Un récit de pèlerinage écrit pour les amis
« Mais, je dois le reconnaître : nous ne sommes plus des vrais pèlerins partant de rien, vivant de leur travail ou de l'hospitalité offerte ».
Un document historique
Il présente une manière de pèleriner qui a disparu à partir de 1993, emportée par l’explosion des moyens utilisés pour promouvoir le pèlerinage de masse, enclenchée depuis longtemps déjà, mais galvanisée par l’inscription du Camino francés au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Un récit au jour le jour, qui traite des problèmes existentiels du pèlerin de cette époque, la recherche du chemin à suivre, du pain quotidien et celle de l’endroit où dormir. C’était la règle avant le fléchage des chemins, avant les ouvertures de gîtes et avant la multiplication des guides. Ils voyagent évidemment en autonomie complète.
C’est un récit plein d’humour et d’auto-dérision. A aucun moment ils ne se posent en héros. Surtout ils ne s’attardent guère sur leurs douleurs ;
« Ampoules lardées de furieux coups d'aiguilles »
« Le dernier kilomètre est bien douloureux ! »
« La litanie devenue classique du « mal aux pieds, mal au dos »
Ils ne sont pas toujours d’humeur égale, tant s’en faut :
« Le moral a dégringolé bien plus vite que la Bourse à la mort de Kennedy ».
« Je médite un peu la Passion, en me disant toutes les trente secondes que je n'arriverai jamais ».
Ce mode de vie exige des horaires adaptés à la réalisation de tâches quotidiennes incontournables qui imposent des contraintes importantes : lever tôt, emballage du matériel, arrêt pour déjeuner et sieste, marche en fin de journée, recherche du gîte le soir et déballage du matériel.
Première tâche incontournable, trouver son chemin
En 2017, au moment du décès de l’abbé Bernès, j’ai publié sur notre site Internet des extraits du récit de Jacques Sévenet, exemples des ennuis qui naissaient de l’utilisation de son guide. Et chaque erreur coûte cher, nos pèlerins en ont fait plusieurs fois l’expérience.
« Virgen del Camino. Schéma 68. Il ne prend pas exactement à l’entrée du village, mais un peu après. Il faut des repères sur la route ».
-« Près du lavoir, nous quêtons des renseignements. Relevant la tête, les laveuses se déchaînent : sans nous répondre directement, elles entament, poings sur les hanches, une polémique criarde sur les différents chemins possibles ».
-« Avec l’aide d’un berger, nous découvrons une route empierrée ».
-« Une jeep militaire répond à nos signaux et les soldats nous renseignent : nous sommes sur un chemin qui ne mène nulle part ».
- « Malgré les sages conseils de l'épicière, nous décidons de jouer la carte Bernès ».
Deuxième tâche incontournable, assurer sa subsistance
« L’unique boutique du village qui combine les fonctions de boucherie, épicerie, boulangerie. En bref, c'est la providence des voyageurs affamés ».
« La tenancière nous déclare tout de go qu'aujourd’hui elle vend nada. Bredouilles et abrutis par la chaleur, nous découvrons un peu d'ombre derrière une maison pour consommer le reste de nos provisions ».
Parfois, ils déjeunent au restaurant, surtout si c’est jour de repos, mais le bonheur de se faire servir n’est pas toujours à la hauteur de leurs espérances. A Estella, « nous déjeunons dans les bas-fonds d’une taverne obscure et poisseuse ». A León, les voilà dans une « sordide gargote » dont nous lisons un portrait odorant, ce qui ne les empêche nullement de déjeuner puis, « l’estomac lourd » de partir visiter la cathédrale :
« Par une ouverture passe un courant d'air lourdement chargé des remugles de l'office, mélange de graillons et de friture dans laquelle on plonge successivement, oeufs, poissons, viandes diverses. Même le patron est à l'unisson de la saleté de l'établissement ».
« Nous déjeunons près de la baignade publique, en face du monastère de san Zoilo ».
« Un pré ombragé nous paraît digne de la halte de midi, mais le propriétaire nous en déloge ».
« Seule, la sieste en ville n’est pas commode ».
« Aujourd'hui nous dormirons sur les bancs de bois de l'église Saint-Jacques, comme des clochards au cœur pur ».
« Un petit somme sous les platanes, près d’une jolie fontaine autour de laquelle tourbillonnent des nuées d'enfants braillards et curieux ».
« Nous allons nous étendre sur la place du village de Navarrete. Les gosses qui jouent autour de nous s'approchent ».
Troisième tâche incontournable, dormir
Ils s’installent au gré des occasions.
« C'est une fois de plus le parvis de l’église que nous choisissons pour le bivouac ».
« Le simple fait de demander une grange, un hangar ou une salle semble éteindre les sourires et fermer les portes. Finalement, on obtient de l’aubergiste la clef qui donne accès au préau de l’école ».
« Le cérémonial de la découverte d’un lieu pour dormir se déroule sans surprise : le curé nous envoie au couvent, mais le directeur d'icelui est absent ... et la nuit se passe sur le terrain de football ».
« Nous n'osons pas déranger le curé d'une partie de cartes acharnée qu'il dispute avec ses ouailles et trouvons un coin de prairie entre mare à grenouilles et ruisseau ».
Avec toujours une pincée d’humour :
« Sans le moindre effort d'imagination, nous choisissons l'hôtel de Paris : personne n'y parle français, mais trouve-t-on quelqu'un qui parle anglais à l'hôtel d’Angleterre de Romorantin ? »
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