L’église de Talmont
Face à l’océan, sa façade ouest a disparu à la fin du XIVe siècle. Reconstruite, elle ne comporte aucun décor. Le mur sud du transept, très proche de la falaise, est dépourvu de portail. Le mur nord du transept, en revanche, s’ouvre par un portail roman très sculpté.
En 1992, un pasteur de l'Eglise Réformée, Jean-Claude Ribagnac†, tentait une approche globale de lecture des sculptures de ce portail et proposait une interprétation théologique neuve :
Si toute église peut être vue comme une figuration de la Jérusalem céleste, l'iconographie de Talmont peut permettre de voir cette église comme un sanctuaire vers lequel arrivaient plus spécialement des pénitents implorant la grâce de Dieu par l'intermédiaire de sainte Radegonde.
« Nous ne saurons sans doute jamais ce que fut l’église de Talmont dans son état initial. L’écroulement d’une partie de la nef à une date indéterminée entre le XIIIe et le XVe siècle nous a en particulier privés du portail principal à l’ouest. Mais nous connaissons par les textes le ‘programme’ que les bénédictins de Saint-Jean-d’Angély, fondateurs de notre église, entendaient appliquer aux édifices sacrés.
- L’église, la maison de Dieu, doit être visible du plus loin possible : et quelle meilleure place, alors, que cette falaise de Talmont aperçue à des lieues à la ronde, des quatre points cardinaux, de la terre et de la mer ?
- Elle doit s’imposer par son ampleur à recevoir le peuple de Dieu ; avec sa nef à trois travées, Sainte-Radegonde, mutilée par les éléments, n’en conserve qu’une, même si des vestiges subsistent d’une seconde ; l’hypothèse d’une troisième n’est pas invraisemblable.
- Enfin, tout, jusqu’à son ornementation, doit signifier la parole de Dieu : à Talmont, nous n’avons plus les sculptures du portail principal mais nous reste ce portail latéral, ô combien significatif. Peu d’églises saintongeaises possèdent un tel portail latéral orné. ».
Le portail du mur Nord
Ce portail de Talmont est particulièrement historié, au point de dépasser en richesse bien des portails principaux. Il est divisé en trois baies, une baie centrale avec sa porte encadrée de deux baies aveugles. Les sculptures emplissent non seulement les trois voussures de la baie centrale mais aussi les voussures des baies aveugles et même leurs tympans et leurs linteaux, ce qui est exceptionnel en Saintonge.
Sans doute faut-il voir là un signe de l’importance donnée au prieuré-cure de Talmont par son abbaye de Saint-Jean-d’Angély. Dans la règle de saint Benoît, le travail intellectuel, la lectio divina était tout d’abord l’étude de la Sainte Ecriture. Et, bien loin de laisser aux imagiers l’initiative de mêler scènes purement décoratives et fantaisistes à des sujets sérieux, l’abbaye tenait évidemment à donner des directives précises à l’atelier de sculpteurs réalisateur du projet, pour exprimer visuellement le message de la Parole divine.
Le message délivré par les sculptures du portail
La nécessité d’une lecture globale des sculptures du portail a été exprimée pour la première fois en 1984 dans l’ouvrage d’Anne Mingasson-Gillet et Jacques Tribondeau, Talmont jadis et aujourd’hui. En effet, le portail contient et présente avec une grande cohérence tout le mystère de l’Evangile et de la vie chrétienne. Pèlerins d’autrefois, fidèles ou visiteurs d’aujourd’hui se rendant à l’église par le chemin habituel du bourg passent devant la baie obscure de gauche.
Condition humaine catastrophique dans cet empire du Mal, mais déjà ici annonce de l’Evangile : le Christ, présence de Dieu au monde, est représenté au tympan.
On peut y voir une évocation terrifiante de la situation de l’humanité si Dieu n’est pas présent à l’Univers et à ses créatures. Les reptiles mythiques qui s’y déchaînent sont ces animaux que la Bible (Isaïe) fait naître de la ‘race du serpent’. C’est la puissance du Mal (Satan, le Diable).
- Sur la voussure, les deux dragons affrontés par la tête, ailés, gueules ouvertes, représentent toutes les forces hostiles, toutes les violences que l’homme subit dans la douleur et la mort.
