Institut recherche jacquaire (IRJ)

La venue de saint Jacques en Espagne, 2e partie, lettre 158


Rédigé par le 31 Mars 2023 modifié le 3 Avril 2023
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La belle aventure jacquaire aurait pu s’achever en 1492, lors de la dernière bataille de la Reconquista, la prise de Grenade. La mission des chevaliers de l’Ordre de Santiago était terminée…
sauf que les chevaliers ne l’ont pas entendu de cette oreille, tellement ils étaient devenus puissants…
tellement que les Rois catholiques Alphonse et Isabelle se sont autoproclamés Grands maîtres de cet Ordre.



A partir de la fin du XVe siècle, les chevaliers se sont occupés à rappeler leur grandeur et leurs missions passées, en multipliant les constructions ostentatoires et en écrivant l'histoire de leur Ordre. Ils ont ainsi prétendu qu'il était né après la bataille de Clavijo en 844…
... alors qu'il a été créé en 1175 !

Seconde partie
Après 1492, la venue de saint Jacques en Occident
sculptée par l'Ordre de Santiago


Au XVIe siècle, un autre péril guette Compostelle

A cette époque, le confesseur du pape, le futur cardinal César Baronius (1538-1607), dirigeait les recherches historiques entreprises sur injonction du concile de Trente, à savoir éliminer du calendrier une bonne partie des trop nombreux saints critiqués par les Protestants et doter d’une histoire sérieuse ceux qui étaient reconnus. En 1584 est publié le nouveau Martyrologe romain qui, à la date du 25 juillet, met très clairement en doute la véracité de la légende compostellane1. Quatre ans plus tard, les Annales ecclésiastiques du même Baronius, reprennent les mêmes conclusions2
Le pape Clément VIII, en lutte contre le roi d’Espagne et de Sicile Philippe III, cautionne bien évidemment cette décision.
Conséquence immédiate : les villages qui étaient obligés chaque année de payer le Vœu de saint Jacques, au nom de son rôle de protecteur de toutes les Espagnes intentèrent des procès contre Compostelle. Ils refusaient de payer un impôt basé sur des faits non historiques.
Autre conséquence : la production d’une abondante littérature destinée à prouver l’historicité de la légende…

« Dos discursos en que se defiende la venida y predicacion del apostol Santiago en España. Sacados de la liberia de Juan de Velasco, condestable de Castilla… impressos por orden del rey
Deux discours défendant la venue et la prédication de l'apôtre Jacques en Espagne. Tiré du livre de Juan de Velasco, Connétable de Castille... imprimé par ordre du Roi »


Illustration d'ouverture de l'Histoire de saint Jacques de Castella Ferrer
Illustration d'ouverture de l'Histoire de saint Jacques de Castella Ferrer
En 1598, dom M. de Castella Ferrer avait commencé à rédiger une Histoire de saint Jacques qui fut publiée en 1610 avec “ approbation du roi, de l’ordre de Saint-Dominique et de la cathédrale de Santiago ”. Le livre s’ouvre sur une image de saint Jacques Matamore entouré de cette inscription
« Lumière et gloire de l’Espagne, son patron, son guide et son protecteur.
Défenseur de la Foi catholique3.
Luz y gloria de España, su patrona, guía y protectora.
Defensor de la fe católica
 »
Devant l'ampleur des réactions, en 1602, Rome corrige sa position dans un nouveau Bréviaire de la Vie des saints : saint Jacques est peut-être venu en Espagne, ce qui ne fut pas non plus du goût des Espagnols et n'interrompt pas leurs recherches4. Les batailles littéraires font rage, les livres sont de plus en plus volumineux.
 
Le jésuite Jean Mariana5 (1536-1624) publie en 1609 à Cologne Tractatus septem dont le livre I s'intitule De adventu B. Jacobi apostoli in Hispaniam  (de la venue de saint Jacques en Espagne) affirmant lui aussi que la tradition compostellane est authentique. 
La même année, la Chronique de Turpin fut détachée du Codex calixtinus : elle sent le soufre, il ne s’agit plus de laisser à Charlemagne une part de la gloire de la Reconquête… Tout le mérite revient aux chevaliers de Santiago.

Peu après 1611, l’éditeur espagnol Fr. Bivar alla jusqu'à publier de fausses chroniques prouvant de façon indubitable la venue de saint Jacques en Espagne. Dès leur publication l’authenticité de ces textes fut vivement suspectée. Une vive polémique s’engagea et l’affaire devint un fait politique. 

En 1626 les Cortès de Castille, pour marquer leur opposition à Philippe IV, roi depuis 1621, décident de dessaisir saint Jacques de son titre de patron de l’Espagne pour l’attribuer à sainte Thérèse d’Avila. 

