Saint Jacques Matamore, étape, n° 35


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 20 Avril 2020 modifié le 26 Février 2023
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En Espagne, saint Jacques apparaît dans une statuaire agressive qui surprend bon nombre de pèlerins étrangers. Quel rapport entre ce saint guerrier dont la monture piétine ses ennemis et le doux apôtre ? Pas forcément doux d’ailleurs puisque Jésus, dans l'Evangile, le nomme « fils du Tonnerre ».



D'un texte à une image

Le saint cavalier apparaît pour la première fois en 1120, dans une chronique qui raconte la victoire de Simancas en 938

« au cœur de la bataille saint Jacques l’apôtre est apparu dans l’air avec son épée, sur un cheval blanc, piétinant les escadrons de barbares ».

Vers 1150 un chanoine de Compostelle relate la légendaire « bataille de Clavijo » livrée en 844 par le roi Ramire contre les Sarrasins. Ramire refusait de livrer le tribut annuel de 100 jeunes vierges. La rencontre aurait eu lieu à Clavijo, dans un défilé rocheux ouvrant sur la plaine de Logroño. Au soir du premier jour, en haut d’une colline où il passe la nuit, Ramire désespère de la victoire. Saint Jacques lui apparaît en songe et lui promet son aide.

« Ne sais-tu donc pas que mon seigneur Jésus-Christ […] a mis l’Espagne sous ma protection ? Demain, vous et les Sarrasins me verrez, habillé de blanc, monté sur un cheval blanc et portant dans la main une bannière blanche ».

Saint Jacques apparaissant en songe au roi Ramire (église Saint-Jacques, Pau)

Bannière de l'Ordre de Santiago
Explicitement ou implicitement, cette aide de saint Jacques devint une référence constante au fil des siècles. Créé en 1175, l’Ordre de Santiago (Saint-Jacques de l’Epée Rouge- rougie du sang des Infidèles) fut placé sous son patronage. D’où la naissance de la première image du saint cavalier, brandissant son épée. C’est la Guerre sainte.

Les vierges aux pieds de saint Jacques (Compostelle, cathédrale, transept Sud)

Au XIIIe siècle encore, le saint représenté dans la cathédrale de Compostelle n’est que le sauveur des jeunes vierges qui, éperdues, sont prosternées à ses pieds.


Saint Jacques à Cacem

Au XIVe siècle, pour la première fois, l’Ordre de Santiago, à Cacem au Portugal ajoute les Sarrasins piétinés par les sabots du cheval.


Le mot « Matamore »

Au XVe siècle mot Matamore désigne parfois des patronymes, parfois un nom de village Valle de Matamoros, mais il n’est jamais accolé à celui de saint Jacques. Nulle trace dans les chroniques, y compris celle du Turpin, rien dans la grammaire castillane, du XVe siècle, étudiant la formation des noms composés

Attribué à saint Jacques, ce qualificatif apparaît au XVIIe siècle. La Reconquête est terminée et l’Ordre de Santiago, immensément riche, n’a plus personne à combattre. Villes et villages contestent les impôts qu’ils sont contraints de continuer à verser pour la Reconquête. C’est de cette époque que datent toutes les statues du Matamore qui émaillent l’Espagne, l’Ordre de Santiago et la cathédrale ayant à cœur de rappeler leur grandeur passée.

Et Cervantès inventa le Matamore

Cervantès, pour la première fois dans un texte, introduit le mot accolé à celui de saint Jacques.
Don Quichotte découvrant une statue montrant
« le patron des Espagnes, à cheval, l’épée sanglante, culbutant des Maures et foulant leurs têtes aux pieds »
s’écria :
« Oh ! Pour celui-ci, il est chevalier, et des escadrons du Christ ; il s’appelle don Diego Matamoros ».
Sancho :
« Mais pourquoi les Espagnols, quand ils veulent livrer quelque bataille, invoquent Santiago Matamoros ? »
Don Quichotte :
« Ce grand chevalier de la Croix-Vermeille, Dieu l’a donné pour patron à l’Espagne ».
 

Moins connu en France, le Matamore y est cependant présent —ainsi sur un vitrail de Saint-Jacques de Pau— puisque l’abbé Pleneau, prêtre en Gironde, déclare en 1919 en arrivant à Compostelle :
« je lui ai offert, au grand saint Jacques, mes hommages de Français pour toute la France victorieuse, parce que je suppose qu’il nous aura aidés à repousser le Boche hérétique, comme il aida jadis le vainqueur de Clavijo à remporter sa décisive victoire sur les Maures ».
Le Matamore représenté à Pau

Saint Jacques Matamore se retrouve plutôt sous la plume d’érudits au début du XXe siècle ; ils ont vu dans le mot un raccourci commode pour désigner le concept du saint combattant porté à la fois par les textes et par les images.
On peut se demander si son emploi ne s’est pas généralisé avec l’augmentation du nombre de pèlerins qui y ont trouvé une façon commode et imagée de décrire ces représentations de saint Jacques chevalier croisées sur leurs chemins.

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Cet article d'un site de la Fondation complète les informations  ci-dessus   
Et cette galerie présente quelques représentations du Matamore dont celle de la procession de Clavijo

Les Etoiles du Patrimoine Saint-Jacques du jour Etoiles :
Les représentations du Matamore forment plus qu'une Constellation, le terme " amas " s'appliquerait-il ?
Constellations :
Des Constellations par pays seraient intéressantes.
Si des pèlerins confinés connaissent des Etoiles, nous partagerons volontiers leurs informations.