- Au linteau, le crocodile figure un mal plus subtil, plus insidieux, plus intérieur. Les Pères du Désert, dans les premiers siècles de l’Eglise, disaient qu’il guette patiemment le moment favorable pour se jeter sur sa proie. Dans l’Apocalypse (12,3-4), la victime est plus particulièrement le peuple de Dieu représenté par la femme. Mais cette victime peut être aussi l’âme menacée, pantelante devant son tentateur. Par une évolution réductrice à travers les siècles où l’on perd peu à peu l’idée première et la source qui a inspiré l’œuvre, une tradition locale voulait voir dans cette femme sainte Radegonde elle-même, dont la légende hagiographique raconte le combat spirituel victorieux…
Chacune d’elle illustre un texte ou un récit de la Révélation biblique, selon les trois grandes divisions de la liturgie de la Parole :
- l’Epître en voussure supérieure
- l’Ancien Testament avec la voussure centrale,
- l’Evangile sur la voussure de porte.
Et ces trois récits sont liés par un seul et même message.
Interdépendantes, les trois voussures peuvent se lire dans l’ordre qu’on veut, même si l’on peut reconnaître une progression dans le discours de l’extérieur (voussure supérieure) vers l’intérieur (au-dessus de la porte de l’église). Mais il faut les lire globalement, toutes les trois et en découvrir la cohérence et la concordance entre ce qu’elles montrent et des thèmes constants de la Bible.
• La voussure supérieure : des hommes tirent avec une corde un lion prisonnier dont les pattes de derrière foulent encore un homme terrassé. ‘Les passions sont vaincues comme le lion enchaîné’, interprètent Anne Mingasson-Gillet et Jacques Tribondeau s’approchant de la source véritable. Cette voussure illustre en effet un passage de la première lettre de l’apôtre Pierre (V, 8-9) dont le message est :
‘en demeurant fermes dans la foi, Dieu lui-même vous affermissant, vous triompherez du Malin qui rôde comme un lion rugissant cherchant qui il pourra dévorer’.
La sculpture rend bien la tonalité du message : ce n’est pas un homme seul, un héros qui pourra vaincre le mal, mais la chaîne des hommes ordinaires, dans l’Eglise, peuple de Dieu, ‘vos frères répandus dans le monde’.
• La voussure centrale, dite des acrobates a longtemps fait l’objet de la plus grande incompréhension dont l’expression était de n’y voir que figures amusantes et décoratives… Ce que nous savons de l’exigence bénédictine doit nous faire supposer beaucoup plus qu’un sujet de distraction ! La clé ouvrant la porte vers une interprétation plus sérieuse a été donnée par A. Mingassion-Gillet et J. Tribondeau. Ces personnages se hissant les uns sur les autres sont sans doute formellement des acrobates (lecture au premier degré) mais la figure gymnique qu’ils exécutent est connue de tout temps comme ‘l’échelle humaine’. Et de renvoyer l’interprétation à un ouvrage d’ascèse religieuse qui connut au Moyen Age depuis le VIIe siècle un succès considérable : l’échelle du Ciel, œuvre de saint Jean Climaque qui fut abbé du Sinaï. Cette échelle humaine est l’image, sensible aux plus humbles, d’une autre échelle dont se réclame saint Jean Climaque dans la préface de son ouvrage, celle du ‘Songe du patriarche Jacob’ que raconte la Genèse (XXIX, 10-20).
Jacob, parti solitaire de Canaan pour un voyage difficile, fuyant son frère Esaü qu’il a dépossédé de son droit d’aînesse et gagnant la Mésopotamie pour y prendre femme de sa race sur ordre de son père Isaac, dort ce soir-là à ciel ouvert, une pierre comme oreiller. Il voit alors, dit le texte « une échelle posée sur la terre et dont le sommet touchait aux cieux. Des anges montaient et descendaient le long de cette échelle. Tout en haut se tenait l’Eternel ». Puis suit la promesse d’alliance « toutes les familles de la terre seront bénies en toi et en ta postérité ». Ce texte est unanimement reconnu comme brisant la solitude de l’homme dans les épreuves, par l’affirmation qu’il n’est jamais seul et abandonné de Dieu, même un pécheur comme Jacob. Et l’échelle est signe de cette relation entre la terre des hommes et les cieux où se tient l’Eternel. L’Eternel qui apparut à Moïse sous la forme du Buisson Ardent : c’est là cette figure à la clé de la voussure, une flamme, « un buisson qui brûle et ne se consume pas », image si incomprise, voire ignorée de tous les commentateurs.
• Mais il y a plus que promesse annoncée, confirmée aux deux premières voussures. Et c’est la voussure placée directement au-dessus de l’entrée de l’église. Elle est évidemment inspirée de l’Apocalypse (XXI, 22-27) : l’Agneau, entre les anges thuriféraires (Psaume 103, 19-22), l’Agneau qui tient le Livre de Vie. Qui entrera dans la Jérusalem Céleste ? Ce ne seront pas ceux qui auront pactisé avec le Mal (les dragons, le crocodile) ou auront été vaincus, soumis par lui, livrés à l’abomination et au mensonge, ‘ mais ceux-là seuls qui sont inscrits dans le Livre de vie de l’Agneau’.
