Vitraux, chefs d’œuvres méconnus
Ils illuminent cathédrale et églises. Haut perchés, leurs couleurs enchantent le regard. Certains sont lisibles, quand ils présentent saints ou prophètes en pied, avec leurs noms. D’autres sont divisés en une infinité de taches colorées impossibles à déchiffrer.
Placés plus bas, ils sont plus accessibles et leur lecture semble plus aisée ; encore faut-il se souvenir qu’un vitrail se lit de bas en haut et de gauche à droite. Mais il faut de solides connaissances pour les comprendre. Leur lecture est rendue complexe par les détériorations subies, les réparations apportées ou les remontages parfois hasardeux.
Deux vitraux Saint-Jacques à la cathédrale de Tours
En 1835, on constate que
« les vitraux des trois chapelles basses du chœur sont recouverts d’une crasse tellement épaisse qu’elle intercepte le jour et ôte tout l’éclat de la transparence ; une grande partie des trous sont bouchés depuis longtemps soit par des ardoises soit par des morceaux de verre mal assortis »
« L’état de nos verrières est déplorable, les plombs, les encadrements, sont presque entièrement usés et détruits ; elles fléchissent sous leur propre poids et n’offrent qu’une faible résistance à la violence des vents et des orages. Je ne parle pas du peu de soin qu’on prenait précédemment de ces chefs d’œuvres ».
Restaurer (réparer) ou restituer (refaire à neuf) ?
Devant l’ampleur des dégâts et l'importance des dépenses, d’autres questions surgissaient. Comment procéder pour les restaurations ? Quel prix y mettre ? Où retrouver les sources ? Comment les interpréter ?
L’exemple de la baie n°5 « Vie de saint Jacques »
Datée de 1230, elle est constituée d’une seule lancette de cinq panneaux comptant 13 registres se lisant de bas en haut. L’ensemble mesure 7m. sur 1,60m.
Elle avait été « enfoncée par un ouragan survenu le 15 mars 1751 », et déjà réparée.
En 1847, le premier projet a été confié à un maître-verrier, Etienne Thévenot, lequel s’est livré à une longue étude pour comprendre l’ensemble du vitrail. S’inspirant du travail déjà effectué à Bourges et à Chartres sur le même sujet, il a compris qu’il s’agissait de la vie de saint Jacques racontée dans la Légende dorée.
Dans son projet, Thévenot détaille ses observations. Il montre comment il traque les détails, une mèche de cheveux, un bout de corde, pour compléter les manques ou détecter les ajouts intempestifs.
« En effet, si on considère attentivement le personnage de gauche dans le panneau (en haut) on voit qu’il n’a plus sa tête (d’origine), mais qu’un fragment représentant la mèche de cheveux recouvrant la nuque appartient bien au sujet primitif ; le nimbe et le geste ainsi que le costume indiquent l’apôtre : le mot BVS en haut à droite est JACOBVS, à moitié brisé. Un bout de corde respecté par le vitrier annonce bien que c’est Hermogène, Pharisien en commerce avec Satan, et lié pour cause de méfaits ».
Les différences sont certaines bien que les deux mots soient utilisés indifféremment.
Au milieu et en bas, des scènes « restituées »
Restituer
« N’ayant que trois médaillons, il m’a fallu concentrer les scènes 3 et 4 dans le médaillon quadrifolié, le n° 1 est à l’angle gauche du bas où commence d’habitude le récit ».
Il dévoile et justifie sa conception de cette « restitution » :
« En théorie, et pour moi, artiste chrétien, une église n’est pas un musée, on doit y rétablir l’exposition catholique lorsqu’elle est détruite, pas de doute qu’on doit restituer les parties de vitraux supprimés, lorsque cela est possible dans l’ordre des connaissances acquises ».
A-t-il méprisé la baie n° 5, un peu plus ancienne ? A-t-il été appelé à d’autres chantiers plus valorisants ?
Restauration ou restitution de la baie 210 ?
Léopold Lobin a ensuite travaillé sur ces dessins sans que l’on connaisse l’état antérieur du vitrail. On cherche en vain dans les archives une trace d’un travail semblable à celui de Thévenot. Il est donc impossible de mesurer le degré d’authenticité de ce vitrail.
Cette verrière, composée de 4 lancettes, se divise en deux parties. La moitié inférieure relate la vie de saint Jacques, telle qu’on peut la retrouver à Chartres ou à Bourges. La moitié supérieure est consacrée au récit très (trop) complet du miracle du pendu dépendu. Etant donné l’état général des vitraux décrit au début du XIXe siècle, ainsi que l’état du vitrail de la baie n°5, on a peine à croire que la légende ait pu être lisible à ce point
Le miracle du pendu-dépendu dans la baie 210
A (arrivée), B (la chambre), C (le départ), D (l’arrestation), E (la pendaison),
F (le départ des parents pour Compostelle) sont cohérents.
La suite présente des incohérences dues peut-être à une incompréhension des dessinateurs. Mais il manque les scènes incontournables de la dépendaison et de la justice. Les médaillons G, H, I, J, ne correspondent à aucune version de la légende. Sans pouvoir entrer dans les détails, on peut imaginer qu'ils concernaient un ou deux autres miracles.
La dernière scène représente le martyre de l'apôtre.
Etant donné l’état général des vitraux décrit au début du XIXe siècle, ainsi que l’état du vitrail de la baie n°5, on a peine à croire que la baie 210 ait pu être à l'origine telle qu’elle apparaît aujourd’hui.
Quels vitraux regardons-nous ?
L’exemple de Tours montre en outre que le visiteur qui pense admirer un chef d’œuvre du XIIIe siècle se trouve devant une composition d’apports successifs au cours des siècles pouvant concerner jusqu’à 80 % de la surface du vitrail.
Si les détails sont modifiés, le message transmis demeure, comme l’ouverture au rêve. La prochaine lettre en sera un nouveau témoignage.
1 - Boulanger Karine, « Thevenot, Coffetier, Steinheil, restaurateurs des vitraux de la cathédrale de Bourges (1845-1858) », Bulletin Monumental, tome 161, n°4, année 2003. pp. 325-352.
www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_2003_num_161_4_1868