Sous le costume du pèlerin, 46e étape


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 2 Mai 2020 modifié le 2 Mai 2020
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Dans ma besace aujourd’hui, pour marcher avec vous, quelques images et textes. Le costume du pèlerin est un costume pratique pour se dissimuler lorsqu’on a besoin d’anonymat.
Dès le XIIIe siècle dans le Roman de la Rose, « Abstinence se costume en béguine partant en pèlerinage, avec besace et bourdon ». Ailleurs un poète amoureux se déguise en pèlerin pour guetter la femme qu’il aime. Quant au diable, il lui arrive même de prendre la place de saint Jacques en copiant son costume.
L’un emprunte le costume pour fuir, un autre comme symbole d’un long exil, un autre pour revenir là où il a été chassé. Et de nombreux pour mieux escroquer les bonnes gens !



Le prétendant au trône de Castille fuit l’Espagne

Au XIVe siècle, la Chanson de Bertrand du Guesclin raconte la fuite vers la France d’un roi castillan vaincu. C’était le temps où la Castille se déchirait entre deux rois, Pierre le Cruel soutenu par les Anglais et Henri de Trastamare soutenu par les Français. Henri de Trastamare vient de subir une lourde défaite à Najera, près de Navarette, le 3 avril 1367 (représentation par l'image ci-dessous).
Du Guesclin est fait prisonnier par les Anglais et emmené à Bordeaux.

 

La bataille de Najera

Pierre le Cruel assassiné sur ordre d'Henri de Trastamare

 

Pour le rejoindre et aller chercher de l’aide, Henri de Trastamare n’a qu’une solution, emprunter le costume d’un pèlerin de Compostelle qui lui garantit l’anonymat. Il n’est accompagné que de deux compagnons, cachés comme lui sous le même costume. Il part de Burgos
 
« Quand Henry prit congé, la reine pleura.
Or écoutez comment Henri se transforma :
En mode de pèlerin se vêti et chaussa
Lui et 2 autres sans plus, le roy prit le chemin
[…] Par devers Aragon le roi Henri s’en va
Et vint à Perpignan, là où le roi trouva.
[…] Sitôt qu’il l’a vu, pèlerin appela
[…] Venez-vous de S. Jacques le baron par delà ? »
Ils sont invités à un repas « en l’onneur de S. Jaques et de Dieu tout premier ». Le roi Henri quitte Perpignan. Arrivé à Bordeaux, toujours sous le même costume, il se fait reconnaître à l’un des écuyers de du Guesclin qui organise une rencontre avec le prisonnier.
Tratamare finit par gagner, Pierre le Cruel est assassiné à Compostelle. C’est le mari de sa fille qui est revenu à l’assaut quelques années plus tard.
 

Stanislas Leszczynski, le roi en exil

Le roi Stanislas déguisé en oèlerin

Combien de fois Stanislas Leszczynski a-t-il emprunté le costume du pèlerin ? Peut-être à chaque vicissitude d'une vie qui en connut plusieurs ? Il n’est donc pas étonnant qu’il ait voulu le pérenniser sur son portrait, peint par Oudry en 1730 (Il est aujourd’hui au musée de Varsovie). Il est le roi chassé de son pays. Stanislas, qui avait déjà une dévotion pour saint Jacques, est inhumé dans l’église Saint-Jacques de Lunéville qu’il a énormément embellie.

Stanislas Leszczynski (1677-1766) fut roi de Pologne de 1704 à 1709 puis chassé du trône. Il part en exil.
En 1714, le roi de Suède lui confie sa principauté des Deux-Ponts, proche de la Lorraine. Il en est chassé en 1718. Il se réfugie chez le duc de Lorraine.
En 1725, sa fille épouse Louis XV. Le voilà beau-père du roi de France. Il réside à Chambord.
En 1733, le roi de Pologne meurt. Stanislas part sous une fausse identité, arrive à Varsovie et est élu roi. Sa tête est mise à prix.
1734, il s’évade sous un déguisement et se réfugie chez l’empereur, Charles VI de Habsbourg qui est plutôt en froid avec la France… Négociations qui aboutissent à faire Stanislas duc de Lorraine et de Bar, en 1736. Sa fin de vie est assurée.

