Le label « Communes Haltes-Chemins de Compostelle en France » (1), lettre 137


Rédigé par le 13 Juin 2022 modifié le 13 Juillet 2022
Lu 343 fois

En décembre 2021, l’Agence française des chemins de Compostelle (ACIR) appelait les communes du Chemin de Saint-Jacques à manifester leur intérêt à « se mettre en conformité avec sa ‘Charte des Engagements des Communes Haltes’ ». Dix-neuf communes ont répondu…
L'annonce suivante fut faite le 18 mai 2022 par le Conseil d’administration.



De l’utilité de l’histoire

« Enfin dévoilée, la première promotion de huit Communes Haltes-Chemins de Compostelle en France ! ».
Cocorico !!
Cet « enfin ! » sonne comme une victoire chèrement acquise. 

Mais qui se souvient que l'ACIR, née le 2 février 1990, avait remercié « les communes ‘Haltes de Saint-Jacques de Compostelle’ de leur détermination à s’engager dans une même volonté de renaissance des chemins de Compostelle », lors d'une grande manifestation à Aubrac le 25 juillet 1990 ?
Ces Haltes relevaient du « Centre de la Communauté Européenne Intercommunale des Haltes de Saint-Jacques-de-Compostelle » de Blaye, créé le 7 novembre 1987. Que s’est-il passé pour qu’il soit possible de saluer en 2022 une « première promotion » de huit Haltes, alors qu’il en a existé beaucoup auparavant ?
Le résultat de ma recherche d'une réponse à cette question fut un grand silence, fruit d'une sorte d’amnésie collective. La mémoire, riche pourtant de plusieurs acteurs toujours en vie, a parfois cette capacité d’oubli qui s’apparente à une amnésie post-traumatique. De rares textes d’archives permettent d’apporter quelques éclairages dans l’épaisseur de 35 années de nuit.
Mais il n'expliquent pas  l'oubli de ces véritables premières haltes..
 
Cet enthousiasme, inattendu, de l'ACIR est une occasion d’observer certaines étapes de l'évolution du monde jacquaire depuis 1987. Ce regard n’est pas sans apporter tout un lot de surprises. Je lui consacre cette lettre et la suivante en soulignant les événements les plus importants et en essayant d’en comprendre la genèse. Une troisième lettre s’avèrera sans doute utile pour tenter de comprendre les décisions actuelles.

La première « Halte de Saint-Jacques » est née à Blaye

Le 7 novembre 1987, la commune de Blaye est effectivement devenue le « Centre de la Communauté Européenne Intercommunale des Haltes de Saint-Jacques-de-Compostelle » dont une Charte avait déjà été rédigée. Dès le printemps, elle devint la première commune estampillée « Halte de Saint-Jacques » à offrir un gîte aux pèlerins et le resta jusqu’en1999 date à laquelle le bâtiment, ancien casernement, a été transformé en appartements. Il était resté dans son état premier, assez rudimentaire, lit de camp et douche.
On parle d’une centaine de communes d’Europe ayant adhéré dès l’année suivante.
 

Un point d’orgue à Compostelle en octobre 1987

Une nouvelle période de l’histoire du pèlerinage s’est ouverte lorsque le Chemin de Saint-Jacques fut défini comme le premier « Itinéraire culturel européen ». Cette décision du Conseil de l’Europe fut proclamée à Compostelle le 23 octobre 1987, par Marcelino Oreja, son secrétaire général.
Elle a vraisemblablement été contre-signée par les personnalités présentes à Compostelle figurant sur la photo suivante.

Personnalités présentes à Santiago. (Source : La revue Peregrino et Xacopedia, encyclopédie virtuelle sur le Camino de Santiago)

De gauche à droite, dans les rues de Santiago, près de la cathédrale :
Le prince Franz Josef II du Liechtenstein (chapeau à la main) et la princesse Georgina (cape sombre) ; il représente tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
Fernando Gonzalez Laxe, président de la Xunta de Galicia (avec des lunettes, entre le prince et la princesse).
Alfredo Conde, conseiller de la Culture à la Xunta (avec une barbe).
Javier Solana, ministre espagnol de la Culture (avec lunettes et barbe) ; 
Marcelino Oreja, (de profil et en costume sombre). 
 

Déclaration de Saint-Jacques de Compostelle 23 octobre 1987

Le sens de 1'humain dans la société, les idées de liberté et de justice et la confiance dans le progrès sont des principes qui historiquement ont forgé les différentes cultures qui créent I'identité européenne.

Cette identité culturelle est, aujourd'hui comme hier, le fruit de l'existence d'un espace européen chargé de la mémoire collective et parcouru de chemins qui surmontent les distances, les frontières et les incompréhensions.

Le Conseil de l'Europe propose aujourd'hui la revitalisation de l'un de ces chemins, celui qui conduisait à Saint-Jacques de Compostelle. Ce chemin, hautement symbolique dans le processus de construction européenne, servira de référence et d'exemple pour des actions futures.

[...]

Que la foi qui a animé les pèlerins tout au long de l'histoire et qui les a réunis en une aspiration commune, par-delà les différences et les intérêts nationaux, nous inspire aujourd'hui nous aussi et tout particulièrement les jeunes à parcourir ces chemins pour construire une société fondée sur la tolérance, le respect d'autrui, la liberté et la solidarité.