Puissante unité spirituelle donc que celle de ces trois voussures dans leur leçon :
1 - le chrétien appelé à lutter contre le Mal et à le vaincre,
2 - ce qui lui est rendu possible avec l’aide de Dieu, présent et fidèle,
3 - Dieu manifesté par l’Agneau, présence incarnée de la puissance de l’Esprit promis à tout homme, inscrit dans le Livre de vie.
Devant cette baie passe celui qui, sortant de l’église, va retrouver le monde tel qu’il est, mais délivré de ses peurs et fortifié par la Parole qu’il a entendue et reçue dans la foi. Ici encore, les commentateurs se sont le plus souvent abstenus, y voyant au mieux une décoration végétale et ignorant le linteau, ‘l’usure de la pierre interdisant toute interprétation’… Le sujet de ce linteau a été reconnu pour la première fois en 1986 dans la brochure Sainte-Radegonde de Talmont, édition des Amis de Talmont ; Jacques et Aline Tribondeau l’ont respectivement reconnu et schématisé : une personne couchée dans l’habit du pénitent (une robe à large ceinture) et les bras étendus dans la pose de la Pénitence.
C’est au XIIe siècle (notre église date probablement du troisième quart de ce siècle) que l’Eglise a véritablement institué le sacrement de Pénitence. Pénitence, inséparable pour l’homme de la consécration de sa vie à Dieu.
Ainsi, l’homme reçoit ici l’exhortation à se souvenir de la Parole reçue, par la vision de cette vigne - dont les deux branches issues du cep figuré à la clé couvrent la voussure - image du peuple de Dieu, et de la vie du Christ comparé au fruit de la vigne (Jean, XV) et à consacrer sa vie, non par peur, mais par un don de soi, attitude nouvelle que symbolise le pénitent étendu.
Violence initiale à senestre,
Paix trouvée dans le Christ à dextre,
la Révélation de la Parole incarnée dominant le portail au centre.
En ces images clairement liées, tout est dit du message essentiel.
Et maintenant ?
Vos réponses à cette question, posée en mai 2020, après 54 étapes quotidiennes du pèlerinage confiné ont ouvert une année de 55 étapes hebdomadaires. Cette 109e étape marque l'anniversaire de la première.
Le confinement va se terminer. Pèleriner confiné ne sera plus imposé. Parmi vous des pèlerins sont déjà prêts à partir. Les activités associatives reprennent avec des marches et l'ouverture des accueils et des gîtes. Au fil des semaines, vos questions, les coopérations avec plusieurs chercheurs, dans les associations ou en dehors ont enrichi les lettres et entretenu l'activité de la Fondation.
Le 25 mai, vous recevrez une dernière étape du pèlerinage confiné. Nous nous sommes posé la question
Faut-il poursuivre la proposition de ces étapes virtuelles ?
Deux raisons nous incitent à répondre oui :
- Le nombre de lecteurs, pour lequel nous avons deux informations. La première, chaque mardi la parution de la lettre augmente le nombre de visiteurs du site de plus de 600 personnes en moyenne. La seconde porte sur le nombre de lectures des lettres qui restent disponibles sur le site après le jour de leur parution et dépasse, en moyenne 1100 lectures.
- Les rencontres offertes par le pèlerinage confiné, différentes mais à l'image de celles vécues " en présentiel " sur les chemins. Cette ouverture et les coopérations qu'elle apporte méritent d'être préservées ? Il y a des lecteurs qui ne prennent pas, ou plus, les chemins et qui apprécient ces étapes. Il y a aussi des pèlerins qui au retour ou avant de partir sont heureux de placer leur démarche personnelle dans une perspective plus vaste.
Notre pèlerinage confiné va se terminer la semaine prochaine avec la 110e étape. Nous vous proposons de repartir ensuite le 8 juin pour un nouveau pèlerinage vécu en
Etapes de quinzaine
la première sera en compagnie d'un pèlerin du XVIIe siècle dont le récit dormait dans des archives départementales, transcrit par Gilberte Genevois, une des premières adhérentes de la Fondation. Vous recevrez les étapes suivantes un mardi sur deux.
Merci à tous ceux qui enrichiront ces étapes de leurs questions et suggestions et aux chercheurs et curieux qui feront part de leurs découvertes pour les publier dans les lettres d'étape..
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