Saint-Jacques de Montrouge et Compostelle

Une église même dédiée à saint Jacques n'est pas une balise


Rédigé par le 18 Décembre 2011 modifié le 1 Février 2024
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Depuis les années 1970, des chemins de Compostelle sont tracés en France. Le premier, ancêtre du GR65, a été tracé au départ du Puy, sa description a été ronéotée en 1972. Les chemins de Compostelle en France sont devenus un "monument historique" quand, en 1937, Francis Salet en a dressé une immense carte murale dans la grande salle de l'art roman du musée des monuments français à Paris. Cette carte, malheureusement disparue, est à l'origine de toute l'histoire contemporaine des chemins de Compostelle en France. Elle a inspiré les artistes qui ont décoré l'église Saint-Jacques de Montrouge.



L'enthousiasme coupable des savants du XXe siècle

Photo de la carte de Francis Salet (1937)
Dressée par Francis Salet dans la grande salle du musée des monuments français au palais de Chaillot à Paris, cette carte récapitule toutes les idées nées en France de la fin du XIXe siècle aux années 1930. Son origine est dans l'édition en 1882 du dernier Livre du Codex Calixtinus, devenu en 1938 le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle dans sa traduction française de Jeanne Vielliard. Elle reflète aussi les travaux de Joseph Bédier et Emile Mâle qui, chacun dans leur domaine, ont donné à Compostelle une influence démesurée, tant dans la littérature des Chansons de geste que dans l'art roman. Ces deux savants ont été victimes de l'enthousiasme de leur époque pour Compostelle dans la ligne de la décision du pape Léon XIII d'y reconnaître l'existence des restes de l'apôtre Jacques le Majeur par sa Lettre Apostolique Deus Omnipotens en 1884.

1947, la carte de Francis Salet à Montrouge

Représentation des chemins de Compostelle dans l'églie Saint-Jacques de Montrouge
Réalisée après la guerre, la décoration de l'église Saint-Jacques de Montrouge comprend un ensemble de fresques dont certaines représentent des épisodes de la vie de l'apôtre.
Travaillant dans l'ambiance intellectuelle créée par Francis Salet au musée des monuments français, les artistes ne pouvaient manquer de faire un lien entre l'histoire de l'apôtre galiléen connue par les Evangiles et  le culte qui lui était rendu en Galice. Cette carte qui clôt la série de fresques du bas-côté gauche de l'Eglise présente quelques-uns des sanctuaires majeurs censés avoir été des étapes pour les pèlerins médiévaux. Dès cette époque le fait que ces sanctuaires aient été eux-mêmes des lieux de pèlerinage était souvent oublié au profit du pèlerinage à Compostelle.

Cette carte est la première manifestation concrète d'un lien entre Montrouge et Compostelle.

Montrouge a-t-elle vu passer des pèlerins de Compostelle ?

Fresque représentant saint Jacques à l'entrée de l'église
La situation de Montrouge, au Sud de Paris laisse facilement imaginer que cette localité fut un point de passage de voyageurs quittant la capitale dans cette direction, donc vers l'Espagne et, peut-être, Compostelle. Ceci est encore plus facilement supposé si l'on croit que la rue Saint-Jacques devait son nom au pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. N'était-elle pas plutôt la rue qui conduisait au sanctuaire de pèlerinage à saint Jacques qu'était Saint-Jacques de la Boucherie ?

Les Itinéraires de Bruges, compilation du XVe siècle, présentent plusieurs itinéraires vers le Sud qui traversent Paris. Le plus intéressant pour le sujet actuel s'intitule " de Bruges à Saint-Jacques " par Paris et Tours. Il passe par Saint-Clair, Saint-Arnoult, Bonneval, ... Saint-Clair n'est plus identifiable aujourd'hui.  Cet itinéraire pourrait passer par Montrouge. Un autre mentionne une sortie de Paris vers Longjumeau, sans non plus mentionnner Montrouge.

Que nous apprend la carte de Cassini ?

Montouge à l'écart des grands itinéraires précédents

La carte de Cassini dont l'extrait ci-contre montre l'emplacement du Grand Monrouge a été dressée au XVIIIe siècle.

Elle permet de constater que le village qu'était alors Montrouge, serré autour de son château aujourd'hui disparu n'était pas sur les grands itinéraires décrits précédemment. L'église Saint-Jacques était située entre les deux grands axes partant du carrefour d'Alésia bien marqué par la mention "Petit Montrouge" et l'église Saint-Pierre.

