Comment les diocèses de France ont-ils réagi à ce texte ?
Beaucoup d’évêques ont publié des lettres pastorales à cette occasion.
Ont-ils pour autant relancé les pèlerinages à Compostelle ?
La Lettre apostolique de Léon XIII, Deus Omnipotens
1- C. Prudhomme, Stratégie missionnaire du Saint-Siège sous Léon XIII, 1878-1903, p.1.
2- M. Launay, La papauté à l’aube du XXe siècle, Léon XIII et Pïe IX, 1878-1914, p.50.
3- Ibid. p. 126.
« C’est pourquoi, Nous confions et ordonnons à Nos vénérables frères patriarches, archevêques, évêques et autres prélats de publier solennellement ces présentes Lettres, chacun dans province, diocèse et cité, de la meilleure manière qu’il jugera à propos, afin que cet événement très heureux soit partout connu et que tous les chrétiens le célèbrent avec un zèle et une piété plus grande, et qu’ils entreprennent les pieux pèlerinages à ce saint tombeau, comme nos ancêtres avaient coutume de le faire ».
« dans les églises dédiées à saint Jacques ou désignées par l’Ordinaire, auront adressé à Dieu de ferventes prières par l’intercession de saint Jacques ».
1- Publiée dans l'ouvrage Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial, La Louve, 2009.
Les diocèses de France en 1884
Sont exclus les diocèses d’outre-mer (La Réunion, Martinique, Guadeloupe, Alger, Oran, Constantine) et quatre pour lesquels les informations manquent : Ajaccio, Maurienne et Tarentaise, Aire-et-Dax) ; d’autre part, il semble que les diocèses de Rodez et de Mende avaient une publication commune.
Réaction des évêques de France
Onze n’en ont pas parlé :
Dijon, Langres, Saint-Claude, Carcassonne, Perpignan, Limoges, Nancy-et-Toul, Soissons-et-Laon, Nice, Marseille, Valence.
Six ne disposaient pas encore d’un organe d’information régulier :
Moulins, Quimper-et-Léon, Verdun, Cahors, Gap et Belley.
Trente-trois ont publié une information parfois succincte, par exemple :
« A la date du 1er novembre 1884, Léon XIII a confirmé par des Lettres apostoliques le jugement porté par le cardinal archevêque de Compostelle sur l’identité des corps de saint Jacques-le-Majeur, des saints Athanase et Théodore, ses disciples. C’est un document précieux pour l’Espagne et une page nouvelle ajoutée à l’histoire de l’Eglise. »
Bordeaux, Chartres, Besançon, Nîmes, Tulle, Saint-Dié, Toulouse, Auch, Tarbes, Alby, Montauban, Bayeux-et-Lisieux, Séez, Evreux, Rouen, Angers, Laval, Le Mans, Amiens, Angoulême, Digne, Aix, Grenoble et Chambéry,
Le Puy-en-Velay, Sens-et-Auxerre, Saint-Brieuc-et-Tréguier, Tours, Blois, Châlons-sur-Marne, Versailles, Arras-Boulogne-et-Saint-Omer, Poitiers.
Vingt-huit diocèses ont publié, soit le texte du pape, soit une lettre de l’évêque, soit les deux, accompagnées ou non d’une information, selon des modalités diverses :
Sept ont donné l’information et publié la Lettre :
Agen, Montpellier, Pamiers, Coutances-et-Avranches, Beauvais-Noyon-et-Senlis, Fréjus-et-Toulon, Lyon.
Trois n’ont publié que la Lettre de Léon XIII :
Clermont-Ferrand, Rennes et Vannes.
Quatre ont donné l’information et publié une lettre épiscopale :
Autun-Châlon-et-Macon, Reims, Cambrai et Viviers.
Onze ont donné l’information, publié la Lettre et une lettre épiscopale :
Saint-Flour, Nevers, Orléans, Paris, Meaux, Rodez-et-Mende, Nantes, La Rochelle-Saintes, Avignon, Annecy, Luçon.
Un a publié la Lettre et une lettre épiscopale :
Périgueux-et-Sarlat
Deux ont publié une lettre épiscopale seule :
Bayonne et Bourges.
Ces réactions sont-elles représentatives de la pratique religieuse des Français à cette époque ?
