Marie Mauron (1896-1986), connue encore aujourd’hui comme la « Colette provençale », en est l'auteur ainsi que d’une centaine de romans dont plusieurs ont reçu des prix littéraires.
En 1955, comme d’autres, profitant de la réouverture des frontières, elle est partie en « auto » avec quelques compagnons, parmi lesquels Luis Jou I Sinabre, le peintre, graveur et typographe catalan.
« Avec une même émotion, nous avons mis nos pas dans ceux des Jacquaires du XIIe siècle dont nous possédions tous le guide fidèlement réédité ».
Que savait-elle de Compostelle?
Comme eux, elle croit sans réserve aux « vraies routes marquées de coquilles et d'églises », aux foules de pèlerins qu'elle nomme du nom de son époque « les théories énormes de Saint-Jacquaires », auxquelles « la ville de Montpellier doit tout ». Elle ne doute pas de la réalité historique du pèlerinage du chevalier Bayard ni de celui de l’alchimiste Nicolas Flamel.
Aujourd’hui encore, la publicité pour Compostelle ne se nourrit-elle pas de ces croyances ?
« sans doute un désir ancestral qui voulait se réaliser ».
On la sent différente des intellectuels catholiques français chassés de Madrid par la guerre civile qui souhaitaient renouer des liens avec l’Espagne. Elle semble même se reprocher cette différence, et c’est à peine si elle souligne :
« je me sentais, dans ma curiosité, faire partie de ces romieux un peu déshonorés, un peu déshonorants dont parlent les vieilles chroniques, l’un de ces Gentils épris d’autre chose que de piété qui, à une faim d’art roman, joignent l’envie profane d’un voyage à l’étranger ».
« ... amour de la beauté parfaite,
cette forme de Dieu, que je portai de Provence en Galice,
mêlé à tant de contingences … ».
Que sont ces « contingences » qu’elle craint en Espagne ?
Au milieu de longues descriptions de merveilles architecturales, elle laisse éclater sa sensibilité par petites touches qui brossent un tableau saisissant des « villages si pauvres, […] des solitudes désertes, des « armoiries délabrées ».
Ainsi, dans la cathédrale de Burgos, une fois vues les splendeurs, elle s’attarde à regarder les « ombres ferventes et agenouillées […] leurs visages de pauvres […] ardents devant ces folles richesses ».
Elle s’émerveille : « Ils n’étaient qu’extasiés ».
A Covarrubias (Province de Burgos), elle note le contraste entre l’humble village et son église « si riche et si follement disproportionnée » et elle livre enfin une part de sa pensée personnelle :
« j’ai vu, senti au plus profond que ces villageoises agenouillées et adorantes se sentaient de la fête ».
De Támara (Province de Palencia), elle dit que même les « ânes sont las de vivre […] et les gens au teint fiévreux, sales, pouilleux » sont néanmoins attirés par la splendeur de l’église, seul luxe de leur indigence ».
En résumé, elle note simplement qu’il n’y a
« pas de révolte humaine, mais seulement la joie grave
qui met de la lumière sur la résignation ».
La pauvreté lui devient insoutenable : voici les voyageurs-pèlerins à Matalana (Province de León), « une suite de taupinières… avec des trous qui servent de portes et des tuyaux de cheminées faits de vieilles ferrailles. Ce sont des tanières humaines. Atrocité ! Faut-il que cet humain soit obstiné à vivre pour procréer dans ces trous infects ? ». Et plus loin « toujours ces céréales si chétives, ces murs pour enfermer cette lamentable indigence… ». « La montagne se fait noire ». A Bembibre (Province de León), ce n’est que charbon, que gens noirs, que stérile désolation des alentours de mines… ».
Puis voici une Galice
« où tout parle de misère sous un ciel qui parle de pluie ».
Des photos prises cinq ans plus tôt par un autre pèlerin, André Petit, montrent quelques personnes qui ne ressemblent pas aux descriptions de Marie. Différence de sensibilité ? La Galice sous la pluie invite au spleen…
Qui est cette pèlerine ?
A cette même époque se forme un groupe d'amis artistes et intellectuels résidant dans la région, Giono, Aragon, Edmonde Charles-Roux, André Chausson, Gérard Philipe, Jean Cocteau, les musiciens Pablo Casals, Schneider, le peintre, graveur et typographe catalan Luis Jou I Senabre, les peintres Picasso, Seyssaud, Chabaud, Serra, Baltus.
Sans doute stimulée par la richesse de cet environnement exceptionnel, Marie commence à écrire. Son premier manuscrit fut édité à Cambridge en 1934. Vient le Front Populaire. Héritier d’une longue tradition républicaine, le père de Charles est élu maire de Saint-Rémy. Charles, le sera à son tour en 1945. Il se sépare de Marie en 1947, laquelle poursuit sa carrière littéraire jusqu’à sa mort, en 1986.
Entretien téléphonique avec M. Moraine
Compostelle est « l’un de ces alibis politiques qui servent les mythes et reviennent dans l’Histoire ».
« Foi ou non, en Dieu, en saint Jacques ou en l’Art, quelque chose éclate au plus profond de nous. Seul le silence le traduit ».
Et le tombeau d’argent est vide. Mais justement ce qui l’habite, ce grand vide, c’est l’absolu que ces brasiers de foi et d’amour ont créé, comme Dieu créa de rien, de son amour, le monde. Si les os réels de saint jacques étaient là, leur poussière auguste serait limitée et finie. Dans l’intemporel elle s’agrandit aux dimensions sans limite des cœurs qui, siècle après siècle, l’ont faite présence.