Au col de Pedraja, les Républicains fusillés
Longtemps les pèlerins sont passés en ce lieu, sans savoir qu’ils marchaient sur les fosses communes de Républicains tués en 1936. Jusqu’à la mort de Franco, les familles n’avaient pas le droit de venir se recueillir. Puis une croix a été posée qui fut arrachée, puis une autre, puis une stèle marquée d’une colombe et d’une date, 1936, puis une plaque (vandalisée aussi) puis enfin un environnement de la stèle donnant à ce lieu une indispensable dignité
A Clavijo et à Compostelle, José Antonio Primo de Rivera
Intellectuel, brillant avocat, chevalier de l’Ordre de Santiago. A partir de 1930, il théorise une évolution politique de la société espagnole, excluant à la fois le capitalisme et le marxisme et en 1934 participe à la création de la Phalange dont le symbole, constitué du joug et les flèches, emblème et initiales des Rois catholiques (Flechas et Yugo) et symbole de l’Unité de l’Espagne.
En 1936, il est arrêté puis fusillé dans sa prison d’Alicante par des insurgés républicains. Certains disent que Franco n’a rien fait pour empêcher cette exécution, car cet homme brillant l’aurait empêché de transformer la Phalange en mouvement fasciste comme il l’a fait plus tard.
En 1938, Franco a imposé de graver, sur les murs des édifices religieux, le nom de ce martyr. A Clavijo, ce fut une plaque présentant le symbole de la Phalange, et une incription aujourd’hui presque illisible. A Compostelle, une inscription, très effacée, au-dessus de la plaque des « bataillons littéraires » JOSE ANTONIO PRIMO DE RIVERA.
Depuis Clavijo, la croix en forme d'épée domine la plaine
Visible à des lieues à la ronde, la croix de l’Ordre de Santiago relie, dans l’imaginaire collectif les victoires de Ramire et de Franco qui a sauvé l’Espagne des Infidèles communistes. Devant l’église, une borne portant aussi la croix de l’Ordre de Santiago, commémore la donation du château à la Députation provinciale de Logroño, pour le 30e anniversaire de la victoire. en soulignant le rôle symbolique dévolu au village.
La Virgen del Camino
Un sanctuaire à la Vierge du XVIe siècle de la région de León, géré par les Dominicains affiche une ambition semblable. A la fin des années 50, Francisco Coello, frère de l’Ordre, se serait inspiré de Le Corbusier pour construire une nouvelle église mais la décoration intérieure et extérieure le fait assez vite oublier. Une façade gigantesque ornée de statues de bronze gigantesques, la Vierge et les 12 apôtres. Un chœur gigantesque qui respire la rigueur et l’austérité malgré la débauche de dorures et de lumière. Une nef toute en lumière, aussi gaie qu’une salle paroissiale. Séparé du bâtiment, un clocher de 50 m de haut, en béton puis un vaste jardin très aéré, propice aux messes en plein air les jours de pèlerinage. Vous l’avez compris, j’ai été impressionnée, écrasée, mais pas conquise.
A la capitainerie de Burgos
A Burgos, la Capitania, palais de la capitainerie, plaza de Alonso Martinez, témoigne par les plaques commémoratives de sa façade de son utilisation par les régimes successifs. Leurs textes ont changé en 2010.
Les premières rappelaient, à gauche, l’action et la mort héroïque de « Emilio Mola Vidal l’illustre général bienfaiteur de la patrie » et à droite, la dévolution des pouvoirs du « soulèvement patriotique du 18 juillet » à Francisco Franco.
Ces plaques, maintes fois vandalisées, ont été déposées et remplacées. L’une rappelle l’origine de la capitainerie générale, érigée entre 1904 et 1907, l’autre mentionne les services qui ont occupé ce palais. Les avis sont partagés, certains pensent que ces plaques contribuaient à la permanence de la mémoire vivante de la dictature, rappelant « ce qu’un groupe de réactionnaires protégés par des militaires factieux avaient pu faire subir à tout un peuple ».
A Elizondo et Valcarlos
A Elizondo, au Pays basque espagnol, sur une peinture murale de l’église, le Matamore piétinait les Maures, ils furent cachés derrière un nuage repeint sur eux, lors de l’arrivée d’une troupe de marocains du Rif, les regulares, formant la Guardia Mora de l’armée nationaliste
A Valcarlos en 1997, les paroissiens ont estimé indécent de prier saint Jacques à cheval, écrasant un Maure. En accord avec le curé, ils l’ont caché sous une mousse plastique (amovible) peinte en forme de rocher. Mais le prêtre a tiqué, car ils ont remplacé l’épée par la croix brandie d’un air menaçant !
Multiplier les pèlerinages
Après la guerre civile et la seconde guerre mondiale, Compostelle a joué pour Franco un rôle clef dans l’ouverture de l’Espagne à l’Europe. Il remet à l’honneur l’apôtre pèlerin, mais il a encore du mal à inviter le Matamore à poser son épée.
Le 25 juillet 1948, il présente l’Offrande de la Nation et explique que l’Espagne est appelée à « porter la lumière de l’Evangile » partout dans le monde, mais avec la présence d’un pouvoir surnaturel marchant devant l’épée de nos capitaines ». Il exprime ce jour-là le vœu prémonitoire que « le chemin de Saint-Jacques s’ouvre au-delà du rideau de fer »
1948 réalisation du grand pèlerinage projeté par l’Action catholique dès 1936
1949 pèlerinage depuis le Mans sous la direction de l’abbé Branthomme qui revient l’année suivante pour tourner un film.
1954 l’année sainte « ressuscite la grande marche de la chrétienté occidentale »
Aperçu sur le rôle de la France
Pendant toute son histoire, le régime franquiste eut l’Eglise à ses côtés. A certains certains égards elle a constitué un frein à des dérives du régime. C’est dans cet espoir que des hispanisants catholiques de France s’engagèrent dans des relations dès avant la fin de la guerre civile. Le plus emblématique d’entre eux est Charles Pichon.
Parti pour Compostelle en 1963 avec quatre autres cavaliers, avec l'intention de promouvoir le tourisme équestre Henri Roque a joué un rôle important dans la promotion de Compostelle. C'est lui qui a dirigé la chevauchée organisée pour l'année sainte 1965 par René de La Coste-Messelière. Elle fut l'occasion pour l'Espagne d'offrir à la ville de Paris la plaque apposée sur la tour Saint-Jacques, affirmant le passage de millions de pèlerins, ce qu’aucun texte n’a jamais prouvé. Mais c’est une autre question. Selon l'expression de René de La Coste, la tour Saint Jacques devenait ainsi « la plus haute borne sur le chemin de Compostelle »
Une autre initiative très symbolique prise en France pour cette année sainte 1965 fut le rond-point de Gibraltar à Saint-Palais dans les Pyrénées-Atlantiques, implanté en 1964 par le docteur Urrutibehety . Il marque le carrefour hypothétique des routes non moins hypothétiques venant du Puy, Vézelay et Tours.
Pour en savoir plus :
Sur le monument du col de Pédraja :
https://www.saint-jacques-compostelle.info/Au-col-de-Pedraja_a147.html
Sur Charles Pichon :
https://www.saint-jacques-compostelle.info/Charles-Pichon-un-promoteur-de-Compostelle-meconnu_a225.html
Demain : Pèleriner avec Charlemagne