En France de 1990 à nos jours
De l’Itinéraire culturel aux règles de l’Unesco
Louis Mollaret et moi avons étudié cette inscription « hors normes » et publié en 2009 Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial, éd. La Louve, Cahors, avec l’intention de la faire comprendre et d'avancer des propositions pour en tirer le meilleur parti, sans la remettre en cause.
La remise en cause vint de l’Unesco elle-même quelques années plus tard. Là où la France ne voulait voir que l’ensemble de ses Chemins dont le réseau se développait, l’Unesco voyait les bâtiments inscrits auxquels s’appliquaient des règles strictes. La France se vit ainsi menacée d’une désinscription des chemins à plusieurs reprises à partir de 2005.
« constate une faible structuration du réseau des composantes, une absence de gouvernance globale, un défaut de plan de gestion, une absence de comité scientifique et une faible identification de ce bien ».
L’improbable plan de gestion
Le préfet de la région Midi-Pyrénées, préfet de Haute-Garonne, est désigné préfet coordonnateur de l'action des préfets des régions […13 régions concernées] pour la mise en œuvre du plan de gestion du bien « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France » et de sa zone tampon, la coordination du rapport périodique et du rapport sur l'état de conservation du bien pour une durée de cinq ans.
Mission impossible !
Chaque monument était déjà protégé par la législation des Monuments Historiques. Pour ne citer qu’un exemple, la cathédrale de Bourges, déjà inscrite au Patrimoine mondial depuis 1992, se dresse entre les maisons médiévales des chanoines, le palais XVIIIe de l’Archevêché et les jardins de ce palais. Qu’ajouter ? La ville a posé une plaque, que les touristes piétinent sans la lire …
Animer les chemins ?
La création du label « Commune-halte » évoquée dans la lettre 137
L’adoption par l’AFCC d’une démarche artistique Fenêtres sur le paysage qui, depuis 2018, consistait à créer sur « LE Chemin » (GR65) des structures-refuges écologiques.
« aux cheminants, randonneurs et pèlerins, une base commune de services adaptés à leur itinérance, leur confort et la découverte du territoire ».
Saint-Alban-sur-Limagnole offre « un complexe de soins psychiatriques » et « souhaite étendre son accueil touristique sur les ailes de saison (?) ». Livinhac-le-Haut vante son centre bourg qui « ravive les marcheurs ». Lauzerte va programmer « la remise en circuit du jeu de l’oie dans le jardin du pèlerin » (il était temps car il était à l’abandon). Navarrenx « souhaite se doter d’une salle hors-sac ». Saint-Palais, « terre de convergence » de trois routes, va « renforcer cette image ». Rieux-Volvestre va créer « un espace lié à la thématique Compostelle », Montréal d’Aude offre « une plongée dans le catharisme ».
Auvillar va réfléchir « autour de l’accueil des animaux d’accompagnement ».
Il est très utile, quand on pèlerine à cheval ou accompagné d'un âne, de pouvoir trouver un point d’eau, des anneaux judicieusement placés non loin d’un bar ou d’une épicerie, voire un pré proche d'un gîte pour la nuit. Mais réfléchit vraiment à ce genre de compagnon ?
« les chemins de Compostelle offrent un terrain formidable pour nourrir nos imaginaires et ceux des artistes » ; les artistes « jouent avec les chemins de Compostelle » et proposent de les « faire danser ».
« Cette aventure artistique et humaine est passionnante, commente Nils Brunet, directeur de l’AFCC, partenaire de ce projet. Ces œuvres invitent les randonneurs au long cours, comme les habitants et les visiteurs, à ressentir les paysages traversés, le temps d’une pause. […]Avec ces réalisations installées là où on ne les attend pas, les pèlerins pourront découvrir sept lieux d’étonnement. De nouvelles balises dans le paysage jacquaire, qui accompagneront avec bonheur leur cheminement ! »
La Chambre d’or à Golinhac (Aveyron)
Une cabane en bois à Livinhac-le-Haut (Aveyron)
La Citerne-lit, à Felzins (Lot). Voir le site Derrière le Hublot
Super-Cayrou, à Gréalou (Lot)
La citerne de Felzins est ouverte sur réservation, jusqu’au 31 août. Elle offre tout confort, lit double de 160 cm, petit déjeuner servi pour 89 € la nuit.
De nouvelles balises dans le « paysage jacquaire »
Et pour bientôt, sont promis des « nichoirs à chants » à base d’enregistrements sonores.
Devant ces nouvelles interprétations du chemin de Compostelle ne conviendrait-il pas de définir ce que d’aucuns appellent aujourd’hui le « paysage jacquaire » ?
Cette idée de « paysage jacquaire » apparaît déjà lors de la justification de l’inscription à l’UNESCO, surprenante, du dolmen de Pech-Laglaire à Gréalou :
« Il est un des éléments immuables du paysage traversé par les pèlerins venant du Puy ».
Si c’était possible, il devrait être pavé de coquilles pensais-je avant une nouvelle découverte. Le refuge-coquille est déjà en projet. Pour une oeuvre d'art-refuge en devenir une grande collecte de coquilles Saint-Jacques est lancée. Il en faut 15000 !
Des bénévoles dans le « paysage jacquaire » !
Ce sont eux les dinosaures qui ont fait des chemins ce qu’ils sont aujourd’hui. Parfois, ils ont abandonné, mais certains s’accrochent et y croient encore.
Ainsi, les pèlerins de Menton membres de l’association PACA ont construit un oratoire sur la frontière franco-italienne. Daniel Sénejoux, responsable du Patrimoine, nous écrit :
« Pour obtenir l’autorisation de construire nous avons développé, simplement et précisément, en les adaptant à peine, les arguments énoncés par le Conseil de l’Europe en 1987, que j’ai lus ensuite sur la lettre 137. La réaction du Conseil municipal a été immédiate et positive avec l’ajout, spontané d’un banc et d’un point d’eau, ainsi qu’une végétalisation du site.
Menton, point de départ en France des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle et de Rome, pourrait tout-à-fait se revendiquer « Commune Halte-Chemins de Compostelle en France, comme celles de Blaye ».
Et maintenant quelles perspectives ?
Ce n’était pas la vocation de l’Institut qui déjà préparait d’autres itinéraires.
Comment le gérer dans le respect de ce qu'il devait symboliser ?
L’Unesco peut-elle se satisfaire d’une gestion basée sur l’utilisation du pèlerin comme appât pour les touristes et faisant place à des marchands de tous poils ?
Quelle place pour l’ensemble des bénévoles acteurs de l’animation des chemins ?
Les questions sont posées, elles dépassent le cadre de ces lettres.