Institut recherche jacquaire (IRJ)

" Notre apôtre " en Tarentaise (Savoie), lettre 152


Rédigé par le 5 Janvier 2023 modifié le 30 Novembre 2023
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Le succès de la création de saint Jacques de Tarentaise a été indéniable puisqu’il n’a jamais été remis en question et qu'il subsiste à Saint-Marcel, une paroisse sous son patronage.



Saint-Marcel retable statue (cl. E. Deschamps).
Saint-Marcel retable statue (cl. E. Deschamps).

La première mention de la paroisse de Saint-Marcel, sous le vocable Saint-Jacques de Tarentaise date de 1170.
Mais c'est le roc Pupim, ses ruines et sa chapelle récemment restaurée qui en conservent le souvenir le plus fort car c'est le lieu où il aurait construit sa première chapelle.
Plus tard, les évêques de Tarentaise y construisirent un palais, protégé par un château-fort.
Il a survécu à la destruction du château et de la chapelle, il a survécu à la Révolution.

A partir de 1880, le culte a même été réactivé, concrétisé par la reconstruction de la chapelle Saint-Jacques à l’emplacement de la précédente.

Le 6 mars 1890, le pape a élevé la fête de la Saint-Jacques « au rite double de seconde classe » (une fête plus solennelle, mais pas très solennelle). Le couronnement a été le pèlerinage, relaté dans le bulletin du diocèse : 

Il est 9 heures ¼. Pendant que les échos de la vallée se renvoient le fracas des détonations des boîtes, Monseigneur, revêtu de la chape, portant la mitre et tenant la crosse, assisté de 34 prêtres, au nombre desquels 8 chanoines en habit de chœur, entouré de 200 personnes environ accourues de différentes paroisses du diocèse, procède à la bénédiction solennelle de la chapelle, suivant les prescriptions du rituel.
 
La bénédiction est suivie de la Sainte Messe célébrée par Sa Grandeur. Pendant la Messe, le Credo fut chanté à pleine voix par l'assistance tout entière. Ce chant en ce lieu, en cette circonstance, était une prédication éloquente et évoquait les plus touchants souvenirs. C'est en ce lieu, en effet, selon une tradition autorisée revêtant presque le caractère d'une certitude historique, que saint Jacques d'Assyrie, l'apôtre de nos ancêtres, les Centrons, bâtit la première église qui s’éleva dans le diocèse et chanta pour la première fois ce même Credo que nous chantons encore aujourd'hui. [...]
Gravure du château-fort du roc Pupim
Gravure du château-fort du roc Pupim

A l'issue de la messe, M. l'Abbé Richermoz, directeur des missions diocésaines, prononça le sermon attendu dans la circonstance. Il fit remarquer tout d'abord que l'érection de cette chapelle en l'honneur de celui qui nous apporta le bénéfice de la foi et de la civilisation, était un acte de justice et de gratitude, auquel on pourrait adresser le reproche d'être un peu trop tardif. Il remercie ensuite tous ceux qui, par leurs démarches ou leurs dons généreux, ont contribué au succès de l'entreprise. Une mention spéciale est due aux curés qui ont desservi la paroisse de Saint-Marcel depuis que le projet fut en voie d'exécution, [...
Le prédicateur fit ensuite à grands traits le récit de la vie de saint Jacques, qui fut successivement : soldat, moine de Lérins, sous la direction de saint Honorat, enfin missionnaire, thaumaturge et évêque de Tarentaise
« ...] Puisse-t-il, s'écria l'orateur en terminant, nous conserver cette foi qu'il est venu nous apporter de si loin !
Puisse-t-il comme autrefois refouler le paganisme, qui menace de nouveau de nous envahir ! »
La cérémonie est terminée. Chacun constate à loisir la beauté de l'édifice dont les vitraux surtout excitent l'admiration.
On adresse une dernière prière à saint Jacques, et l'on s'éloigne en se promettant d'y revenir souvent prier 
celui qui fut notre apôtre, et qui reste notre protecteur.
 