En 1885, la recommandation de l'archevêque de Paris

En publiant la Lettre Deus omnipotens, le pape Léon XIII avait demandé aux archevêques et évêques destinataires d'en assurer la diffusion dans leurs diocèses.
Micheline Mouradian, chercheur à la Fondation a fait une étude exhaustive des réactions de tous les diocèses de France. Elle peut être lue sur la revue électronique de la Fondation à l'adresse suivante.

L'archevêque de Paris a, lui, invité " à une visite dans les trois églises du diocèse sous le patronage de saint Jacques :
- La Villette (aujourd’hui dans le XIXe arrondissement, place de Joinville, sous le vocable Saint-Jacques et Saint-Christophe),
- le Grand Montrouge (église paroissiale [Saint-Jacques] de Montrouge)
- Aubervilliers (depuis 1902 église Notre-Dame-des-Vertus)" .
Cette appel de l'archevêque de Paris a peut-être incité quelques pèlerins à venir vénérer saint Jacques à Montrouge ? Une recherche dans les archives paroissiales serait intéressante car celles de l'évêché sont muettes.

On trouve là un second lien entre Montrouge et Compostelle.

Quand intervient un faussaire

Dessinée en 1970, cette carte est datée de1648
Artiste visionnaire, Daniel Dervaux a dessiné dans les années 1970 une carte inspirée de celle de Francis Salet, reprise en 1965 par René de La Coste-Messelière. Il choisit un fond de carte à l'allure ancienne et  data cette carte de 1648, la proposant à la vente comme la reproduction d'un document ancien. Personne en France ne dénonça la supercherie en dehors de René de La Coste-Messelière qui qualifia l'oeuvre de " forgerie " et seule la Bibliothèque nationale lui refusa son caractère d''authenticité. Cette carte très décorative a été longtemps vendue par les boutiques des musées nationaux qui lui conféraient ainsi leur label.

Elle a joué un grand rôle dans le martelage médiatique auquel les pèlerins sont soumis depuis bientôt 50 ans,  initié en 1950 par des intellectuels français hispanisants. Depuis les années 1990, il est entretenu par des associations au service d'intérêts politiques ou économiques et par des associations de pèlerins.  Celles-ci sont loin de représenter l'ensemble de ceux qui ont marché vers Compostelle. De plus leurs dirigeants sont souvent recrutés parmi les moins ouverts à une relecture scientifique. Cramponnés à leurs forgeries, ils prétendent qu'elle casse le rêve.

Des pèlerins réclament des clous, restaurer est plus important

Vitrail de l'église Saint-Jacques (vue partielle)
Un des itinéraires contemporains proposés aux pèlerins de Compostelle passant par Paris ou en partant emprunte des rues qui traversent Montrouge. Cet itinéraire est visible sur la carte de Cassini. Il correspond à celui que des associations de pèlerins proposent de jalonner par des coquilles en bronze.

Pour être utiles aux marcheurs, ces coquilles devraient être suffisamment nombreuses, ce qui conduit à un investissement sans commune mesure avec leur intérêt. La traversée des villes qui comme Tours ou Issoudun en ont déjà mis en place démontre leur inutilité. Quant à l'information souhaitée par les pèlerins, à l'entrée et à la sortie de la ville, l'expérience pèlerinene ne devrait pas conduire à la réclamer. Il est rare qu'arrivant dans une ville le pèlerin ne sache pas qu'il est sur le chemin de Compostelle. Une information de la population locale ou des autres voyageurs sur ce chemin contemporain s'impose-t-elle vraiment ? Quant au kilométrage séparant la sortie de la ville de Compostelle, il est de peu d'intérêt pour qui sait que de nombreux pèlerins n'atteignent pas Compostelle dans l'année où ils sont partis. Il est certes classique en cours de route de faire une photo à côté d'un panneau indiquant le kilométrage à parcourir. Mais l'argent des collectivités locales peut être mieux investi ailleurs que dans la satisfaction de demandes propres à satisfaire le folklore compostellan plus que des besoins réels.

S'agissant de Montrouge, l'état des coquilles sur les vitraux ou celui des fresques illustrant la vie de l'apôtre  dans l'église Saint-Jacques montrent que d'autres investissements sont plus urgents et plus nécessaires que la mise en place de coquilles en bronze dans les rues de la ville.

Quels que soient son intérêt dans la société contemporaine et son influence sur le comportement de quelques dizaines de milliers de Français par an, le pèlerinage à Compostelle ne justifie ni les demandes des associations ni le battage médiatique auquel sont sensibles quelques hommes politiques. En ce domaine comme en d'autres, il faut savoir raison garder.

Voir l'article sur la restauration de l'église