Les années saintes à Compostelle de Léon XIII à Franco


Rédigé par fondation Ferpel le 26 Septembre 2010 modifié le 1 Février 2024
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En complément de l'article sur les années saintes du XXe siècle, nous publions ci-dessous de larges extraits de la traduction du dernier chapitre du livre Los mitos del apostol Santiago de l'historienne Ofelia Rey-Castelao. Ils permettent de mieux comprendre le renouveau contemporain du pèlerinage avant son explosion à partir de l'année sainte 1993 évoquée par ailleurs.
La Fondation publiera, au début de 2011, la traduction intégrale de cet ouvrage.



L'ambition personnelle d'un cardinal a servi Compostelle

L'urne contentant les ossements découverts en 1879
Après la reconnaissance des restes de l’apôtre Jacques à Compostelle, le pape Leon XIII déclara 1885 année sainte extraordinaire, bien que l’année 1886 l’était également dans la séquence traditionnelle. Deux années saintes consécutives devaient favoriser l’objectif d’exaltation du culte apostolique après des décennies d’oubli et de décadence. Elles donnèrent l’occasion de mettre en valeur les ressorts traditionnels de l’Église de Compostelle, tout particulièrement l’offrande annuelle faite par la monarchie et, bien évidemment, les pèlerinages. Mais il n’était pas aussi facile que l’on pouvait le croire de redonner vie à des traditions tellement endormies.
Cette restauration du culte de l’apôtre fut l’œuvre de l’archevêque Paya Rico, un prélat qui avait atteint une certaine notoriété lors du Concile de Vatican Ier, et qui, ne s’étant pas montré hostile à la République dans l’évêché de Cuenca, dont il était le titulaire, était arrivé à Compostelle lors de l’année sainte, de 1875, qui se déroulait sans peine ni gloire. Comme d’autres prélats d’une époque caractérisée par la sécularisation, il souhaitait par l’intermédiaire des ecclésiastiques du diocèse et des organisations laïques, mobiliser d’importantes masses de fidèles qui rendraient visible la rechristianisation de la population.
    Les pèlerinages d’antan pouvaient jouer ce rôle dans le diocèse de Compostelle. C’est pourquoi il entreprit les fouilles qui conduisirent à la reconnaissance de 1884. L’un de ses gestes les plus significatifs, fut de donner une dimension collective à la découverte des restes en demandant à chaque diocésain une contribution pour le financement de l’urne d’argent qui les protégerait dès à présent. Il priva le chapitre de la cathédrale de la responsabilité exclusive d’organiser les années saintes et nomma pour cela une commission qui réunit à grand peine des moyens en faisant appel à des émigrés en Argentine et à des aides financières de prélats espagnols. À cet échec se joignit celui des pèlerinages, puisque l’on ne connait, dans les sources dont nous disposons, tel que le bulletin du diocèse, que le pèlerinage des «catholiques de Noia», auquel avaient participé 2000 fidèles et 150 prêtres, ces derniers referont le pèlerinage avec 1000 autres fidèles en 1886.
    Peut-être, le cardinal Paya lui-même est-il en partie, responsable de l’échec de projets si ambitieux ? Il n’était pas à Compostelle lors du passage entre les deux années saintes de 1885 et 1886, célébré en grande pompe et avec la présence des autres cardinaux. En réalité, il était plus intéressé par sa propre carrière que par son projet et résidait à cette époque-là à Madrid, où il avait été appelé par la reine veuve qui voulait s’assurer qu’il serait à Madrid lors de la naissance du futur Alphonse XIII, car il avait le grand honneur d’être le prélat qui le baptiserait. On ne doit pas oublier que le pape León XIII, en pleine campagne de revendication jacquaire, concéda au titulaire du primat de Tolède le privilège d’être aussi chapelain royal, même si ce titre était réservé aux archevêques de Compostelle. En 1886, au beau milieu de l’année sainte, Paya communiqua à son diocèse qu’il avait été promu à Tolède… Sûrement Gelmirez se serait retourné dans sa tombe.