La Chapelle du roc Pupim
La Chapelle du roc Pupim

Naissance et localisation de légendes

Progressivement, les habitants se sont approprié le saint dont ils ont enjolivé les faits et gestes. Il est devenu un géant parcourant la vallée en long et en large. Ils ont créé une géographie de ses exploits, les villages surenchérissant dans le merveilleux des légendes qui se racontaient encore dans les chaumières.
En voici quelques-unes, choisies parmi celles rapportées par l’ethnologue Charles Joisten dans les années 1960, l’un des folkloristes qui ont arpenté la région en interrogeant tous les anciens et transcrivant leurs souvenirs.

Le rocher Pupim à Saint-Marcel

Saint-Marcel roc Pupim chapelle Saint-Jacques vue générale (cl. E. Deschamps). En rouge l'emplacement du château-fort.
Saint-Marcel roc Pupim chapelle Saint-Jacques vue générale (cl. E. Deschamps). En rouge l'emplacement du château-fort.
A part le rocher Pupim, situé sur cette commune de Saint-Marcel, aucun lieu n’est mentionné dans la Vie de saint Jacques de Tarentaise. Il est la pièce maîtresse de la légende, la résidence du saint et de ses successeurs. Ce rocher est un verrou escarpé, à une altitude de 666 m., qui surplombe un défilé de l'Isère. La première mention du château date de 1186. Premier miracle de ce « nouveau » saint Jacques, la fontaine Saint-Jacques, qui existe encore. Ce château-fort fut détruit en 1600 ; à son emplacement et avec ses pierres, fut construite la chapelle néogothique dédiée à Saint-Jacques-de-Tarentaise (1898-1903).

De son château, saint Jacques arpentait toute la région. Un jour, fatigué, il s’est arrêté à Hautecour, au-dessus du lac du lieu-dit La Léchère. Voici ce qu’on racontait encore dans la première moitié du XXe siècle :
« L'apôtre, après un repos, ayant laissé sur le roc l'empreinte de son corps, s'élança un jour, jusque vers sa demeure, sur le rocher des bords de l'Isère »
Bien sûr, un roc portant l'empreinte du corps de saint Jacques témoigne de l’authenticité du récit… et une chapelle Saint-Jacques marquait le lieu. Est-ce la chapelle du hameau La Cotterie ?
Nous ne manquerons pas de remarquer l’emploi du mot « apôtre » qui souligne la confusion entre les deux saints Jacques.

Autour du mont Saint-Jacques à Mâcot-La Plagne

Le Mont Saint-Jacques (Cl. Ph. Méa)
Le Mont Saint-Jacques (Cl. Ph. Méa)
Autre haut-lieu des exploits de saint Jacques, le mont Saint-Jacques (commune Mâcot-La Plagne).
Il culmine à 2407 m et il existe toujours une chapelle Saint-Jacques au sommet. Sur ce mont, les ruines d'une place forte construite par les Espagnols lors de l'occupation de la Savoie entre 1742 et 1749. Aujourd'hui on devine encore 5 rangées de fossés. La chapelle a été reconstruite au XVIIIe siècle avec les ruines de la fortification et on suppose que c’est elle qui a donné son nom à l'ancien mont-Benoît peu de temps après. On y montait en procession pour la bénédiction des troupeaux, ce qui ne peut manquer d’évoquer l’Epître de Jacques qui demande de prier pour « la conservation des biens de la terre ». On y allait aussi ou pour demander la pluie ; au sommet, une pierre était toujours recouverte d’un peu d’eau. Il fallait que l’extrémité de la croix processionnelle la touche pour être exaucé.

