Quand le Cantal reçoit l’Espagne, étape 83


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 3 Novembre 2020 modifié le 3 Novembre 2020
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Comme annoncé dans la Lettre 82, voici l'intégralité du discours prononcé à Saint-Jacques des Blats, par le docteur Delort, Conseiller général, le 14 août 1962, après la bénédiction d'une stèle en l'honneur des pèlerins de Compostelle.
La stèle est toujours honorée dans le village qui conserve un souvenir d'une autre initiative de l'abbé Jammet pour promouvoir le pèlerinage.



PÈLERINER RE-CONFINÉS   Etape n°83

Un discours prononcé en deux langues

En honneur de son hôte,  « le plus grand évêque d'Espagne », le docteur Delort a choisi de parler dans la
« langue de nos anciens, ... notre langue, notre patois, touché par le cousinage avec votre pays ».
Vous avez pu en lire le début dans ce patois local et sa traduction en français d'aujourd'hui dans la Lettre 82.
Cette Lettre, vous invite à lire l'intégralité de ce discours, le seul qu'ait  conservé l'abbé Jammet.

Discours du docteur Maurice Delort, Conseiller Général

Le docteur Delort avec l'abbé Jammet
 

« Je pense de mon devoir de conseiller général de Saint-Jacques-des-Blats de prendre la langue de nos anciens pour vous remercier de l’honneur que vous nous faites en venant dans nos montagnes, et pour vous dire combien nous apprécions aujourd’hui, ici, le prix de la présence du plus grand évêque d’Espagne.


Vous êtes venu, Monseigneur, avec notre évêque Maurice Pourchet pour bénir la pierre que vient de dresser notre curé l’abbé Jammet. Nous vous remercions tous les trois.

Cette pierre est levée pour rappeler à tout le monde que des centaines et des centaines de chrétiens sont passés sur cette route, les yeux levés vers les étoiles du Chemin de Saint-Jacques, pour aller à Saint-Jacques-de-Compostelle prier notre commun patron.

Cette pierre nous fait penser encore à tous ceux de notre pays qui sont allés en Espagne pour y travailler Les jours passés en Castille ou en Galice ont marqué notre pays.

Ici nous sommes un peu d’Espagne.

Notre langue, notre patois a été touché par ce cousinage avec votre pays, et si au-delà du Lioran on dit une vache un batsho, une chèvre uno tschabro, un chien un tschi, nous, nous disons et sommes fiers uno baco, uno cabro, un cho [Ko].

Ces voyages en Espagne ont marqué notre pays dans son costume. Nos anciens –devant Dieu soient-ils ! – portaient petite veste rase et grand chapeau bourru, et les châles et les foulards de nos grand-mères venaient d’Espagne.

Pierre rouge de saint Jacques !
Pierre levée de la croyance !
Pierre levée du souvenir !
Pierre levée de l’amitié entre nos trois pays : l’Espagne, l’Auvergne et la France,
Pierre trouée d’une étoile nous te saluons
Et maintenant que nous t’avons bénie, nous faisons promesse de te garder, en priant Dieu,

pour que tu sois toujours la Pierre de la Paix et de la Liberté ».


Emigrés ou pèlerins ?

En 2004, nous avions publié ce discours dans sa version originale et sa traduction* avec un commentaire succinct sur le tracé des chemins contemporains. Il mérite qu’on s’y attarde un peu plus longuement.
Le discours du docteur Delort a une dimension plus large. Peu lui importent les chemins, il s'intéresse aux hommes. A travers eux, il  donne à voir sous un jour nouveau comment les relations entre l'Auvergne et l'Espagne éclairent l'histoire du pèlerinage.

Conseiller général du canton et médecin,  le docteur Delort connaissait bien nombre de familles du canton de Vic-sur-Cère dont fait partie Saint-Jacques-des-Blats.
Dès l’introduction, il se fait le porte-parole de tous les émigrés cantaliens : « Ici nous sommes un peu d’Espagne ».
En leur nom, il laisse éclater sa joie et sa fierté de vivre un jour unique, celui où s’est inversé le sens des mouvements séculaires vers l’Espagne.

En ce 14 août 1962, c’est l’Espagne qui vient rendre visite à l’Auvergne.