L’appel au pèlerinage
Le premier s’adresse directement aux fidèles :
« et si l’occasion se présente pour vous d’entreprendre quelques-uns de ces pieux pèlerinages, en particulier celui de Compostelle que recommande le Saint Père, vous la saisirez avec empressement »
« MM. Les curés et aumôniers […] feront aussi connaître aux personnes qui en auraient les moyens et le loisir d’accomplir le pèlerinage de Compostelle qu’elles pourraient gagner ainsi un Jubilé, pourvu que leur pieux voyage ait lieu dans le cours de la présente année »(juillet 1885).
« Nous verrions avec plaisir que les paroisses voisines d’une église ou d’une chapelle dédiée à saint Jacques, s’y rendissent processionnellement en pèlerinage ; et les personnes qui feraient partie de ces pèlerinages pourraient, ce jour même, gagner l’indulgence plénière […] »
Des évêques appellent à visiter les églises dédiées à saint Jacques :
Périgueux-Sarlat, Saint-Flour, Châlons, Meaux, Rodez-et-Mende, Cambrai, Luçon, La Rochelle-Saintes, Viviers,
- ou les églises paroissiales :
Périgueux-Sarlat, Orléans, Cambrai, Luçon, La Rochelle-Saintes, Nevers.
A Châlons, l’église dédiée à saint Jacques ou une église quelconque,
A Nantes, l’une des églises ou chapelles publiques,
Parfois, l’évêque indique nommément les églises à visiter :
- Celui de Paris appelle à une visite dans les trois églises du diocèse sous le patronage de saint Jacques le Majeur : La Villette (aujourd’hui dans le XIXe arrondissement, place de Joinville, sous le vocable Saint-Jacques et Saint-Christophe), le Grand Montrouge (église paroissiale de Montrouge) et Aubervilliers (depuis 1902 église Notre-Dame-des-Vertus).
- Le diocèse de Tours, qui n’a pas publié de lettre épiscopale se réfère néanmoins à celle de l’archevêque de Paris, auparavant évêque de Tours jusqu’en 1871. Il invite à visiter les églises dédiées à saint Jacques.
- A Bayonne, s’il n’y a pas eu publication de lettre et si l’appel au pèlerinage à Compostelle n’a pas été relayé, pas plus que l’appel à un pèlerinage local, le diocèse a néanmoins publié la lettre épiscopale de l’archevêque de Paris !... précédée d’une note introductive, mais sans autre explication.
- Dans le diocèse de Rodez-et-Mende, l’évêque invite à se rendre dans une église dédiée ou bien à effectuer le pèlerinage dans le lieu le plus voisin qui possèdera une église ou chapelle sous le vocable de saint Jacques ; si le chef-lieu était très éloigné, hors du district ecclésiastique, l’église paroissiale servirait d’église stationnale,
- A Reims, l’archevêque indique deux dates distinctes pour la visite et le gain de l’indulgence : le 26 juillet 1885, fête de saint Jacques dans l’église Saint-Jacques de Reims, et le 15 août suivant, fête de l’Assomption dans toutes les églises paroissiales du diocèse.
- A Autun-Châlon- et-Mâcon, l’évêque désigne lui aussi les églises du diocèse dédiées à saint Jacques (Issy-l’Evêque, La Guiche, Milly, Crèches, Serrières, Saint-Romain-sous-Versigny) ou, à défaut, toutes les églises ou chapelles.
A Bourges, l’archevêque invite à la visite de l’église Saint-Bonnet, qui possède une relique de saint Jacques. Pour les paroisses ou communautés en dehors de la ville de Bourges, dit-il, la visite se fera dans les églises ou chapelles dédiées à saint Jacques ou dans les églises paroissiales.
Toutefois les fidèles des paroisses voisines de Sallanches (dont l’église Saint-Jacques possède une côte de saint Jacques) sont invités à y faire le pèlerinage pour « vénérer dans son église la relique qui y est conservée et entourée de tant de respect depuis plusieurs siècles.
Nota
Sallanches possède effectivement une relique mentionnée comme côte de saint Jacques le Mineur. Cet exemple montre bien que les deux apôtres sont confondus dans les dévotions des fidèles et même des évêques.
Les lettres épiscopales : quels enseignements ?