Du mont Saint-Jacques à la chapelle Saint-Sigismond

Aime chapelle St. Sigismond
Aime chapelle St. Sigismond
Saint Jacques et Satan se disputent la domination de la contrée. Satan propose une rencontre au mont Saint-Jacques et lui dit :
 
« De ce sommet, nous allons tous les deux nous précipiter dans l’espace. Si tu peux arriver jusqu’au rocher qui domine Aime, sur lequel tu as construit ton église, je m’avouerai vaincu et je te laisserai tranquille ».
 

Et saint Jacques vint s’agenouiller devant son église (aujourd’hui chapelle Saint-Sigismond) construite sur la colline Saint-Sigismond qui domine Aime. On y a vu longtemps l’empreinte de ses deux genoux. On dit que, de Macôt, on a vu le diable s’abattre dans l’Isère qui se mit à bouillonner ; il a été entraîné jusqu’aux confins de la Tarentaise.

Entre Landry et Mâcot (ou comment mesurer la taille de saint Jacques)

Les pieds sur chacun de ces monts, Saint Jacques assécha le fond de la vallée donnant à l'Isère son cours actuel.
Les pieds sur chacun de ces monts, Saint Jacques assécha le fond de la vallée donnant à l'Isère son cours actuel.
Il fut un temps où l'eau recouvrait en entier le bas de la vallée, c'est-à-dire la région comprise entre Landry, au Nord-Est et Mâcon au Sud-Ouest.
Saint Jacques, un pied sur le Mont Saint-Jacques (au Sud de l'Isère), l'autre sur Roche Thomas, ou Roche à Thomas, (au Nord, au-dessus de Granier), se baissa et but à l'Isère. Il aspira si fort qu'il amena toute l'eau de la rivière dans son lit actuel.
 

Une chapelle sans légende

A Villard de Sangot, au bord de l’ancien lit de l’Isère, une chapelle Saint-Jacques rappelle le souvenir du saint évangélisateur.

Le miracle des fèves

On raconte que saint Jacques revenait d'Italie, pourchassé par des ennemis et que ayant passé le Cormet (col) d'Arêches il  sema des fèves.
Peu de jours après, ses poursuivants arrivèrent sur les lieux et demandèrent à un berger s'il avait vu passer saint Jacques.
Ayant assisté à la  scène, il leur répondit :
« Oui, il est passé par là et il a semé des fèves ».
Mais ces fèves étaient en fleurs.
Elles avaient par miracle poussé en quelques jours. Ils firent demi-tour, pensant ne jamais pouvoir le rejoindre. 
Il existe encore une " croix du berger ". La légende mentionne un " lac des Fèves " qui reste à chercher ... ne serait-il pas le lac des Fées d’aujourd’hui ?  C'est un petit lac situé dans un pâturage à génisses non loin de la croix du Col du Cormet (d’Arêches) qui relie Aime à Beaufort.

Que reste-il aujourd’hui ?

Les légendes ne se racontent plus car ce saint de Tarentaise n’intéresse pas les pèlerins de Compostelle. Dommage car les miracles de l’un et de l’autre ont bien des points communs, qu’il serait possible de comparer.
Deux reliques de saint Jacques de Tarentaise sont signalées au XVIIe siècle, l’une à Hauteluce,
« En l'église d'Hauteluce, il y des reliques de Saint Jacques dans un des deux petits reliquaires d'argent, ayant la forme d'un ostensoir, aux côtés des reliques de sainte Marguerite-Marie »
L’autre, plus originale, est à Cléry : il s’agit de « fragments de la chair et de la peau, ainsi que des morceaux de vêtements de saint Jacques ».
Elles ne semblent pas avoir fait l’objet de pèlerinages.

Bibliographie

Vercoutère, Léon, En Tarentaise, Paris, 1933, t. II p. 65.
Joisten Charles, Récits et contes populaires de Savoie, Paris, Gallimard, 1980
Deschamps, Eric, Saint-Marcel en Tarentaise, retour vers le passé d'une commune de Tarentaise, Cleopas, 2006.
Penna, J.L., Wadier J.F., Présence de saint Jacques en Savoie, ARA 2021