Et quelle Espagne ! L’archevêque de Compostelle en personne a daigné s’arrêter dans cet humble village d’où sont partis tant et tant d’habitants pour gagner leur vie outre-Pyrénées.
Le bon docteur est émerveillé que ce jeune curé ait réussi à organiser cette journée. Il ratifie aussitôt la raison de cet événement, la bénédiction d’une stèle voulue comme un symbole des « centaines et des centaines de chrétiens passés sur cette route ». En est-il certain ?
En un temps où les extrapolations se sont déjà envolées vers des millions de pèlerins allant à Compostelle, il ne peut pas faire autrement qu’entrer dans l’imaginaire de l’époque mais il ne s’attarde pas.

Il revient vite sur les ancêtres émigrant en Espagne, auxquels il consacre une belle part de sa pensée. Comme il le dit, allaient-ils vraiment jusqu’en Galice ? N’allaient-ils pas plutôt en Castille où il y avait tant à faire et où ils retrouvaient des Galiciens émigrés comme eux et qui leur parlaient de Compostelle ?


Gravure d'Arsène Vermenouze

Le docteur Delort connaissait bien les œuvres d’Arsène Vermenouze, membre d’une famille de commerçants ambulants qui partaient jusqu’à Tolède ; laissant femmes et enfants, ils faisaient des campagnes de deux ans.

Avec des accents sortis du cœur, il les fait revivre et les associe à la cérémonie. Ils sont là, avec leur langue mélangée d’espagnol, et il cite avec délices les mots qui sont entrés dans leur patois d’Auvergne, soulignant ainsi que les exilés avaient bien été obligés d’apprendre à se faire comprendre. Ils sont là, avec leurs costumes à la mode espagnole, les femmes avec leurs « châles et foulards », précieux cadeaux rapportés de là-bas, remerciements d’être restées seules au pays pendant des mois.

Le docteur termine par une belle envolée lyrique, une longue invocation à la pierre devenue symbole d’une époque révolue,

une stèle symbole des trois amours des Auvergnats, « l’Espagne, l’Auvergne et la France ».


Après la fête

Les paroissiens ont tenu la parole du docteur Delort ayant fait « promesse de garder » cette pierre. Quelques années plus tard, elle a été renversée par un éboulement de la colline. Elle a alors été transportée dans le narthex de l’église où je l'ai photographiée en 2004. Elle s'y trouve toujours.

 
La stèle dans le narthex de l'église

Elle est entourée de deux panneaux, l’un racontant l’histoire de l’église, l’autre ce fameux 14 août 1962 :

Le 14 août de l’an de grâce 1962, son Eminence le cardinal Fernando Quiroga y Palacios archevêque de Saint-Jacques-de-Compostelle en Galice se rendant au Puy-en-Velay pour présider les fêtes du millénaire de la chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe a fait halte à Saint-Jacques-des-Blats en souvenir des pèlerins qui, pendant des siècles, ont parcouru ces chemins, et en hommage au grand apôtre dont le sanctuaire a attiré les foules pour les tourner vers l'étoile du Salut.
Son éminence le cardinal a célébré le saint Sacrifice en l'église de saint Jacques. Les paroissiens reconnaissants se sont tous unis à sa prière catholique, en cette année du Concile qui verra les fils chrétiens d'Europe et du monde entier se rassembler auprès du Père commun pour une rencontre de renouveau et de fidélité.


La croix de la place

Le pèlerin sculpté sur le fut de la croix

 

Le bon abbé Jammet a profité d’un accident survenu à cette croix dont le fût a été cassé en 1970. Il en a confié la restauration à un maçon du village, M. R. Rongier, sculpteur à ses heures. Il y a gros à parier que ce n’est pas du chef de ce dernier que la croix d’origine s’est vue dotée d’un fût tout neuf, sculpté d’un saint Jacques pèlerin surmonté d’un grand bourdon, lui-même surmonté d’une étoile…

Honnêtement, le sculpteur a daté et signé son œuvre : R.R. 1973. L’abbé Jammet a « honnêtement » oublié ce détail de date lorsqu’il recommande, sur le panneau du narthex de l’église : « Regardez la croix de la place, de 1667, avec l’effigie de saint Jacques en pèlerin ». Il sait bien que c’est une autre croix, la croix du cimetière qui porte cette date. Si le croisillon de la croix de la place portant le Christ est bien ancien, son fût ne date pas de 1667 ! Ce qui n’empêche pas d’admirer ce pèlerin sculpté dans un granit très dur. On peut penser aujourd’hui qu’il arrive des montagnes pour prier saint Jacques à Saint-Jacques-des-Blats. Tout cela date d’un temps où les curés ne s’embarrassaient pas forcément de vérité historique ! Et où l’administration ne s’y intéressait pas.


* Ici les deux versions du discours publiées en 2004 .
 

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