La demande initiale
« On a beaucoup glosé, depuis des siècles, sur la venue de saint Jacques en Espagne. Mais, à la fin des fins, au bout du bout, que possédons-nous comme éléments ‘certains’ d’un séjour ou d’un voyage de l’apôtre en Occident ? Vu la quantité d’avis, de livres ou de thèses existant sur saint Jacques de Compostelle, je serais tenté de répondre : ‘rien’. Et je trouve assez extraordinaire qu’autant d’experts ou de savants trouvent autant de choses à dire sur des faits qui restent, malgré tout, assez largement hypothétiques.
Cependant, je me dis qu’autant d’encre déversée doit bien reposer sur quelque chose de tangible ou d’avéré. Comment et où trouver l’origine précise ? Peut-on débrouiller toute cette littérature et la réduire à une note explicative simple, une note de synthèse, de ‘référence’ en quelque sorte ? Mon idée n’est pas de susciter de nouveaux développements mais de préciser ‘la’ source, le texte (j’allais dire ‘évangélique’), permettant d’étayer ou de conforter un tel voyage ».
Aurais-je dû conforter notre ami dans sa déception et répondre que, en effet, il n’existe « rien » ?
Les historiens n'ont aucun élément « certain » ou « tangible » ou « avéré » de la venue de saint Jacques en Occident. Mais cette idée de remonter le temps pour « trouver l’origine précise » et en faire une « note simple » était une bonne motivation. Je savais notre ami allergique aux destructions massives des universitaires et tout particulièrement à celles de Mgr. Duchesne1.
Aux sources de la venue de saint Jacques en Occident
Aucun des nombreux textes espagnols n’évoque cette éventualité avant le VIIIe siècle. Les chercheurs se sont alors tournés vers l’Irlande dont on connaissait les missions évangéliques envoyées de Rome au VIIe siècle.
« Jacques, fils de Zébédée, frère de Jean, celui qui prêche l’Evangile ici en Hibérie (ou Hibernie) et dans d’autres contrées occidentales et versa la lumière de la prédication au couchant du monde ».
3 - Migne, Patrologie latine, t. 83, col. 51 et 1287 (du pseudo Isidore)..
5 -Boussard Jacques. « Histoire de l'Angleterre au Moyen Âge », École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1971-1972. 1972. pp. 411-420. www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1972_num_1_1_5755
6 - http://www.catholic.org/encyclopedia/view.php?id=3218
Le passage de l’Irlande à l’Espagne
En effet, à ce moment de son histoire, l’Espagne chrétienne se trouvait confrontée à deux périls : l’Adoptianisme, et l’Islam, le premier étant conséquence du second. Beatus a trouvé en saint Jacques un champion de l’orthodoxie, l’un des apôtres le plus proche du Christ, un guerrier, le « fils du Tonnerre » de l'Evangile. Dans son « Commentaire de l’Apocalypse » il énumère les missions réparties entre les apôtres et cite comme une évidence « Jacques reçut l’Espagne ».
La voilà, « La » source demandée par l’ami pèlerin !« Ô Apôtre très saint, véritablement digne,
Chef éclatant de l’Espagne,
Notre protecteur et patron dans la fleur de l’âge »
Le devenir de ce qu’il faut bien appeler la « légende fondatrice » du pèlerinage à Compostelle
Tous les éléments en ont été repris au XIIe siècle dans la Chronique de Turpin racontant la marche de Charlemagne vers la Galice, les aventures de Roland et du géant Ferragut, la défaite de Roncevaux, etc. C’est elle qui a fait connaître Compostelle dans toute l’aristocratie européenne par l'utilisation qui en fut faite, en 1165, lors du procès de canonisation de Charlemagne. Elle fut utilisée pour mobiliser les chevaliers européens pour participer à la Reconquista, mais tous n’allaient pas à Compostelle en partant guerroyer en Andalousie. Cette chronique prit valeur historique et fut même inscrite comme telle dans l’Histoire officielle de la France, les Grandes chroniques de France, au XIIIe siècle. De nombreux manuscrits du Turpin ont circulé dans l’Europe entière, portant loin les échos de Compostelle. Mais attention, ils n’ont pas jeté sur les routes des milliers (on n’ose plus dire « millions ») de pèlerins.
En même temps, se répandaient des textes relatant la Translation du corps de saint Jacques depuis Jérusalem, la re-découverte de son tombeau et le récit de ses miracles, l’ensemble étant rassemblé dans le Codex calixtinus conservé encore aujourd’hui dans les archives de la cathédrale de Compostelle.
Le sanctuaire atteignit le sommet de sa puissance sous l’égide du premier archevêque, Diego Gelmirez.
8 - Eginhard, La Vie de Charlemagne, éd. Et trad. Louis Halphen, Paris, 1967, § 15-16
Ces textes des origines ont été contestés
Linean P., History and the historians of medieval Spain, Oxford, Clarendon-Press, 1993, p.328-329
FIN DE LA 1ère PARTIE