En 1628, un chevalier de l’Ordre de Santiago, Francisco de Quevedo Villegas, réplique en publiant à Saragosse un « Mémoire pour le patronage de Santiago et de tous les saints naturels d'Espagne » (Memorial por el patronato de Santiago y por todos los santos naturales de Espana) qui présente la défense de saint Jacques ; son patronat sur l’Espagne est de droit divin et ne peut donc lui être retiré par des hommes.

Les visions de Marie d'Agreda

Un peu plus tard, entre 1637 et 1651, Marie d’Agreda (1602-1655), abbesse de son monastère franciscain de la Concepcion, à Agreda, proche de Saragosse, sujette à de fréquentes extases au cours desquelles elle s’entretenait avec les anges et les saints, développe longuement dans ses écrits6 ses visions sur la venue de saint Jacques en Espagne. Sont-elles liées à sa correspondance avec le roi Philippe IV, en difficulté avec le sujet ?
Selon les révélations que lui a faites la Vierge Marie, saint Jacques a séjourné « quatre ans, quatre mois et dix jours en Espagne », convertissant un nombre impressionnant de personnes au long de son périple qui l’a conduit de Carthagène à Grenade, Tolède puis au Portugal, en Galice, à Astorga, Logrono, Tudela, et Saragosse d’où il est reparti pour Jérusalem.
A Grenade, elle le sauva de méchants « juifs » puis le fit escorter par des anges : 

« Saint Jacques avec cette céleste escorte voyagea par toute l'Espagne. Il poursuivit sa route, prêchant en plusieurs endroits de l'Andalousie. Il alla ensuite à Tolède, et de là il passa en Portugal et en Galice, et par Astorga ; et après avoir parcouru diverses localités, il arriva dans la province de Rioja, et se rendit par Logroño à Tudèle et à Saragosse ».
 

 

Au bout de cette vue d’ensemble, je reprends les questions de départ. J’ai peur que notre ami ne soit déçu par cette avalanche de textes.
Comment et où trouver l’origine précise, demande-t-il ? Il n’y a pas vraiment d’origine, les hommes ont bricolé avec des phrases venues d’Orient, sorties de leurs contextes, interpolées dans des textes plus récents. J’ai bien trouvé une toute petite source, mais qui, si elle n’étaye pas grand-chose, a néanmoins engendré de grandes rivières. 

Une seule certitude, Compostelle, alors que tant d’autres sanctuaires ont disparu, surnage en surfant sur ce flot ininterrompu depuis des siècles. Ce doit être ça qu’on appelle Tradition : les choses fausses sont tellement anciennes qu’elles en deviennent vraies. Et l’homme a besoin de ces points d’appui. Ils sont là depuis si longtemps qu’ils ont pris racine, comme les lances des chevaliers de Charlemagne. Et certains en Galice ne désespèrent pas de trouver des preuves ...

J’ai tenté de « débrouiller toute cette littérature et la réduire à une note explicative simple, une note de synthèse ». Mais 16 000 signes pour une note de synthèse, n’est-ce pas un peu long ?

Et encore, je n’ai pas abordé toute la littérature des XIXe et XXe siècle, émanant l’une de Compostelle et du pape Léon XIII avec la reconnaissance des reliques, l’autre de Franco.
Mais ceci est une autre histoire.
Justifierait-elle une autre synthèse ?

Notes et complément

 
1- Baronius C., Martyrologium romanum, Rome, 2e éd.1589, p. 325
2 - Baronius C., Annales ecclésiastiques, Rome, 1588, trad. française, 1616, 2 vol., t.I, p.508 et t.II vol. 9 p. 189-190
3 - Castella Ferrer M., Historia del apostol de J.C. Sanctiago Zebedeo, Madrid, 1610           
4 - Ménard C., Recherche et advis sur le corps de S. Jaques le Maieur à l’occasion d’un oratoire très antien du mesme sainct qui est en l’esglie de St. Maurille d’Angers, Angers, Antoine Hernaut, 1610, p. 82.
5 - Dictionnaire de théologie catholique, Paris, 1927, art. Mariana.
6 - Victor Viala, résumé de la Vie divine de la Très Sainte Vierge Marie, manifestée par elle-même à la vénérable Marie d’Agréda, ou la Cité mystique de Dieu, Toulouse, 1935.

Sur les visions de Marie d'Agreda, revoir l'étape 45 du " pèlerinage confiné " proposé dans les lettres quotidiennes Pèleriner confiné :
https://www.institut-irj.fr/Avec-Marie-d-Agreda-45e-etape_a372.html