Les dangers du chemin, au XXIe comme au XIIe siècle

Attention aux mauvaises rencontres


Rédigé par le 15 Avril 2009 modifié le 31 Mars 2020
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Le Bulletin Camino, bien connu des pèlerins, a publié début 2009 le cri du coeur d'une épouse dont le mari semble avoir fait une "mauvaise rencontre" sur son chemin vers Compostelle. Nous nous permettons de reproduire cet appel à un renouveau du pèlerinage. Lui fait suite la réponse faite à cette épouse par Denise Péricard-Méa, docteur en histoire, pèlerine en 1982 et 2001 et hospitalière en 1996.



L'appel de Béatrice

Pour compléter le tableau négatif de "l’évolution récente du Camino " de J.-L. L. qui constate la présence grandissante de "faux pèlerins" n'ayant aucune considération religieuse, j'aurais voulu pointer du doigt un comportement douteux dont personne n'a jusque là souligné la gravité.
Des hordes de femmes de tout âge et de toute nationalité confondent le chemin avec un club de rencontre et se servent du Camino, des églises et des prières, pour précipiter dans la chute le pèlerin parti dans une démarche de pénitence et qui mène un dur combat spirituel qu'il perd parce qu'il fait une mauvaise rencontre.
 
Qui sont ces femmes qui s'insinuent hypocritement dans le coeur et le corps de l'église et pervertissent ses membres comme le vers qui silencieusement pourrit tout le fruit ?
Elles sont sans vergogne et n'ont aucun scrupule, quel manque de considération pour autrui en ne songeant pas un instant au bien de l'autre. Lucifer est sur le chemin. Aucune femme aujourd'hui ne peut laisser partir son mari sur le Camino le coeur tranquille.

Il est urgent que l'Eglise regarde de près ce qui s'y passe, rappelle les dogmes, rétablisse les règles : s'assurer de la pureté de la démarche pour accorder la crédenciale. Encadrer les pèlerins par des aumôniers. (J’ai été frappée de voir ce 15 Août à Lourdes autant de jeunes prêtres en soutane, remarquables et qui conduisaient des pèlerins). Séparer hommes et femmes dans les refuges comme autrefois. (Difficilement réalisable, j'en conviens). Rappeler que l'Eglise attend de ces membres une conduite morale en accord avec leur foi… Sans ce respect, le Camino est une imposture. B. de C

Les conseils de Denise

A la fin du mois de mai, je participe à un colloque sur les femmes à Compostelle au Moyen Age. La lettre de Béatrice et les réactions me fourniront une jolie conclusion ! Je voudrais dire à Béatrice ce que je conseille à toutes mes amies :

« ne lâchez jamais votre mari tout seul sur ce chemin ! ».
J’ai toujours entendu dire qu’un mari, ça se surveille comme le lait sur le feu…

Mais non, il n’y a pas de hordes de femmes de tous âges qui guettent les pieux maris ! Mais il y a des maris bien heureux de lâcher bobonne sous un bon prétexte. D’autres, ou les mêmes, tout en priant (car l’un n’exclut pas l’autre) constatent avec plaisir que leur pouvoir de séduction reste intact. D’autres encore se font un devoir de rendre service à de pauvres femmes esseulées. Quant à voir ces pieux maris encadrés par de « jeunes prêtres en soutane », je ne ferais guère confiance non plus.

Satan aussi peut se cacher sous la soutane, soyons méfiant(e)s ! Je dirais aussi qu’il ne faut pas se voiler la face et faire de l’angélisme : tout le monde sait bien que cette recherche de « merveilleuses rencontres » cache aussi un grand marché du cœur. J’ai été moi aussi hospitalière et témoin de quelques histoires.

Témoin aussi en tant que pèlerine : je me souviendrai toujours de la rencontre avec un bon bourgeois de Lyon, raccompagnant pieusement à Pampelune une belle sud-africaine qu’il avait rencontrée à l’aller à Roncevaux ! Il avait raconté à sa femme qu’il avait été tellement pris par le chemin qu’il rentrait à pied ! Quel bon pèlerin… Mais je n’ai rien su du retour au bercail.

Ceci dit, des milliers de gens marchent sans qu’il ne se passe rien ! Tout ceci n’est pas nouveau : la littérature médiévale fait la part belle aux maris en rupture de ban, et aussi aux femmes poussant leurs maris à partir pour pouvoir mener joyeuse vie en l’attendant. C’est aussi pourquoi l’Eglise médiévale n’était pas toujours tendre pour les pèlerinages, ainsi qu’en témoignent quelques sermons de prédicateurs.

Et lisez (traduction française intégrale par Bernard Gicquel, la Légende de Compostelle, Paris, Tallandier, 2003) les pages du Veneranda dies du Codex Calixtinus sur les prostituées qui hantaient le chemin. Si Béatrice les avait lues, elle se serait méfiée, car l’humain n’a pas changé entre le XIIe et le XXIe siècle. Je voudrais lui souhaiter bon courage pour récupérer son mari, si c’est encore possible et souhaitable. Ce fichu pèlerinage est parfois un cruel révélateur.
 
Denise Péricard-Méa chargée de la recherche
Fondation David Parou Saint-Jacques