 


Le Morisque qui revient en fraude

En 1615, dans Don Quichotte de la Manche, Cervantès se fait l’écho de l’expulsion des Morisques, ces musulmans convertis au christianisme en 1499 sur ordre d’Isabelle la Catholique. Cette expulsion a été ordonnée par Philippe III en 1609 et exécutée l’année suivante, parce qu’il estimait que l’assimilation et la conversion avaient échoué. Sancho Panza rencontre un ancien voisin exilé qui revient caché sous l'habit du pèlerin avec un groupe de pèlerins allemands.

Sancho Panza rencontre un ancien voisin exilé qui revient caché sous l'habit du pèlerin avec un groupe de pèlerins allemands.

« … Sancho vit venir sur le chemin qu'il suivait six pèlerins avec leurs bourdons, de ces étrangers qui demandent l'aumône en chantant. Arrivés auprès de lui, ces pèlerins se mirent à chanter en leur jargon, ce que Sancho ne pouvait comprendre  […]

Mais, au passage, l'un de ces étrangers l'ayant regardé avec attention, se jeta au-devant de lui, le prit dans ses bras par la ceinture, et s'écria d'une voix haute, en bon castillan :

« Miséricorde ! qu'est-ce que je vois là ? est-il possible que j'aie dans mes bras mon cher ami, mon bon voisin Sancho Panza ? »

Sancho fut fort surpris de s'entendre appeler par son nom par ce pèlerin étranger. II le regarda fort attentivement, mais ne put venir à bout de le reconnaître. Le pèlerin, voyant son embarras :

-« Comment est-ce possible, frère Sancho Panza, lui dit-il, que tu ne reconnais pas ton voisin Ricote le Morisque, mercier de ton village ? »

Alors Sancho, l'examinant avec plus d'attention, commença à retrouver ses traits, et finalement vint à le reconnaître tout à fait. Sans descendre de son âne, il lui jeta les bras au cou, et lui dit :

- « Qui diable pourrait te reconnaître, Ricote, dans cet habit de mascarade que tu portes ? Dis-moi un peu : comment oses-tu rentrer en Espagne, où, si tu es pris et reconnu, tu auras à passer un mauvais quart d'heure ? - Si tu ne me découvres pas, Sancho, répondit le pèlerin, je suis sûr que personne ne me reconnaîtra sous ce costume.

Sancho et les Morisques

Un flot ininterrompu de fieffés coquins

Le Morisque en raconte de belles sur les motivations des pèlerins allemands :

« je me réunis à ces pèlerins, qui ont coutume de venir en grand nombre chaque année visiter les sanctuaires de l'Espagne, qu'ils regardent comme leurs Grandes-Indes, tant ils sont sûrs d'y faire leur profit. Ils la parcourent presque tout entière, et il n'y a pas un village d'où ils ne sortent, comme on dit, repus de boire et de manger, et avec un real pour le moins en argent. Au bout du voyage, ils s'en retournent avec une centaine d'écus de reste, qui, changés en or, et cachés, soit dans le creux de leurs bourdons, soit dans les pièces de leurs pèlerines, soit de toute autre manière, sortent du royaume et passent à leur pays, malgré les gardiens des ports et des passages où ils sont visités.

Ne nous scandalisons pas trop vite ! L’Espagne s’en était émue dès 1598 et accusait non les Allemands mais les « Français et Gascons »

« On voit passer et on héberge chaque année à l’hôpital de Burgos, où on leur donne à manger gratis deux ou trois jours, huit à dix mille Français et Gascons qui viennent dans nos royaumes à l’occasion du pèlerinage … En France, dit-on, ils promettent pour dot à leurs filles ce qu’ils auront amassé au cours d’un voyage aller et retour à Saint-Jacques, comme si c’était aux Indes, en venant en Espagne avec des pacotilles »


Et demain ?

Un saut vers l'époque contemporaine et des événements fondateurs du pèlerinage né dans les dernières décennies du XXe siècle.