations sur l'éventuelle prédication de l'apôtre Jacques en Espagne se trouvent dans le Bréviaire apostolique, également connu sous le nom de Bréviaire des apôtres, un texte latin contenant une collection de courtes biographies et de données sur les apôtres de Jésus, y compris leurs lieux de prédication. Il a été rédigé dans le sud de la France ou dans le nord de l'Italie à la fin du VIe siècle ou au début du VIIe siècle. Il indique que saint Jacques a prêché en Espagne : Hic [Santiago] Hispaniae occidentalia loca predicat.
Saint Isidore, dans le livre De ortu et obitu patrum (Sur la naissance et la mort des Pères), écrit avant 612, à propos de saint Jacques le Majeur, dit la même chose que le bréviaire : « Il a prêché l'Évangile en Hispanie et dans les régions occidentales ».
Années 607-648 : à Mérida, existait une église dédiée à la Vierge Marie, où l'on vénérait, entre autres, les reliques de saint Jacques Zébédée, frère de Jean. Cette découverte constitue la première preuve archéologique et historique de la présence de reliques de saint Jacques en Espagne.
Année 730. Le général omeyyade Muza conquiert Mérida et l'église Santa María est rasée, les reliques qu'elle contenait disparaissent.
En 776, le Beatus de Liébana, dans son Commentaire sur l'Apocalypse, énumère les lieux où les apôtres auraient prêché, en précisant que saint Jacques l'a fait en Espagne :
In mundo sortes proprias acceperunt : Petrus, Romam ; Andraeas, Acajam ; Thomas, Indiam ; lacobus, Hispaniam ; loannes, Assiam ; Mathaeus, Macedoniam ; Fhilippus, Gallias ; Bartholomeus, Licaoniam ; Simon Zelotes, Egyptum ; Mathias, ludaeam ; lacobus, frater Domini, lerusalem ; Thadeum ecclesiastica tradidit historia missum ad civitatem Edissam.
Une conclusion possible : un « roman historique » ?
L'existence de reliques de saint Jacques à Mérida coïncide, ou n'est pas très éloignée dans le temps, avec les premières références à la prédication de l'apôtre en Espagne (Bréviaire apostolique et saint Isidore).
Lorsque Muza conquiert Mérida en 730, certains moines et clercs s'enfuient vers le nord par la Via de la Plata, emportant avec eux les reliques de leurs temples, comme ce fut le cas pour les reliques de sainte Eulalie et de saint Jacques, entre autres, de l'église de Santa María.
Peu après, Beatus de Liébana (776) insiste sur la prédication de saint Jacques en Espagne et propose saint Jacques le Majeur comme patron de l'Espagne. On ne sait toujours rien de la dépouille de l'apôtre, ni du sort des reliques d'Emerita.
Au moment où l'on avait le plus besoin d'un répulsif pour faire face à l'invasion arabe, soudain, miraculeusement, les restes de saint Jacques sont apparus en Galice.
Il est plus simple de penser que les reliques d'Emerita ont émigré en Galice, un lieu sûr, en 730, qu'elles ont été cachées et qu'elles sont réapparues de manière énigmatique à l'endroit même où l'évêque d'Iria Flavia, Teodomire, prétend avoir découvert le tombeau de l'Apôtre.
La suite est bien connue : la légende s'amplifie, Santiago Matamoros apparaît à la bataille de Clavijo (844), Diego Gelmírez obtient le transfert du siège archiépiscopal de Mérida à Santiago (Bulle de Calixte II de 1120). Plus tard, le Codex Calixtinus (milieu du XIIe siècle) compilera tous les récits et miracles qui composent la légende jacobéenne.
Je pense qu'avec ces informations, il y a de quoi écrire un bon roman historique, plus passionnant et plus fondé que beaucoup de ceux que l'on écrit aujourd'hui, où la rigueur historique brille si souvent par son absence. Peut-être qu'un jour quelqu'un se lancera dans l'aventure.
Pourquoi l'hypothèse de Pérez de Urbel n'a-t-elle pas prospéré et pourquoi a-t-elle été réduite au silence? Tout simplement parce qu'en 1947, personne n'osait traiter d'un sujet qui remettait en cause l'origine du culte jacquaire. Il suffit de rappeler ce que disaient les missels de l'époque pour la fête du 25 juillet :
« Le Seigneur a laissé à saint Jean sa Mère, à saint Pierre son Église et à saint Jacques son Espagne ».
Des personnes comme Mgr Guerra Campos se sont opposées radicalement à l'hypothèse d'Urbel et à sa diffusion, et ont réussi dans une large mesure à la passer sous silence, bien qu'elles n'y soient pas parvenues complètement.
Doctor en Historia de la Iglesia
(Universidad de Navarra, 1985)
Doctor en Física (Universidad de Extremadura, 2003)
Presidente de la Asociación
de Amigos del Camino de Santiago de Mérida