Les discours et menaces des chanoines
En 1490, Jean de Tournai retranscrit intégralement le discours qu’il a entendu (en français modernisé) :
« Celui qui pose la moindre question a fait le pèlerinage en vain. Un des officiers de l’église, lequel avait une robe moitié blanche et moitié vermeille, dit tout haut en trois langues, latin, allemand et français que quiconque ne croyait pas fermement que le corps de saint Jacques soit enchâssé ou maçonné dans le grand autel, comme il est écrit sur le rollet que porte la statue qui est sur le grand autel, où il est écrit hic jacet etc… (ici repose…), celui-là a fait son pèlerinage en vain »
En 1512, Jehan de Zeilbeke se plaint encore de ce qu’« on donne à entendre que le corps de saint Jacques est sous le grand autel, mais on n’en montre rien aux pèlerins ».
En 1572, le roi Philippe II lui-même ne peut pas approcher du tombeau. On explique à son historiographe, Ambrosio Morales que c’est au XIIe siècle que l’archevêque Diego Gelmirez :
« a enfermé le corps du saint apôtre de telle sorte qu'il ne peut plus être accessible, car il était fréquent de le montrer aux rois et aux grands princes qui venaient de toutes parts pour le saint pèlerinage. Ce n’est que par faveur que les archevêques et les rois ont pu accéder à une crypte qui précède la salle murée du tombeau »
« L’autel majeur est creux, et dans le mur du côté de l'Evangile, il y a une petite porte fermée, qui ne s'ouvre que pour les archevêques, ainsi que pour les rois, et elle m'a été ouverte sur l'ordre de Votre Majesté. À l'intérieur, il y a deux grandes pierres plates sur le sol, et au bout d'elles, un petit trou, par lequel ne pourrait passer qu'une orange, et il est fermé avec de la chaux : cela mène au creux qui se trouve sous l'autel et ses grandes dimensions, et même au-delà de la chapelle majeure. Dans cette cavité se trouve le corps du saint apôtre dans son tombeau de marbre, tel qu'il a été découvert, ce qui est très célébré dans nos histoires et dans les privilèges des rois très anciens : et bien que toute l'église en dessous soit creuse, lorsque la crypte atteint la chapelle majeure, elle est bloquée par un mur épais pour garder fermé complètement le saint corps ».
Occuper les pèlerins
En compensation, les chanoines proposent de voir et toucher des objets ou des lieux en relation avec saint Jacques. En 1466, Léon de Rozmital le dit : « Après quoi on nous montra… »
Docilement, les pèlerins obéissent et, pour notre bonheur, racontent l’une ou l’autre fable qu’ils ont entendue.
D’où l’idée de tracer un itinéraire dans la vieille ville pour marcher dans les pas de saint Jacques, vivant ou mort.
- Dans la cathédrale, saint Jacques a vécu : il a posé là son bourdon, il y a habité et prié.
- Mort, il est arrivé de Padron : la fontaine aux bœufs le rappelle.
- Pélage a retrouvé son tombeau : on visite le lieu de vie de l’ermite.
- Un couvent a été construit pour garder le tombeau : on visite la chapelle, la Corticela (intérieur et extérieur).
- Lieu d’un miracle de saint Jacques : saint François a une révélation
- Retour sur les toits de la cathédrale : la gestuelle des pèlerins à la « croix des haillons ».
Le bourdon de saint Jacques
Léon de Rozmital est le pèlerin qui décrit le mieux ce bourdon et la raison de sa présentation :
« Après quoi on nous montra le bâton avec lequel le saint avait l'habitude de parcourir le monde entier, qui se trouve fixé à l'autel et recouvert de plomb. En effet les pèlerins en arrachaient de petits morceaux, de telle sorte qu'il aurait été entièrement détruit si le pape ne l'avait fait protéger à temps par une enveloppe de plomb. Plus rien de ce bâton n'est visible excepté la pointe en fer dont on peut toucher l'extrémité ».
D’autres, cherchant un peu plus de vraisemblance, disent que ce bourdon a été trouvé dans le tombeau. Pendant qu’on se trouve dans le Trésor, admirer le « chef » de saint Jacques et, sur son cou, l’emprise déposée par Suero de Quiñones (voir les lettre 20 et 34 dans « pèleriner confiné »). Et la statuette-reliquaire offerte par un bourgeois parisien au XIVe siècle, celle qui est portée en procession aujourd’hui lors des grandes fêtes. Elle contient seulement une dent de saint Jacques… (elle est décrite dans la lettre 20).
Le logis de saint Jacques et sa croix
Rua de Franco, 5. La fontaine des bœufs
La coquille qui surmonte la fontaine est la preuve d’appartenance au chapitre de la cathédrale.
Plaza Alfonso el Casto se trouvait Pélage quand il retrouva le tombeau
La statue est posée à l’endroit exact où Pélage priait lorsqu’il a vu des lumières en contrebas, dans un bosquet. Alphonse le Chaste était roi à ce moment et résidait à Oviedo. Prévenu, il prit aussitôt la route et se rendit sur les lieux. Il est donc le premier pèlerin venu à Compostelle prier sur le tombeau de saint Jacques. Il s’est trouvé là avec Pélage et l’évêque d’Iria venu lui aussi.
Cette statue est la copie d’une statue érigée en 1942 à Oviedo et offerte par la principauté des Asturies.
Cette légende est bien connue encore des habitants de Compostelle, qui se la transmettent de génération en génération. (merci, Ester Olveira Olveira !)