Il faut, en effet, évoquer le contexte politique marqué par l’installation, encore récente, de la IIIe République en France, par l’instauration d’un programme de politique républicaine lié aux lois Ferry et par l’anticléricalisme qui fut un des phénomènes majeurs du moment. C’est en 1880 qu’eut lieu l’expulsion des Jésuites et des Congrégations, en 1882 que fut votée la loi scolaire interdisant l’enseignement religieux dans les écoles primaires, en 1884 la loi sur le divorce…
Ces bouleversements sont souvent présents dans les Mandements des évêques et la presse religieuse en rend compte très largement :
« Le Saint Père, pour appeler sur l’Eglise, de plus en plus opprimée par la Révolution la protection de l’apôtre saint Jacques, a voulu que l’heureuse invention de ses restes sacrés fût célébrée par des grâces spirituelles dont tous les fidèles du monde catholique seraient invités à profiter… » (Périgueux-Sarlat),
« Ce n’est jamais sans un dessein providentiel que ces précieux trésors enfouis dans l’obscurité reparaissent à la lumière… » (Nevers, Luçon),
« Nous nous unirons aux sentiments dans lesquels les catholiques d’Espagne… entourent d’honneurs et de vénération les reliques de saint Jacques […] Nous protesterons ainsi contre les dégradantes doctrines qui ravalent au rang de la bête, sans conscience et sans personnalité, l’homme créé à l’image de Dieu… » (Autun-Châlon-Mâcon),
« Au milieu des luttes douloureuses que nous traversons […] en présence d’un pareil travail de décomposition intellectuelle et morale, n’est-il pas utile, n’est-il pas urgent de protester et de réagir au nom de la religion outragée, au nom de la dignité humaine oubliée, au nom de la famille et de la société, également menacées… » (Nantes).
« Combattre, sans exception comme sans crainte, les erreurs publiques, c’est rendre à la civilisation le plus signalé des services. Lorsqu’il voit (le Saint Père) monter le torrent de l’impiété, lorsqu’il le voit prêt à engloutir les consciences humaines, sa parole se fait entendre pour raffermir les âmes ébranlées… » (La Rochelle-Saintes).
Léon XIII, a-t-il contribué à relancer, en France, le pèlerinage de Compostelle ?
En France, le terrain n’était pas tout à fait vierge.
« Sans doute ce serait une entreprise chimérique que de prétendre rétablir le mouvement d’autrefois vers l’Espagne ! […] Si nous ne pouvons plus aller à Compostelle, qui nous empêche d’attirer Compostelle parmi nous, pour y relever le culte du grand apôtre ? ».
Autre exemple : peu de temps avant la redécouverte de Compostelle, en 1875, l’évêque de Quimper authentifiait une relique du sang de saint Jacques conservée à Locquirec, celle qui est encore honorée aujourd’hui.
« Dans de nombreuses paroisses, des prêtres, aiguillonnés par le combat laïque, sortent des églises, se transforment en ‘ hommes d’œuvres’ et s’engagent dans l’organisation de cercles d’études, l’encadrement de groupes de jeunes, d’associations sportives … ».
L’organe des pèlerinages : Le Pèlerin créé en 1873, n’accorde pourtant, en 1884, qu’une information succinte (et en quels termes !) à la redécouverte des reliques de saint Jacques :
« Ce n’est guère le moment de parler de pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle puisque les Espagnols nous ferment leurs frontières avec un soin féroce. Néanmoins, nous voulons publier un document important de la Cour de Rome … »
« Dans une famille bien ordonnée, les joies sont communes ainsi que les épreuves » souligne l’évêque de Viviers en 1885.
« une maîtresse science, l’art suprême » et qui eut, dès le début de son pontificat (1878) le désir de réconcilier l’Eglise avec les Etats, et selon l’un de ses biographes, le R .P. Lecanuet, de « persuader les chefs des peuples que le Saint-Siège peut leur concilier l’affection des multitudes […] concourir avec eux à l’apaisement des passions révolutionnaires qui menacent les Etats, monarchiques ou non … ».
C’est ainsi que Léon XIII s’employa particulièrement à consolider la société chrétienne en invitant les catholiques à prendre en compte les changements politiques. Cette attitude en faveur du « Ralliement » aboutira ensuite, en 1891, à la publication de l’Encyclique Rerum novarum, qui demeure l’un des textes majeurs de son pontificat.