Immédiatement se sont multipliées les initiatives aussi enthousiastes qu’irréfléchies voire improvisées. L’Europe devenait plus concrète, à portée de pieds puisqu’il suffisait d’emprunter ces fameux chemins surgis miraculeusement pour qu’elle s’ouvre à tous.
Comment et pourquoi ces enthousiasmes ont-ils sombré progressivement dans les profondeurs de l’oubli ? Si la Déclaration de Compostelle avait été préparée de longue date, qui avait anticipé ses conséquences pratiques en dehors de l'Espagne ?

La lente maturation de cette décision

Il est vrai que ce projet de reconnaissance du Chemin de Saint-Jacques en tant que facteur de construction de l’Europe n’était pas nouveau. Même si ce n’est pas politiquement correct, peut-on dater sa naissance du 25 juillet 1948, lorsque Franco émit le voeu, à Compostelle lors de l’offrande à saint Jacques, que « le chemin de Saint-Jacques s’ouvre au-delà du Rideau de fer » ?
Puis ce furent, dans les années 60, les efforts du Ministre du tourisme espagnol, le Galicien Fraga Iribarne, pour faire de l’Année Sainte 1965 une grande année tournée vers l'Europe : restauration de tronçons du Camino francés et de certains monuments, pose de croix-balises, accompagnement en une sorte de caravane publicitaire de pèlerins venus en 1963 à cheval depuis la Provence, etc.
Une autre grande date : 1981. L’autonomie de la Galice permit d’intensifier la promotion de Compostelle hors des frontières. 

Couverture du catalogue de l'exposition de Gand
 
En 1985 la grande exposition organisée à Gand dans le cadre du festival bisannuel Europalia a été consacrée à l’Espagne (qui allait entrer dans l’Union Européenne). L'une des quatre expositions-phares, avait pour thème Santiago de Compostela, 1000 ans de pèlerinage européen.
Elle  remporta tous les suffrages
C’est à la suite de cette exposition que fut créé, par le Conseil de l’Europe, le « Comité d’experts du Chemin » qui s’employa à obtenir la décision de 1987.

Le Comité d'experts

Professeur A. d'Haenens (Belgique), M. R. de la Coste-Messelière (France), Professeur Robert Plôtz (R.F.A.), Professeur Paolo Caucci von Saucken (Italie), Professeur Manuel Díaz y Díaz (Espagne), Professeur Derek Lomax (Royaume Uni) sous la présidence du Professeur Alfred A. Schmid (Suisse)

 
 

Dans un atelier de montage d'une fusée Ariane
L’idée était excellente, mais elle portait en germe les désillusions futures.
Quand l'Europe a voulu faire la fusée Ariane elle a créé une organisation internationale, mis en place des centres d'études et d'essais et recruté des experts dotés de moyens adéquats.
En 1987, personne ne savait comment les chemins de Compostelle pouvaient contribuer à lancer la fusée Europe. Là, ni organisation ni moyens, seulement des experts.
 
Il a été admis que ces experts savaient tout sur tout et n’avaient rien d’autre à apprendre. Or, ils vivaient sur des hypothèses jamais encore vérifiées. En 1967, RLCM invitait pourtant déjà à la prudence et, en 1983 encore, il déclarait que le monde jacquaire avait « besoin de scientifiques » pour faire avancer les recherches. 1987 a transformé les hypothèses en postulats.

Dans la Déclaration de Compostelle, le Conseil de l'Europe avait tracé un programme en six points.

Le programme du Conseil de l'Europe
 

[...]

Pour cela, nous faisons appel aux autorités, institutions et citoyens pour :

1. Poursuivre le travail d'identification des chemins de Saint-Jacques sur l'ensemble du territoire européen ;

2. Etablir un système de signalisation des principaux points de l'itinéraire par l'utilisation de l'emblème proposé par le Conseil de l'Europe ;

3. Développer une action cordonnée de restauration et de mise en valeur du patrimoine architectural et naturel situé à proximité de ces chemins ;

4. Lancer des programmes d'animation culturelle afin de redécouvrir le patrimoine historique, littéraire, musical et artistique créé par les pèlerinages à Saint-Jacques de Compostelle ;
 5. Promouvoir l'établissement d'échanges permanents entre les villes et les régions situées le long de ces chemins ;

6. Stimuler, dans le cadre de ces échanges, la création artistique culturelle contemporaine pour rénover cette tradition et témoigner des valeurs intemporelles de l'identité culturelle européenne.

[...]


Aucune institution, aucun organisme n'a su, ou pu, s'emparer de ce programme et animer son exécution en Europe. Des initiatives dispersées ont été prises pour chacun des six points.
Mais personne, y compris les spécialistes, n’a réalisé que « lancer des programmes d’animation culturelle » ne permettrait jamais de « redécouvrir le patrimoine » : on ne peut animer que ce qui est connu à partir d’une recherche sérieuse et approfondie.
 
La prochaine lettre présentera l’implication de la France dans la concrétisation de la Déclaration de Compostelle du 23 octobre 1987.