ALFONSO II EL CASTO
PRIMER REY PEREGRINO
LA CIUDAD DE OVIEDO A LA
DE
SANTIAGO DE COMPOSTELA
AÑO SANTO 1965
Sur la plaque posée plus tard le renouvellement de la fraternité entre les deux villes et, devant, une grande croix des anges. (cl. @alfonsoreycasto)
A l’extérieur et à l’intérieur de la cathédrale, la 1e église construite près du tombeau
Miracle de saint Jacques au couvent San Francisco
La première légende du pèlerinage à Compostelle apparaît au XIVe siècle dans un texte titré Actus beati Francisci et sociorum ejus, traduit ensuite en italien sous le titre Fioretti, puis en français sous celui de Les petites fleurs de saint François.
« Saint François, au début et à la fondation de l'Ordre, par dévotion, se rendit à Saint-Jacques-de-Compostelle. Etant une nuit en prière dans l’église de saint Jacques, fut par Dieu révélé à saint François qu’il devait établir moult couvents par le monde pour que son ordre se multiplie et croîsse en grande multitude de frères ».
« Quand notre Père saint François est venu visiter l’apôtre saint Jacques, il a été l’hôte d’un pauvre charbonnier appelé Cotolay dont la maison se trouvait proche de l’ermitage de san Payo au pied du mont Pedroso. Le saint passait ses nuits en prière sur cette colline où Dieu lui ordonna de faire bâtir un couvent à l’endroit qu’on appelle Val-de-Dieu et Val-d’Enfer. Sachant que ce lieu appartenait au monastère de Saint-Martin, le saint demanda au Père abbé de le lui céder en échange, chaque année, d’un panier de poissons. Le Père accepta et le saint signa un contrat, comme l’attestent les anciens de Saint-Martin qui l’ont vu et qui l’ont lu. Une fois l’endroit acquis, le saint dit à Cotolay : « Dieu veut que tu bâtisses un couvent pour mon Ordre ». Cotolay lui rétorqua que comment un pauvre charbonnier pourrait s’attacher à une telle entreprise. « Va jusqu’à la fontaine, lui répondit le saint, et là-bas Dieu te fournira les moyens ». Cotolay obéit et il trouva sur place un trésor qui lui permit de bâtir le monastère. Dieu bénit la maison de Cotolay qui fit un beau mariage et devint régent de la ville où il fit lever des murailles qui précédemment passaient à travers le quartier de l’Azabacheria et qui maintenant bordent le monastère de San Francisco. Son épouse a été enterrée à la Quintana et Cotolay, fondateur de cette maison, dans une urne qu’il a lui-même choisie. Il est mort dans la paix du Seigneur en 1238 »
d’octobre de l’année 1728.
Elle a été habilitée et on a commencé à
utiliser cette porterie le 13e jour
de juin de 1826.
Retour à la cathédrale : dévotions à la croix des haillons
« Le pèlerinage serait très inutile [si on ne se soumettait pas à ce rituel] puisque c'est par là qu'on gagne l'indulgence : les pèlerins montent sur une plate-forme élevée, ils attachent quelques lambeaux de leurs habits à une croix de pierre qu'on y a élevée ; ils passent trois fois sous cette croix par un endroit si étroit qu'ils sont contraints de se glisser sur l'estomac contre le pavé en courant les risques de se crever s'ils ont trop d'embonpoint ».
Aux mêmes époques, ce rituel se pratique à Padron au haut de la colline où saint Jacques s’était réfugié et à Muxia dans les pierres qui sont les débris du bateau de la Vierge venue visiter saint Jacques.
Sur les toits de la cathédrale, la disposition a changé depuis cette époque, la croix d’aujourd’hui est métallique. L’histoire qui affirme que là les pèlerins brûlaient leurs vêtements est moderne. Aucun document d’aucune sorte n’en parle.
Sources et bibliographie
- The Pilgrimage of Arnold Von Harff, Knight, from Cologne, through …. France and Spain, which he accomplished in the years 1496-1499, rééd. Malcolm Letts, 2010.
-Lalaing A. de, Le premier voyage d’Espaigne (1501-1502), éd. M. Gachard, Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, Bruxelles, 1876, t. I, chap. 23, p. 158-159.
- Jehan de Zeilbeke, Douai, bibl. mun., ms. 793… fol. 34 Livre de voyages de Messire Jehan de Zeilbeke, chevalier de Jérusalem, éd. Denise Péricard-Méa, Récits de pèlerins de Compostelle, éd. La Louve, Cahors, 2011, p.194 et svtes.
- Viage de Ambrosio de Morales… para reconocer las reliquias de santos, sepulcros reales, y libros manuscritos de las cathedrales, y monasterios, 1572, éd.Fr. Henrique Florez, 1765, p. 118 et svtes.
https://minerva.usc.es/xmlui/handle/10347/8267
-Le voyage de Jean de Tournai, éd. Fanny Blanchet, Denise Péricard-Méa, La Louve Cahors, 2012 (Valenciennes, bibl. mun. ms.493, fol. 291v°-292).
-Lopez, Atanasio, ofm, Archivo Ibero-Americano, Madrid, t.1, 1914, p.28-34,
https://ustdigitallibrary.contentdm.oclc.org/digital/collection/archibeamer/id/3183
-Beaulieu, Ernest-Marie de, fm cap, dans Etudes Franciscaines, Paris, t.16, 1906, p.66-69.
-Leon de Rozmital, De la Bohême jusqu'à Compostelle. Aux origines de l'idée d'union des Etats européens, éd. Denise Péricard-Méa, Biarritz, Atlantica Séguier, 2008.