La Valeur Universelle Exceptionnelle des chemins de Compostelle en France


Rédigé par le 23 Décembre 2017 modifié le 16 Mai 2023
Lu 1369 fois



Deux définitions des chemins de Compostelle en France

Pour le pèlerin le mot " chemins " recouvre toutes les voies qu'il emprunte pour se rendre à sa destination.
Dans le contexte de l'Unesco, les " Chemins de Compostelle en France sont " un Bien unique composé de 7 tronçons du GR 65 et 71 monuments ou ensemble immobiliers. On compte parmi eux : 9 cathédrales, 43 églises ou basiliques, 1 dolmen, 7 abbayes et 7 ponts, 1 porte de ville et 4 anciens hôpitaux. Ce Bien inscrit en décembre 1998 porte le n° 868.
Les mots peuvent donc être trompeurs.
Que peut comprendre le public non averti qui entend parler d'inscription des chemins de Compostelle au Patrimoine mondial ?
Où sont les préoccupations communes aux pèlerins et à leurs associations et au ministère de la Culture, aux directions des Affaires culturelles, aux services départementaux qui s'intéressent au Bien  ?

Comment définir la valeur universelle d'un bien ?

L'idée de Valeur Universelle Exceptionnelle des biens inscrits au Patrimoine mondial était présente dès le début du processus de définition d'éléments du patrimoine à protéger puis à sauvegarder.
- La première mention que nous avons trouvée, dans les documents publiés sur Internet, date de 1970. Elle concerne  la VUE reconnue lors de l'inscription des Causses et des Cévennes dont " le petit patrimoine et l'activité agricole toujours présente sur le massif sont des éléments majeurs ".
- Une seconde mention se trouve en 1972, dans la Convention pour la protection du Patrimoine mondial, culturel et naturel : chacun des Etats adhérant à la convention " soumet une liste des biens qu'il considère comme ayant une VUE en application des critères qu'il aura établis ". Il faut ensuite attendre les années 1990 pour trouver d'autres mentions sur Internet.
Dans les années 1970, chaque mot, valeur, universel, exceptionnel, était pris dans son sens courant. Cette compréhension " basique " était à l'évidence insuffisante pour permettre à des personnes d'origines et cultures les plus variées d'aboutir à des positions communes sur des biens eux-mêmes d'une extrême diversité
L'Unesco engagea donc un très long processus d'échanges entre experts pour aboutir à des critères de VUE puis à deux définitions complémentaires.
La première donne le sens de l'attribution de la VUE à un Bien. La seconde définit les conditions de validité de la VUE.
 

Critères de sélection

Définir des critères apparut comme une première étape, une sorte de " métalangage " facilitant les échanges. Deux experts  peuvent facilement se mettre d'accord sur la satisfaction du critère iii, mot nouveau de ce langage inaccessible à qui ne fréquente pas les dossiers de façon habituelle.
Ces critères furent adoptés alors que des Biens (monuments, sites naturels, ou autres) avaient déjà été inscrits. Ce fut le cas par exemple des Causses et des Cévennes. (L'étude de leur situation actuelle n'a pas été faite pour cet article).  Ceci conduisit l'Unesco à distinguer entre deux catégories de Biens, ceux qui avaient la VUE et ceux qui ne l'avaient pas et qui devaient l'acquérir de façon rétrospective. Les chemins de Compostelle en France furent dans cette catégorie jusqu'en juillet 2017.
Pour figurer sur la Liste du patrimoine mondial, les sites doivent avoir une valeur universelle exceptionnelle et satisfaire à au moins un parmi dix critères de sélection
Consulter la liste des critères de sélection.

Deux définitions données en 2005

En 2005, cette liste de critères a été complétée de deux définitions (VUE_whc08-32com-9f.pdf) :

" La valeur universelle exceptionnelle signifie une importance culturelle et/ou naturelle tellement exceptionnelle qu’elle transcende les frontières nationales et qu’elle présente le même caractère inestimable pour les générations actuelles et futures de l’ensemble de l’humanité ".
et
" Pour être considéré d’une valeur universelle exceptionnelle, un bien doit également répondre aux conditions d’intégrité et/ou d’authenticité et doit bénéficier d’un système adapté de protection et de gestion pour assurer sa sauvegarde ".
Cette seconde condition est à l'origine des difficultés connues par le Bien 868 dont il fut dit, un temps, qu'il était menacé de désinscription.

