Dernier jour à Santiago.
Je descends dans la crypte qui est un corridor très sombre. En m’aidant des murailles pour me guider vers la faible lueur d’une loupiotte qui m’indique le tombeau de l’Apôtre. Comme on le sait, celui-ci est protégé par une grille cadenassée qui empêche les visiteurs de trop s’approcher. Ce cercueil est recouvert de feuillure d’or qui resplendit sous ce faible éclairage. Les reflets dorés se prolongent sur la voûte et les parois de la grotte donnent un éclairage diaphane. Je suis absolument seul baignant dans un silence « sépulcral » ! Arrivé à quelque distance des grilles, je m’assieds à terre devant un pilier et pose ma tête sur les genoux. J’essaie de me concentrer, de réfléchir sur le sens à donner à tout ce que j’ai vécu sur le camino durant les semaines précédentes. Mon faible entendement me permet de ressentir seulement du vide ! Seul le silence et le vide m’entourent. Pourtant j’éprouve une sensation particulière. Je me sens bien, presque heureux sans raison objective. J’ai l’impression délicieuse d’être là où il faut au bon moment. Allez savoir pourquoi !
Puis il y a moi, le petit pèlerin, mal fagoté dans des habits usés, ayant appris à rester modeste en toutes occasions pour pouvoir être d’avantage au service des autres … Je suis surpris d’être aussi tranquille et rassuré. Peut-être parce que je suis, à ce moment-là, conscient d’être, de façon symbolique, le représentant de TOUS les pèlerins de Saint Jacques…
Je me souviens très bien que nous avons, tous les trois, vécu intensément ce moment unique. De mon côté va se produire comme un déclic. Je sais que quelque chose à ce moment a brusquement changé. Je ne sais pas encore quoi mais j’ai la conviction que quelque chose est arrivé. Je ne le découvrirai que plus tard ! Toujours est-il que, la messe terminée nous étions trois personnes très proches. Avions-nous partagé une même préoccupation ? En nous quittant nous nous sommes tous trois chaleureusement donnés l'accolade. Puis chacun est reparti de son côté…
Je me souviens m’être retrouvé dehors sur le parvis de la cathédrale. Le jour pointait, j’ai respiré une grande bouffée d’air frais avant de décider immédiatement de quitter Santiago.
Réminiscence
Au creux de la cathédrale, sous le grand autel, gît le corps de saint Jacques le Grand, avec deux de ses disciples, martyrs. Aucun homme n’y entra depuis qu’un saint évêque, qui y célébrait la messe chaque jour, seul, dans la crypte, seulement servi par des anges, suscita des doutes. Certains jaloux envoyèrent son neveu pour savoir qui servait la messe à son oncle. Celui-ci, descendu, perdit subitement la vue, qu’il recouvra par les mérites et les prières de son oncle. Après la mort de ce dernier, son successeur, voulant faire pareil, un jour descendit dans la crypte pour dire la messe. Il trouva sur l’autel six cierges qui brûlaient sans diminuer de hauteur (c’est en mémoire de ces cierges que six cierges brûlent continuellement sur le grand autel de saint Jacques). Cet évêque, se préparant à la messe et ceinturant son aube, coupa son corps en deux, et mourut misérablement. C’est pourquoi, à cause de ce miracle et de cette vengeance divine à l’encontre de celui qui voulait faire comme que le saint évêque, nul ne fut assez hardi pour oser y entrer.
Celui qui montre les reliques dit :
« Il faut croire que le corps de saint Jacques le Grand est sous le grand autel, sinon il encourra l’excommunication papale ».
Le récit d'Antoine de Lalaing a été édité sous le titre Le premier voyage d’Espaigne, Voyages des souverains des Pays-Bas, éd. M. Gachard, t. I, Bruxelles, 1876, p. 155-158.
Pour en revenir à R.P.
Il a un peu arrangé à la mode pèlerin la citation de Churchill, mais il n’a pas tort…
C’est un peu ça Compostelle, un plongeon dans l’inconnu qui marque plus ou moins selon les personnes.