Les cinq miracles vindicatoires
Ils donnent en exemple des punitions infligées à ceux qui oseraient ne pas chômer le 25 juillet. Sans évocation du martyre, leur récit apparaît comme un intermède dans ce sermon, rompant sa teneur spirituelle autant que son niveau stylistique.
Une explosion de colère au milieu d’un sermon
Les exemples de la vengeance divine ne se réfèrent donc qu'à des manquements à ces devoirs un 25 juillet.
Quoi qu'il en soit, la transgression est toujours identique et son châtiment miraculeux est distribué selon les quatre points cardinaux, peut-être pour montrer qu'il n'est pas un phénomène local mais universel.
Les châtiments présentés par le sermon
« En Espagne, près de Tudelio, un paysan battit du blé sur son aire tout le jour de la saint Jacques. Dans la soirée, il se rendit aux bains situés à proximité du magnifique château qui est, comme l'on sait, une antique construction des Maures. A peine s'était-il assis dans l'eau, que la peau de son dos, des épaules aux reins, demeura collée à la paroi et il rendit l'âme aux yeux de tous, pour avoir transgressé une si grande fête.
Cela a été fait par le Seigneur et c'est admirable à nos yeux (Ps 117, 23 ; Mt 21, 42) ».
« En Gascogne, non loin d'Albi, les gens travaillent habituellement toute la journée de la fête de saint Jacques sans la célébrer. Un lendemain, tout leur village fut consumé par le feu de la vengeance divine. Et nul ne sut à partir de quelle maison il s'était propagé. La seule chose qu'on put en dire est qu'il était tombé du ciel.
Cela a été fait par le Seigneur et c'est admirable à nos yeux (Ps 117, 23 ; Mt 21, 42) ».
« Dans l'évêché de Besançon, Bernard de Majorra transporta des gerbes de blé dans une charrette tout le jour de saint Jacques, contre l'avis de ses voisins. A la tombée du jour, alors qu'il était en plein travail, un feu violent tomba du ciel et réduisit en cendres la charrette, les gerbes et les boeufs. Certaines femmes qui se trouvaient avec ce Bernard perdirent connaissance et durent être portées jusqu'à une fontaine voisine par d'autres personnes venues les aider à échapper au feu brûlant. Elles se remirent à grand-peine.
Cela a été fait par le Seigneur et c'est admirable à nos yeux (Ps 117, 23 ; Mt 21, 42) ».
« Il est arrivé la même chose à Arduin, habitant d'un village voisin, qui transporta tout le jour des gerbes de blé. Le soir venu, la vengeance divine arracha les yeux de ses boeufs.
Cela a été fait par le Seigneur et c'est admirable à nos yeux (Ps 117, 23 ; Mt 21, 42). »
« En Gothie, dans la province de Montpellier, une paysanne du prieuré de Saint-Damien fit, à la demande d'un chevalier de Melgueil, un pain et le mit à cuire sous la cendre. Une fois servi, on le rompit. Il se mit alors à saigner aux yeux de tous les assistants et plus on le rompait, plus il saignait.
Cela a été fait par le Seigneur et c'est admirable à nos yeux » (Ps 117, 23 ; Mt 21, 42). »
Quelle signification donner à ces châtiments ?
* Ainsi le premier miracle semble-t-il provenir de la métaphore courante des coupables « attachements de la chair ».
* Le quatrième miracle, celui des boeufs énucléés, peut avoir été inspiré par la formule évangélique « si ton oeil droit te scandalise, arrache-le » (Matthieu 5 ;29).
Ces sinistres anecdotes paraissent réellement issues d'une perversion à la fois de l'imaginaire chrétien et de la doctrine, que l'on peine à se représenter chez quelque ecclésiastique du temps. D’où l’interrogation : qui est l’auteur et pour quelle raison écrit-il ?
Pourquoi un saint Jacques punitif dans le Codex Calixtinus ?
Des miracles pour inciter à la conversion ?
Ces miracles vindicatoires n’auraient-ils pas été écrits dans cette perspective ? Leurs récits pour qu’ils soient transmis dans cette population pauvre et mal éduquée ne devaient-ils pas s’éloigner du standard des textes réunis dans le Calixtinus ?
Aberrants dans une perspective chrétienne, ces miracles vindicatoires ne seraient-ils pas adaptés à la pensée mudéjare tout en conservant une dimension chrétienne ? La conclusion de chacun d'eux renvoie à Dieu par le biais d'une citation biblique (Ps 117, 23, Matth. 21,42) illustrrant assez bien cette hybridité du discours.
Pour les Musulmans, le blasphème doit être puni de mort. Nous l’avons vu, la mort n’est ici qu’un risque majeur, mais qui n'advient pas automatiquement. Comment ne pas évoquer les paroles sans cesse répétées par l’Imam lors de la prière du vendredi et des deux Aïd : « Allāh fait ce qu'Il veut, rien ne Lui est obligatoire » ? C’est pourquoi le mépris de la fête de saint Jacques n'appellerait donc pas un châtiment rigoureusement tarifé.
La localisation des bains du premier miracle en fonction de la construction sarrasine du temps jadis pourrait laisser affleurer de la part du rédacteur la nostalgie d'une époque antérieure à la reconquête chrétienne, tandis que l'évocation inattendue de Montpellier dans le dernier miracle serait un hommage à une cité qui s'est montrée accueillante à la population musulmane.
Dans cette hypothèse, les miracles vindicatoires seraient une trace dans le discours jacquaire de ces mudéjars, qui ont laissé des témoignages imposants dans l'architecture locale de l'Aragon.
Questions sans réponses
« Diverses légendes courent sur les bains, comme celle qui raconte qu’un paysan s’y baigna et y fut cuit tout vif pour n’avoir pas respecté la fête de l’apôtre saint Jacques ».