Le cas des Chemins de Compostelle en France - Bien 868

Prétendre que les chemins de Compostelle en France sont inscrits au Patrimoine mondial, comme cela fut inscrit sur des plaques de marbre n'est qu'un artifice de présentation. Feindre d'y croire n'a été qu'un avantage de courte durée flatteur pour ne pas perdre la face vis à vis de l'Espagne.
L'ambiguïté de la rédaction des plaques cache l'inscription de 71 monuments rassemblés sous le nom d'un Bien unique, à une époque où la VUE n'était pas définie comme elle l'est actuellement. Bien unique, il a des composantes disparates qui doivent toutes répondre aux exigences de la seconde définition. Les échanges entre l'Unesco et la France ont conduit le ministère de la Culture à prendre des mesures donnant à l'Unesco des gages de sérieux. En 2013, le préfet de la Région Midi-Pyrénées a été nommé préfet coordonnateur du Bien en série Les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France. Voir ici.
Le rapport périodique présenté par la France en 2014, indiquait " Une proposition de déclaration de valeur universelle exceptionnelle rétrospective a été soumise en 2012. Cette proposition est toujours en attente de validation par le Comité du patrimoine mondial ". Elle a été validée en 2017.
 

Critères proposés par la France pour l'adoption de la VUE

Les critères (version révisée de 2005) selon lesquels le bien a été inscrit sont (ii), (iv) et (vi). Les voici extraits du document précité, suivis des justificatifs proposés :
critère ii : témoigner d'un échange d'influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages ;
justificatif ii : la route de pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle a joué un rôle essentiel dans les échanges et le développement religieux et culturel du Moyen Age, comme l’illustrent les monuments sélectionnés en France. Grands sanctuaires cités dans le Codex Calixtinus, hôpitaux d’accueil des pèlerins, ponts et chemins ou humbles lieux de dévotion illustrent matériellement les voies et conditions du pèlerinage pendant des siècles.
critère iv : offrir un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l'histoire humaine
justificatif  iv : les besoins spirituels et physiques des pèlerins se rendant à Saint- Jacques de Compostelle furent satisfaits grâce à la création d’un certain nombre d’édifices spécialisés, dont beaucoup furent créés ou ultérieurement développés sur les sections françaises. Les grandes basiliques de pèlerinage, dont peu subsistent, sont un exemple particulièrement abouti de l’architecture médiévale.
critère vi :
être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des oeuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle
justificatif vi : Le pèlerinage est un aspect presque universel de la spiritualité de l’homme. La route de pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle est un témoignage exceptionnel de l’influence de la foi chrétienne dans toutes les classes sociales de l’Occident au Moyen Age
 

Que conclure ?

En conclusion nous ne pouvons que confirmer ce que nous écrivions en 2OO9 à la page 59 de notre ouvrage Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial.

Alexandre Dumas, ce maître de la magie romanesque, grand trousseur d’intrigues et de jupons affirmait :
« La vérité historique est une fille que l’on peut violer à condition de lui faire de beaux enfants »
Cette phrase est bien sûr à prendre dans son sens symbolique, la « fille » étant Clio, la déesse de l’histoire. Pauvre Clio ! Violée 71 fois sur le chemin de Compostelle, elle donna naissance à un vigoureux bâtard franco-espagnol, paré d’oripeaux tenant à la fois de l’affabulation et de l’ignorance. Ce bâtard a maintenant un prénom. Au Puy il a été baptisé Camino.
Pour rester dans la littérature, nous laissons le dernier mot à Beaumarchais qui déclarait en 1775 dans le Barbier de Séville (acte 1, scène 2) :
« Je me presse de rire de tout de peur d'être obligé d'en pleurer »

La vérité sort du puits

Pour préserver la VUE, l'Unesco a défini une liste standard des menaces/facteurs qui influent sur la Valeur Universelle Exceptionnelle des biens du Patrimoine mondial. Parmi ces facteurs de risques figurent les
" Installations d’interprétation pour les visiteurs, par exemple
   Centre d'accueil, musée de site, etc
   Signalisation, etc.
   Sentiers balisés, etc.
   Kiosques d'informations, etc.
   Petites zones de pique-nique
   Petites zones de camping ".
Les pèlerins apprécieront sans doute que leurs chemins ne soient pas vraiment inscrits au Patrimoine mondial quoi que continue à proclamer le discours officiel .