Se costumer en pèlerine en 1882
L'une d'elles s’intitule « Gravure de travestissement ». Elle est présentée dans les Annexes du numéro de janvier 1882. Nous sommes après les fêtes, il s’agit de penser aux fêtes et aux bals de Carnaval. Sous le n° 4345 bis, elle propose quatre tenues, pour trois jeunes filles et un jeune garçon. Parmi elles, l’une est intitulée PÈLERIN.
Dans les pages suivantes, figurent toutes les indications à donner à la couturière pour réaliser cette tenue très soignée :
« Pantalon bouffant en flanelle ; chemise montante et à longues manches. Manteau de pèlerin en cachemire, drap sergé ou flanelle rouge, orné d'une bande gris feutre semée de coquilles ; pèlerine garnie d'une bande semblable ; long capuchon pointu avec doublure grise ; manche à parement-gantelet sur lequel est posé un petit biais rouge tendu. Ceinture de cuir jaune supportant une gourde. Chapeau minotier en feutre gris orné de coquilles
Il n’est pas besoin d’explication pour le bourdon, le dessin suffit.
S’il vous prend envie de réaliser ce modèle, voici quelques précisions techniques :
- Un « parement-gantelet » est une bande de tissu appliquée à l'extrémité de la manche ; sa forme s'inspire de la forme d'un gantelet, partie d'armure médiévale protégeant la main et le poignet.
- Le chapeau « minotier » est celui des meuniers. C’était aussi le chapeau des pèlerins. C’est un chapeau à large bords pour protéger de la poussière de farine (ou de la pluie). Celui-ci est relevé sur l’avant.
- L’aigrette est un type de héron, ainsi nommée parce qu’elle porte un bouquet de plumes (dit « aigrette ») dressé sur sa tête. Ici c’est un ornement fait de plumes de perroquet (ara) « couchées », placées horizontalement sur le chapeau.
- Le capuchon doit remplacer le chapeau en temps de pluie. Il est là pour rappeler la réalité : à l’origine, c’était un vêtement pour la route.
Ce costume semble un peu décalé par rapport à son époque où les pèlerins se faisaient rares et étaient plutôt considérés comme des semi-vagabonds vivant de la charité chrétienne.
Mais certaines de ces demoiselles avaient sans doute dans leur salon un portrait d’une belle et jeune ancêtre elle-même costumée en pèlerine.
Au XVIIIe siècle, pèlerins et pèlerines figuraient dans les bals de la bonne société
A la veille de la Révolution, le 19 juin 1783 à Versailles, les confrères de Paris furent ainsi invités à se produire « sous les yeux de la famille royale » et n’en furent pas peu fiers, car le fait fut consigné par un notaire : trois bourgeois de Paris « ont eu aujourd'hui l'honneur d'assister en habits de pèlerins sous les yeux du roi et de la famille royale à la procession du Saint-Sacrement en l’église Royale avec les confrères Pèlerins de la confrérie de Saint-Jacques » de la ville1.
Pour pérenniser les somptueux costumes, nombreux sont ceux qui ont fait appel à un peintre en renom, qui ajoutent bourdons enrubannés, gourdes et coquilles Saint-Jacques.
A cette belle marquise angevine ne manque que le bourdon (col. part.).
Le musée national de Varsovie conserve le portrait de la sœur de Frédéric de Prusse, Sophie Wilhelmine margravina de Bayeuth, dû au peintre parisien Antoine Pesne (1683-1757).
Ce fut un succès. La pièce est reprise en 1709 puis en 1724.« venez dans l'île de Cythère en pèlerinage avec nous. Jeune fille n'en revient guère ou sans amant ou sans époux ».
Watteau lance la mode avec ses costumes de pèlerines
En 1716, il compose encore trois dessins de costumes pour les personnages de la pièce des Trois cousines , dont l’un, destiné à l’artiste vedette est intitulé « Mle. Desmares jouant le rôle de Pèlerine ». (estampe ci-contre)
Ce dessin est ensuite multiplié en estampes gravées par Deplace
La signature de Watteau y figure « Watteau del » du latin delineavit qui signifie « a dessiné » ou « a conçu ».
A cette date de 1716, Watteau travaille déjà depuis plusieurs années à son « Embarquement pour Cythère ». Ses dessins de pèlerins ne seraient-ils pas des études pour cette toile ?
La pèlerine de l'encadré, un peu en retrait sur la gauche du tableau, copié ci-dessous, ne présente-t-elle pas des similitudes avec la pèlerine des Trois cousines ?
Peut-on dire qu'elles sont à l’origine de l’une des œuvres de Watteau les plus célèbres, couronnée en 1717 ?
Le tableau est en tout cas l'aboutissement de ses recherches sur le sujet. Il est bien le point de départ de la mode des fêtes galantes qui a amusé la noblesse pendant le règne de Louis XV.
« Quelques-uns portaient des gourdes à garder vin, d'argent massif et du plus fin. Certains avaient des aubes blanches et de beaux rubans dans leurs manches. Ils étaient couronnés de fleurs et leurs bourdons étaient ornés de tant d'émail et de dorures et de diverses enrichissures que, ma foi, le sceptre des rois parfois moins d'ornements ».
« Ils marchaient en belle ordonnance, montrant plus de réjouissance qu'ils n'en avaient montré jamais. On m'a dit que ce jour-là que, quelquefois à cause de leur amour de la Paix, ils exaltèrent la grâce de Dieu mieux que jamais. Ils banquetèrent, et burent bien des fois, vidant des tasses pleines, non seulement à la santé des deux rois, mais à celles, mêmement, des reines, et de leurs ministres aussi ».
Merci à Hélène qui, à partir d’une gravure de mode du XIXe siècle, a permis cette promenade en remontant le temps. Elle nous a fait toucher au monde, frivole et sérieux en même temps, du théâtre, de la fête, des confréries et de la noblesse des siècles précédents.
Mais elle a aussi permis de lever un coin du voile sur l'histoire de cette oeuvre de Watteau.
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Notes
2 - Loret, Jean, Muze historique, t.III, p. 237-238 (https://gallica.bnf.fr)
3 - Arch. Hte-Garonne, E 1604.
4 - Arch. mun. Bétune HH7, fol. 23 (copie du XVIe siècle). Transcription G. Lespinas, Les origines du droit d’association, Lille, 1941, t.II, p. 194-196.