Institut recherche jacquaire (IRJ)

Le miracle du jeune homme de Prato pardonné par saint Jacques dans le Légendaire Angevin Hongrois, lettre 132


Rédigé par Vitoria Laudisio Neira le 31 Mars 2022 modifié le 1 Avril 2022
Lu 300 fois



En novembre 2021, mon travail de recherche sur les miniatures de saint Jacques dans le Légendaire Angevin Hongrois a remporté le IVe Prix du mémoire de maîtrise sur le Chemin de Saint Jacques et les Pèlerinages, décerné par la Cátedra de l'Universidade de Santiago de Compostela1. Cette recherche était la synthèse finale de mes études en Histoire de l'Art médiéval à l'Université de Sienne (Italie) et reflète mes intérêts pour l'étude de manuscrits médiévaux, pour la religiosité et pour le culte des saints au Moyen Âge, en particulier celui de saint Jacques. Heureusement, je peux actuellement poursuivre mes études historiques, paléographiques et codicologiques à l'École d'Archivistique des Archives d'État de Florence, qui me donne les bases nécessaires pour aborder une partie des recherches que je m'apprête à vous présenter.

Le Légendaire Angevin Hongrois et les miniatures de saint Jacques

            Le Légendaire Hongrois Angevin est un somptueux manuscrit qui ne contient pratiquement que des images. Il a très probablement été produit dans les années 1330-1340 par un atelier d'origine bolognaise. Il raconte, à travers des miniatures et des titres très courts, la vie, la passion et les miracles de 56 saints, de Jésus et de la Vierge Marie.
La présence de saints nationaux et dynastiques (saint Ladislas, saint Emeric, saint Gérard de Csanád, saint Louis d'Anjou et saint Stanislas de Cracovie) a conduit à situer le Légendaire à la cour du roi de Hongrie Caroberto d'Angiò (1288/1291-1342). Malheureusement, le commanditaire de l’œuvre n'a pas encore été identifié, mais l'hypothèse la plus plausible est de designer le médecin de Caroberto, Giacomo da Piacenza (Jacques de Plaisance, †1348), grand bibliophile qui fut également évêque de plusieurs diocèses hongrois, médiateur du mariage royal entre Andrea de Hongrie (1327-1345) et sa cousine, Giovanna I d'Anjou (1326-1382, héritière du royaume de Naples).
         L'importance d'une étude sur les miniatures de saint Jacques dans ce manuscrit tient au fait que les légendes des saints identitaires de la cour angevine n'occupent que 24 miniatures, alors que celles de saint Jacques en occupent 72. La raison de cette dominance n'est toujours pas claire et c'est pour cette raison que je me suis concentrée sur l'analyse iconographique et hagiographique de chaque miniature.

Le miracle du jeune homme de Prato dans le Légendaire

Folio entier consacré au miracle de Prato (Vat. Lat. 8541 c. 38v )
Folio entier consacré au miracle de Prato (Vat. Lat. 8541 c. 38v )

            Sur les 72 miniatures jacquaires, seules 64 ont survécu. La légende de saint Jacques commence par l'illustration de sa vie, suivie de sa passion, de la translation de son corps en Galice et enfin de la narration de 12 miracles post mortem. Parmi eux, il y en a un qui a une origine indépendante du Livre de saint Jacques et qui mérite notre attention. C'est le miracle du jeune homme de Prato2:


Détail de la première miniature (Vat. Lat. 8541 c. 38v) Quomodo unus est false accusatus (comment il a été injustement accusé).
Détail de la première miniature (Vat. Lat. 8541 c. 38v) Quomodo unus est false accusatus (comment il a été injustement accusé).
         La première miniature montre le jeune homme devant un tribunal qui le condamne : le titre et la gestuelle des personnages éclairent la scène. L'histoire raconte qu'un jeune homme originaire de Prato - une ville toscane entre Florence et Pistoia - est traduit en justice pour avoir mis le feu à la récolte de son tuteur parce qu'il croyait qu’il voulait voler son héritage.

