La Compostellite

La maladie de ceux qui voient Compostelle derrière chaque coquille.


Rédigé par Louis Mollaret le 21 Juin 2009 modifié le 3 Septembre 2014
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Le pèlerinage à Compostelle est un phénomène de société. Il répond a un immense besoin de nos contemporains. Mais la publicité faite à son sujet occulte sa véritable histoire et rapporte tout à Compostelle au risque de faire friser le ridicule à beaucoup.



Le sommet de l'Etat n'est pas épargné

Juppé sera comme une église sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.  Jean-Pierre Raffarin lui rendait ainsi hommage, (Le Point, n°1682, déc. 2004 p.32). L’ancien Premier Ministre a manifesté là un cas particulier de « compostellite », maladie qui frappe la France depuis le milieu du XXe siècle et se rencontre sous diverses formes qui ne sont pas toutes bénignes.Nous présentons ici quelques cas de cette maladie qui prend progressivement en France la forme d'une pandémie. Il ne semble pas que ce soit le cas en Espagne. Les esprits y ont peut-être été préparés à une meilleure résistance. Il semble en effet qu'un des facteurs générateurs de la maladie ait été une propension, propre à un groupe d'intellectuels français, à admirer l'Espagne.
Aujourd'hui encore certains hispanisants, héritiers des premiers promoteurs de Compostelle en France, ne savent regarder voir le sanctuaire galicien qu'au travers de lunettes "made in Spain".

Premiers cas apparus à la fin du XIXe siècle

La maladie a son origine dans l’édition, en 1882, du dernier Livre du Codex Calixtinus, manuscrit du XIIe conservé à la cathédrale de Compostelle. Cette édition fut le prélude de la publicité contemporaine faite à ce sanctuaire, intensifiée à partir de 1884 par la reconnaissance des restes de saint Jacques par le pape Léon XIII. Le virus a été inoculé par deux intellectuels incontestés, Joseph Bédier en littérature médiévale et Emile Mâle en l’histoire de l’art ont donné une importance exagérée à Compostelle. Mais, le virus ne serait jamais sorti des milieux intellectuels sans l’enthousiasme du marquis René de La Coste Messelière. Originaire de Melle en Poitou, il se souvenait de sa grand-mère lui disant « un chemin de Saint-Jacques passe au bout de notre propriété ». Après des études en Espagne, il consacra l’essentiel de son activité de chartiste à la recherche et à la promotion de ces chemins.


Une souche de la maladie très résistante née en Poitou

Une affirmation trompeuse sur le clocher d'une église de pèlerinage parisienne

Grâce à lui, nos contemporains entendent parler de Compostelle et beaucoup croient qu’on y vénère un saint Jacques-de-Compostelle, comme on vénère un François-d’Assise ou une Thérèse-de-Lisieux. Il a en effet vu en Compostelle l’unique lieu des dévotions à l’apôtre Jacques le Majeur, négligeant les nombreux sanctuaires qui lui étaient dédiés ailleurs, en France et en Europe. Le plus bel exemple en est la tour Saint-Jacques à Paris, clocher d’une église qui abritait des reliques de saint Jacques et où le roi Charles VI vint en pèlerinage. Dès 1965 il la définit comme « la première borne haute de cinquante-huit mètres qui marque le point de départ vers Compostelle ». Il fait offrir par l’Espagne à la ville de Paris une plaque de marbre qui devrait aujourd’hui être dans un musée et non sur le soubassement de la tour restaurée car elle induit en erreur des milliers de touristes et de pèlerins. En effet, aucun historien sérieux n'a jamais trouvé de document attestant des rassemblements de pèlerins en partance pour la Galice à Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Dans la foulée toutes les églises, hôpitaux, chapelles vouées à saint Jacques furent transformés à leur tour en balises sur des chemins. Ainsi fut tracé un chemin au départ du Puy au début des années 1970.


A la fin des années 1980 la contagion atteint Strasbourg

L’exploitation politique de Compostelle faite par le Conseil de l’Europe à la demande de l’Espagne en 1987 donna une nouvelle dimension à la publicité pour le pèlerinage. La décision de faire des chemins de Compostelle le premier Itinéraire Culturel Européen mérite quelques explications. C'est au printemps 1982 que le président d'une association galicienne demande au Conseil de l'Europe de reconnaître le chemin de Compostelle comme "bien commun européen". La Commission de la Culture du Conseil de l'Europe remet un rapport en 1984. Elle reconnaît la place exemplaire de compostelle parmi les sanctuaires de pèlerinage européens mais recommande une action prenant en compte tous les sanctuaires, significatifs du mouvement pèlerin au Moyen Age. Mais, ni les autorités espagnoles, ni les associations créées dans divers pays européens à l'instigation de René de La Coste-Messelière ne pouvaient se satisfaire de cet élargissement. Un intense lobbying et l'appui des fonctionnaires espagnols du Conseil de l'Europe emporta la décision en faveur de Compostelle.

1993 et 1998 mondialisation de la maladie

71 monuments dont un dolmen ont été ainsi inscrits par l'UNESCO, mais pas les chemins !
En 1993,  l'UNESCO inscrivait le Camino francés et 1800 monuments espagnols au patrimoine Mondial. Cinq ans plus tard, la France obtenait à son tour l'inscription de 71 monuments et 7 tronçons de chemin "au titre des chemins de Compostelle". Depuis,  l’UNESCO laisse graver dans le marbre que « les chemins de Compostelle en France sont classés au Patrimoine Mondial ». C'est in fine une des plus graves manifestations de la maladie. Le prestige culturel de l'UNESCO lui sert de vecteur efficace. Elle encourage toutes les exagérations. Un des exemples les plus significatifs est le film Le prix de la foi qu’un producteur espagnol a vendu à ARTE en décembre 2005 comme documentaire alors qu’il s’agissait d’une docu-fiction bâtie de bric et de broc à la gloire de Compostelle. La direction de la chaîne a fait confiance. Mais en ce qui concerne l'histoire de Compostelle, il ne faut faire confiance qu'aux vrais professionnels et ils sont peu nombreux. Il faut surtout se méfier de tout ce qui vient de l'Espagne.

Un metteur en scène américain contaminé

Le film The Way présenté à grand renfort de publicité en 2013 fournit un bon exemple. Un metteur en scène talentueux n'a pas été épargné alors qu'il voulait rendre hommage à son ancêtre qui n'avait connu qu'un petit pèlerinage galicien, il a célébré le chemin contemporain avec tous ses clichés. Il s'est " englué dans les poncifs du pèlerinage contemporain " comme le dit l'article paru dans France Catholique en octobre 2013.
Voir l'article publié par France Catholique : http://www.france-catholique.fr/The-Way-Le-retour-a-Compostelle.html