La consolidation de pèlerinages espagnols

L’héritage de Paya Rico, fut reçu avec enthousiasme par son successeur, José Martin de Herrera. Au cours de son pontificat (1889-1922), on célébra cinq années saintes. De la sorte, ce prélat vit dans le pèlerinage une voie pour mener à bien l’action missionnaire, plutôt qu’une occasion de grandes célébrations. A la différence de son prédécesseur, il compta avec la collaboration du chanoine Antonio Lopez Ferreiro, qui rédigea un texte pour expliquer et justifier ce qu’il avait lui-même fait dans la crypte, afin de découvrir les restes mortels de l’Apôtre. À cette même époque, il préparait la gigantesque Histoire de la Sainte Apostolique et Métropolitaine Église de Saint-Jacques, qui prétendait retracer l’histoire définitive de la cathédrale et du culte jacquaire, document de premier plan pour la défense de Compostelle contre les oppositions aux nouvelles découvertes, notamment celle de Louis Duchesne, directeur de l’École Française de Rome .
    Lors de l’année sainte 1891, il y eut peu de pèlerinages, bien qu’il y eût des pèlerinages espagnols vers Rome…
L’année sainte 1897 s’organisât à l’avance sous la forme d’un projet cohérent pour les moyens de l’époque, elle n’attira pas non plus les masses, mais au moins on nota une affluence plus importante lors de la fête de saint Jacques et les jours suivants : il s’agissait surtout de pèlerinages qui provenaient du diocèse et de celui de Lugo ou du Portugal septentrional. L’archevêque avait invité les évêques, par l’intermédiaire d’une lettre pastorale du mois de décembre de 1896, pour qu’ils se rendent à Compostelle et pour qu’ils encouragent les pèlerinages dans les provinces ecclésiastiques. On souhaitait aussi passer des accords avec la Société des Chemins de Fer pour réduire les coûts du voyage.
La programmation s’intensifia entre cette année sainte et celle de 1909, au cours de laquelle José Martin de Herrera qui était déjà cardinal, opta pour ne pas encourager le pèlerinage au-delà de son propre diocèse et pour organiser les pèlerinages par archiprêtrés. Il les fit précéder de la célébration d’exercices spirituels destinée aux ecclésiastiques, aux missions populaires, aux catéchèses… Il est vrai que l’offrande du 25 juillet, récupérée pour promouvoir publiquement l’événement et pour servir de scène politique, fut présentée par le roi, Alphonse XII lui-même. Cela sera le seul fait extraordinaire avec le pèlerinage de l’archevêque de Westminster, accompagné d’une poignée de laïcs et d’ecclésiastiques. Néanmoins, cette année sainte coïncida avec la célébration de l’Exposition Régionale de Galice, ce qui lui donna une dimension touristique moderne.
    A cause de la Grande Guerre, on ne prévoyait pas une affluence de pèlerins étrangers pour l’année sainte de 1915. L’attention fut à nouveau portée seulement sur les pèlerinages galiciens, malgré quelques exceptions comme celles des chevaliers de l’Ordre de Saint-Jacques, des tertiaires dominicains, du Collège des Irlandais de Salamanque, du nonce papal et de plusieurs cardinaux qui étaient arrivés à temps pour la célébration de la fête de saint Jacques. Pourtant, le plan, qui serait appliqué dans le futur, était déjà échafaudé: ce plan comprenait la publication d’un guide, des rabais dans le prix du voyage en train ou en car, la création d’une commission pour le logement ou la diffusion d’un nouvel hymne de l’apôtre.
Ainsi se déroulèrent les années saintes de 1920, pour laquelle on publia le Mémorandum de son éclat radieux, et de 1926, que l’archevêque Diego de Alcolea commémora avec entrain. Cependant, il est étonnant que lors de l’année sainte romaine de 1925, saint Jacques et l’Espagne n’aient pas été présentés dans la grande exposition missionnaire organisée par Pie XI dans les galeries du Vatican, dont l’attrait essentiel était une collection de cartes qui signalaient les pays évangélisés par les apôtres.
   

Le calendrier sert la République

    L’une des périodes de 11 ans, qui séparent deux années saintes dans leur séquence particulière (qui se répète au bout de 6 ans, puis de 5 ans, ensuite à nouveau au bout de 6 ans et enfin de 11 ans) évita aux Gouvernements de la Seconde République qui supprimèrent l’offrande annuelle faite à l’apôtre, d’avoir à se prononcer sur cette célébration. L’année sainte de 1937 fut déjà célébrée dans le contexte terrible de la Guerre Civile et Franco en profita pour restaurer l’« offrande nationale », présentée dans la cathédrale par son frère Nicolas. Cette année fut l’occasion de nommer saint Jacques « saint patron de l’Espagne », de diffuser son image de Matamore chevauchant son cheval blanc, de déclarer le 25 juillet fête nationale, et d’envoyer à Compostelle des milliers d’officiers et de soldats du Mouvement Nationaliste. Ce ne fut pas en vain que cette guerre fut également une guerre de religion. Par ailleurs, dans ce retour vers le passé, on obtint du pape Pie XI, grâce à la requête formulée par l’archevêque, que l’année 1938 fût déclarée année sainte extraordinaire. L’offrande fut présentée par Serrano Suñer, et Franco visita en personne la cathédrale de Compostelle en tant que pèlerin…

Première ouverture internationale

Cette année-là et au cours des suivantes, une véritable floraison d’auteurs diligents servirent la cause de cette autre transformation de l’image de saint Jacques. En pleine guerre, de nombreux textes militants sortirent des presses et bien plus encore après la fin de la Guerre Civile. Ils utilisaient la tradition jacquaire comme une idée-force du franquisme. Ces textes enrôlaient saint Jacques dans la « croisade » et convertissaient Compostelle et Saragosse en des lieux de référence.
Franco relança les études sur Compostelle, ce qui permit d’ouvrir les Archives à des auteurs étrangers comme Jeanne Vielliard qui traduisit, en 1938, le dernier Livre du Codex Calixtinus sous le titre de Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle. Au cours des années 40, les initiatives se succédèrent: l’Institut d’Espagne convoqua un concours sur le thème de Saint-Jacques-de-Compostelle et l’œuvre de Vazquez de Parga, Lacarra et Uria gagna le concours et fut publiée. On relança aussi les fouilles de Chamoso Lamas dans la cathédrale (entre 1947 et 1959). On accueillit avec enthousiasme les chercheurs français, étant donné qu’ils pouvaient collaborer dans la reconstruction de la légende jacquaire et fournir au régime de Franco une voie de contact avec l’Europe : des travaux de recherche comme ceux du père David sur le Codex Calixtinus (1946-50); des expositions comme celle organisée à Madrid en 1950 par Marcelin Defourneaux et celle du millénaire de Godescalc, réalisée en 1951 par l’Institut des Études Galiciennes mais planifiée par Élie Lambert et Paul Guinard; des pèlerinages effectués depuis la France comme celui de 1949, organisé par l’abbé Henri Branthomme ; des associations comme la Société des Amis de Saint-Jacques-de-Compostelle fondée en 1950 par des intellectuels catholiques , ouvrent la voie à l'internationalisation contemporaine du pèlerinage.