Détail de la deuxième miniature (Vat. Lat. 8541 c. 38v) Quomodo idem tractus est super cauda equi (comment il a été traîné sur la queue du cheval).
Détail de la deuxième miniature (Vat. Lat. 8541 c. 38v) Quomodo idem tractus est super cauda equi (comment il a été traîné sur la queue du cheval).
Le jeune homme a ensuite été condamné à mort au moyen de deux tortures. La première est illustrée ci-dessus : attaché à la queue d'un cheval, il est traîné sur un sol rocheux. Mais, s’étant confessé et repenti, il invoque la protection de Dieu et de saint Jacques et il est indemne.

Détail de la quatrième miniature (Vat. Lat. 8541 c. 38v) Quomodo hic firmat se populo nulam habuisse lesionem (comment il confirme au peuple qu'il n'a eu aucune blessure).
Détail de la quatrième miniature (Vat. Lat. 8541 c. 38v) Quomodo hic firmat se populo nulam habuisse lesionem (comment il confirme au peuple qu'il n'a eu aucune blessure).
La troisième miniature illustre la deuxième torture. Le jeune homme est mis au bûcher, mais il continue d'invoquer l'apôtre, qui le protège encore.

Le jeune homme survit donc aux deux tortures grâce à la protection du saint. Alors que les soldats s'apprêtent à le remettre sur le bûcher une deuxième fois, le peuple de Prato exige sa libération. La miniature représente le jeune homme indemne qui raconte le miracle au peuple, qui l’écoute avec émerveillement. La scène est mise en valeur par les gestes des deux hommes au premier plan.

Le miracle du jeune homme de Prato dans les recueils littéraires médiévaux

Ce miracle et ses miniatures présentent des particularités évidentes : l'absence de la figure de l'apôtre, l'absence de référence à saint Jacques, à la Galice ou au Chemin, et la fonction de saint Jacques réduite à celle de « médiateur » entre le peuple libérateur et le jeune pardonné. Mais où l'enlumineur a-t-il trouvé une telle histoire ?
Ce miracle est l'un des douze recueillis par Jacques de Voragine (Gênes, 1228-1298) dans sa Légende dorée. Il fut un hagiographe et historien italien, frère dominicain et archevêque de Gênes. À partir des années 1260, il se consacra à l'écriture d'un recueil de vies de saints (la Légende dorée), qui fut très diffusé - également dans des versions populaires - tout au long du Moyen Âge3.
L'auteur, pour donner à son légendaire un caractère plus pratique et moderne, a non seulement raccourci les histoires des différents saints, mais a décidé de transmettre à la fois les versions traditionnelles et celles qui lui sont contemporaines et de caractère local (c'est-à-dire en Italie).
C'est précisément dans ce contexte qu'il faut insérer le miracle de Prato : il se déroule dans une ville italienne, il est le résultat du culte de saint Jacques à Pistoia et il est contemporain de l'auteur puisqu’il date de 1238 :

L'an du Seigneur 238, la veille de Saint-Jacques, dans la place forte de Prato, située entre Florence et Pistoia, un jeune paysan, d'esprit un peu simple, mit le feu à la grange de son tuteur qui voulait le dépouiller de son héritage. Arrêté, il avoua sa faute et fut attaché à la queue d'un cheval. Mais s'étant voué à saint Jacques, fut traîné sur un sol pierreux sans que son corps ni même sa chemise eussent aucun mal. On l'attacha ensuite à un poteau au pied duquel on alluma un grand feu, mais il invoqua de nouveau saint Jacques et la flamme ne lui fit aucun mal. Les juges voulurent recommencer le supplice, mais la foule le délivra et on s'accorda pour louer Dieu et l'apôtre saint Jacques son serviteur.


