La coquille de Mireval

Sur une trompe, une coquille qui trompe énormément


Rédigé par le 15 Juin 2009 modifié le 31 Janvier 2022
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Un de nos correspondants, Henri Calhiol, habitant de Mireval, une petite ville de l’Hérault, fait partie des curieux qui refusent, a priori, d’associer toute coquille à une coquille Saint-Jacques et de faire de cette coquille un jalon sur le chemin de Compostelle. A cet effet, il se pose une série de questions à propos d'une maison de son village dans laquelle serait une coquille.



Les interrogations d'Henri Calhiol

La trompe décorée d'une coquille sous l'escalier de la maison
Mireval, petite cité héraultaise du XIIe siècle, anciennement fortifiée, est connue pour avoir appartenu à Marie de Montpellier puis, après son mariage avec Pierre II d’Aragon, aux rois d’Aragon et enfin aux rois de Majorque. C’est dans ses murs que fut conçu en 1207 leur fils, l’éminent Jacques le Conquérant qui marque d’ailleurs un attachement particulier à cette seigneurie en refusant, malgré les injonctions du pape, d’exécuter le testament de sa mère faisant donation de Mireval aux religieuses de Saint-Félix de Montceau.

 

       Après délabrement de l’église fortifiée du Moyen Age, une nouvelle église a été construite en 1900 dans les murs demeurés intacts du castrum initial qui est ainsi destiné à traverser les siècles.


 

       Dans l’enceinte du vieux village dans une rue antérieurement nommée « rue du Commandeur » (en référence au Commandeur de l’Ordre de Malte qui possédait à Mireval plusieurs biens bâtis et non bâtis) se trouve, à deux pas de l’ancien castrum, un étrange hôtel particulier certes modeste mais localement unique en son genre avec son entrée cavalière et son large escalier d’aspect monumental desservant deux étages. Au-dessous de cet escalier, en angle, on trouve un élément d’architecture « en forme de coquille » pointe en bas : les propriétaires en ont déduit, sans plus de preuve et peut-être un peu trop hâtivement, qu’il s’était agi là d’un relais d’étape pour les pèlerins en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle. C’était d’autant plus facile qu’un document cadastral du milieu du XIXe siècle cite à plusieurs reprises un « chemin romieu » qui était jadis une voie de contournement du village et dont l’appellation renvoie à l’évidence à un passage de pèlerins.


 

       Un document conservé aux Archives Départementales de Montpellier fait état de la donation par le Roi Louis XI en 1482, à Guillaume de Lacroix, son Intendant des Guerres, de son « hôtel et maison de Mirevaux » : pourrait-il s’agir du modeste hôtel particulier à la coquille ? Rien de l’indique mais on peut témérairement le supposer en l’absence dans le village d’autre immeuble pouvant correspondre à l’expression « hôtel et maison ».


 

      


 

       Ceci posé, trois questions viennent à l’esprit :


 

       - Avant d’appartenir au roi de France Louis XI, cet hôtel particulier a-t-il pu appartenir au Roi Jacques le Conquérant ? Et si oui, faut-il voir au travers de cette coquille un choix de ce dernier monarque qui avait, on le sait, une dévotion particulière pour saint Jacques ?...


 

       - Si ce bien a appartenu à Louis XI, faut-il y voir la marque de son attachement au Mont Saint-Michel (il y fit trois pèlerinages), lui qui fonda l’Ordre du même nom dont le collier comportait, comme on le sait, huit coquilles « de Saint Michel » ?...


 

       - Fut-ce une marque affichée par le donataire, Guillaume de Lacroix ? Ce dernier ne semble cependant pas avoir fait partie de l’Ordre de Saint-Michel. Avait-il fait, comme certains de ses contemporains, le voyage à Compostelle ?...


 

      


 

       Mais une autre question mérite d’être tranchée : cette coquille était-elle ou non la marque d’un relais pour les pèlerins en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle ou de retour et empruntant une variante du Grand Chemin d’Arles ? Ces pèlerins étaient-ils habituellement logés dans le plus noble des habitats des villages traversés ? On a peine à le croire…


 

       Au-delà de toutes ces hypothèses qui soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses, ne s’agirait-il pas plutôt d’un simple élément décoratif d’architecture intérieure couramment rencontré et nommé « trompe» : « petite voûte formant support sous un ouvrage ou sous un pan de mur en surplomb et permettant un changement de plan à un niveau quelconque de la construction »1 ?


 

      


 

       Henri Calhiol


 

              1 Pérouse de Monclos, J.M., Architecture. Vocabulaire, Paris, Imprimerie Nationale, 1989.


 

         Cabanot, J., Petit glossaire pour la description des églises, Talence, éd. Confluences, 1995.


 

       


 


Les commentaires de Denise-Péricard-Méa

L’hôtel particulier de Mireval existait peut-être au XVe siècle mais son aspect actuel le date plutôt du XVIIe siècle. Aucun autre document historique ne permet de répondre aux questions soulevées par notre correspondant. En revanche, sa dernière hypothèse est tout à fait pertinente, il s’agit bien d’un élément d’architecture dont la fonction principale est d’être un support mais qui peut en outre être utilisé à titre décoratif. Mais il est impensable qu’une telle trompe ait pu servir d’enseigne, puisqu’elle est placée à l’intérieur. De surcroît, il serait curieux qu’un tel hôtel particulier ait été utilisé comme auberge.
Cette petite étude est l’occasion de rappeler que les coquilles, si séduisantes soient-elles en évoquant aujourd’hui le pèlerinage de Galice, ont toujours été un simple élément décoratif. La tentation est grande de forcer la note, ainsi que le prouve l’image ci-jointe, provenant… de la cathédrale de Compostelle ! Au XVIIe siècle, deux « trompes » de la chapelle de Notre-Dame du Pilier, marquée jusqu’à l’outrance des insignes de l’Ordre de Santiago, sont habillées d’une coquille Saint-Jacques timbrée de l’épée rouge. Une seconde image, provenant de l’église du cimetière de Noia, montre comment la voûte entière d’une chapelle funéraire a été conçue comme une coquille. Dans ce cas on peut imaginer que cette coquille a été construite en référence au personnage de saint Jacques vénéré comme passeur des âmes. Mais il vaut mieux se garder d’imiter les Galiciens.
Il est bon de rappeler aussi que les innombrables « relais pour les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle » n’auraient eu de raison d’exister que s’il y avait eu des foules de ces pèlerins sur les routes, ce qui est faux. Certes, il y avait des pèlerins qui circulaient dans tous les sens, mais dans un rayon proche de leur domicile. Et aucun texte ne parle de bâtiments qui leur aient été réservés, ils étaient logés à la même enseigne que tous les autres voyageurs. Cette notion de spécificité ne date que des années 1950, ce qui a entraîné la création contemporaine de gîtes réservés à ces modernes pèlerins.
Il est curieusement dit que le chemin romieu, qui indique un passage de pèlerins contourne le village. Cela est peu cohérent avec l’hypothèse d’un accueil au cœur du village et renverrait plutôt à un lieu d’hospitalité situé comme souvent hors les murs.


Exemple d'une trompe décorée d'une coquille dans la chapelle de Notre-Dame du Pilier à Santiago

Eglise du cimetière de Noia,  voûte entière d’une chapelle funéraire conçue comme une coquille. Ce symbole est bien en harmonie avec la vénération de saint Jacques comme passeur des âmes.