Institut recherche jacquaire (IRJ)

Saint Jacques à Sillegny (Moselle), lettre 163


Rédigé par le 8 Juin 2023 modifié le 11 Juin 2023
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Comment la connaissance détaillée du récit d'un miracle a pu aider à comprendre une représentation de saint Jacques.



Un bourdon bien inhabituel

Sillegny saint Jacques (cl. J. Abruzzese)
Sillegny saint Jacques (cl. J. Abruzzese)
En 2019, Laurent Bastard, directeur retraité du musée du Compagnonnage à Tours, me transmettait une curieuse image de saint Jacques le Majeur figurant sur une peinture murale de l’église Saint-Martin de Sillegny, identifié par son nom écrit sous la peinture « Sancte Jacobe Maior ». Il avait lui-même été interrogé par Richard Abruzzese, membre de l’association « La Sixtine de la Seille ». Ce dernier datait cette peinture des XVe ou XVIe siècle.
Le saint est en pèlerin mais, ai-je dit à l’époque, son bourdon se terminait par une sorte de « pelle à tarte » métallique. J’avais suggéré une restauration maladroite du XIXe siècle.
Laurent Bastard, lui, proposait un autre saint que saint Jacques.

Une explication dans le récit d'un miracle

Récemment, R. Abruzzese a transmis au « Centre de recherche sur la canne et le bâton » une explication beaucoup plus rationnelle : il a trouvé la réponse dans La Légende Dorée, écrite au XIIIe siècle par un dominicain italien, Jacques de Voragine. Ce texte racontant la vie des saints fut une source inépuisable pour les imagiers. Manuscrit latin d’abord il fut traduit en français puis imprimé parmi les premiers « incunables » à la fin du XVe siècle.
 
Voici le texte dans une traduction moderne :

« Hubert de Besançon raconte que trois militaires, du diocèse de Lyon, allaient à Saint-Jacques. L’un d’eux, à la prière d’une pauvre femme qui le lui avait demandé pour l’amour de saint Jacques, portait sur son cheval un petit sac qu’elle avait. Plus loin, il rencontra un homme malade et qui n’avait plus la force de continuer sa route, il le mit encore sur son cheval ; quant à lui, il portait le bourdon du malade avec le sac de la femme en suivant l’animal : mais la chaleur du soleil et la fatigue du chemin l’ayant accablé, à son arrivée en Galice, il tomba très gravement malade : et comme ses compagnons l’intéressaient au salut de son âme, il resta muet pendant trois jours; mais au quatrième, alors que ses compagnons attendaient le moment de son trépas, il poussa un long soupir et dit :
 


La lame du bourdon
La lame du bourdon

" Grâces soient rendues à Dieu et à saint Jacques, aux mérites duquel je dois d’être délivré. Je voulais bien faire ce que vous me recommandiez, mais les démons sont venus m’étrangler si violemment que je ne pouvais rien prononcer qui eût rapport au salut de mon âme. Je vous entendais bien, mais je ne pouvais nullement répondre.

Cependant Saint Jacques vient d’entrer ici portant à la main gauche le sac de la femme, et à sa droite le bâton du pauvre auquel j’avais prêté aide en chemin, de sorte qu’il avait le bourdon en guise de lame et le sac pour bouclier, il assaillit les diables comme s’il eût été en colère, et en levant le bâton, il les effraya et les mit en fuite. 

Maintenant c’est grâce à Saint Jacques que je suis délivré et que la parole m’a été rendue. Appelez-moi un prêtre, car je ne puis plus être longtemps en vie ". 
Et se tournant vers l’un deux ; il lui dit :
" Mon ami, ne reste plus davantage au service de ton maître, car il est vraiment damné et dans peu il mourra de malemort " 
Quand cet homme eut été enseveli, le soldat rapporta à son maître ce qui avait été dit : celui-ci n’en tint compte, et refusa de s’amender : mais peu de temps après il mourut percé d’un coup de lance dans une bataille ».


Ce miracle est le 8e que raconte Jacques de Voragine, sur les 11 qu’il rapporte. Il indique tenir ce récit d’Hubert de Besançon. Il a puisé ce miracle à une source commune à celle du Codex Calixtinus du XIIe siècle, avec quelques différences.
L’auteur du Codex place ce miracle au chapitre XVI du Livre des Miracles de saint Jacques qui en contient 22. Il l’attribue à saint Anselme, archevêque de Canterbury. Il est deux fois plus détaillé que celui de Jacques de Voragine et il est titré :
« Du chevalier agonisant que l’apôtre délivra des tourments démoniaques grâce au bourdon d’un mendiant et à la besace d’une femme ».

Situation de l'image dans l'église

Emplacements des images, saint Jacques n° 10
Emplacements des images, saint Jacques n° 10
Dans cette église, cette image fait partie d’une série de représentations des apôtres dite du « symbole des apôtres ». Elle rappelle que le Credo fut l’affaire collective des apôtres dont une phrase est attribuée à chacun.
Les séries présentent souvent des divergences d’auteur.
Dans celle de Sillegny, saint Paul remplace saint Matthias. Saint Jacques dit : 
ASCENDIT AD CELOS  (est monté au cieux)
SEDET A DEXTERAM DEI PATRES (est assis à la droite de Dieu le père)
Plus souvent, on lui attribue :
« Qui a été conçu du Saint-Esprit, né de la vierge Marie ».

Un bel exemple de patience dans la recherche

Nous ne pouvons que remercier R. Abruzzese pour sa perspicacité et sa patience ; il a fait une recherche d’historien d’art professionnel en ayant l’idée de chercher dans la Légende Dorée la source de l’inspiration de l’imagier. Comme fil conducteur, les indices dont il disposait, deux objets insolites : le bourdon terminé en « pelle à tarte » et une sorte de paquet, tenu de sa main gauche, qu’il serrait sur son coeur que personne n'avait remarqué auparavant.
Et il s’est plongé dans la lecture patiente des miracles de saint Jacques pour enfin permettre de comprendre cette représentation. 
Un très grand merci à lui. C’est un bel exemple de recherche, il fallait y penser.