Comme déjà mentionné, il est fortement lié au culte pistoien et c'est précisément dans un manuscrit conservé aux Archives d'État de Pistoia que je l’ai retrouvé (Documents divers 27). Ce manuscrit, daté du XVe siècle, comprend une collection de textes hagiographiques de saint Jacques et des documents relatifs à l'arrivée de la relique à Pistoia, des miracles qui ont eu lieu à cette occasion et ensuite, après la consécration de la chapelle dans la cathédrale.
Le texte est difficile à lire en raison de la cursivité de l'écriture et est plus détaillé que le récit de Jacques de Voragine. Le récit est le même, à l'exception de quelques éclaircissements : le miracle se termine avec le peuple assurant la sécurité du jeune homme (nommé Milone) et par la mention de la lecture de ce qu’il a vécu, faite par lui-même depuis la chaire de la cathédrale, pendant les fêtes de la Saint-Jacques, le 25 juillet 1238.

Le culte de San Giacomo (saint Jacques) à Pistoia

Aujourd'hui encore, les études pistoiennes se consacrent à la recherche de l'origine du culte dans la ville, qui a été officiellement établi en 1145 avec la consécration de la chapelle Saint-Jacques dans la cathédrale, grâce à l'arrivée d'une relique de l'apôtre provenant de Compostelle.
Dans un premier temps, l'historiographie considéra que l'achat de la relique avait été un simple outil politique pour apaiser les conflits entre la municipalité et l'Église, un objet pacificateur. Récemment, cette théorie a été revue par Lucia Gai, qui a placé l'introduction du culte en relation avec la politique pontificale d'Innocent II (p. 1130-1143) et avec les valeurs de l’Ordre de Vallombreuse prônées par l'évêque de Pistoia de cette époque, saint Atto (v. 1133-1153) .
 

Autel en argent de saint Jacques à Pistoia (divers artistes, 1287-1459, cathédrale de Pistoia)
Autel en argent de saint Jacques à Pistoia (divers artistes, 1287-1459, cathédrale de Pistoia)
Selon Lucia Gai, le culte et la relique ont été introduits à Pistoia avec l'intention de faire de la ville une « Compostelle mineure » pour ramener l'attention sur les chemins de pèlerinage de la péninsule italienne. Sa mise en place aurait déjà commencé vers 1138, pour apaiser des conflits au sein du diocèse. Néanmoins, la vacance de la chaire de Compostelle (1140-1143) et la mort subséquente d'Innocent II (1143) auraient ralenti la conclusion de l'affaire et la relique ne serait arrivée dans la ville qu'en 1145, apportée par les envoyés de l’évêque Atto, Mediovillano et Tebaldo. Par la suite, la consécration de la chapelle Saint-Jacques dans la cathédrale aurait eu lieu le 25 juillet.

Détail du sépulcre de l'évêque Atto : Mediovillano et Tebaldo apportent le coffre avec la relique de saint Jacques à Atto (Agostino di Giovanni et Giovanni di Agostino da Siena, 1330-1340, cathédrale de Pistoia)
Détail du sépulcre de l'évêque Atto : Mediovillano et Tebaldo apportent le coffre avec la relique de saint Jacques à Atto (Agostino di Giovanni et Giovanni di Agostino da Siena, 1330-1340, cathédrale de Pistoia)
L'histoire du culte jacobéen à Pistoia aide donc à comprendre pleinement le miracle analysé ci-dessus, compte tenu également de son caractère populaire et territorial. San Giacomo (saint Jacques), comme le montre la narration, est patronus de la ville de Pistoia et de son diocèse (qui comprend Prato) : il protège et pardonne à tous ses citoyens, tant ceux qui décident d’entreprendre le Chemin que ceux qui restent dans leurs propres villes, mais se vouent à saint Jacques, se confessent et croient aux pouvoirs miraculeux de l'apôtre.
         
 

Notes 1 à 4

Cliquer sur l'image ci-contre pour avoir accès à l'ouvrage cité dans les notes

Vitoria Laudisio Neira
Traduction Flavio Vandoni
président de l'Association " Amici del Cammino di Santu Jacu "