L'IRJ à la deuxième rencontre mondiale des associations jacquaires, lettre 169


Rédigé par le 28 Aout 2023 modifié le 10 Septembre 2023
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L’IRJ a été invité à la IIe Rencontre mondiale des associations jacquaires, organisée par le Xacobeo et la Fédération espagnole des associations d'amis du Chemin de Saint-Jacques.
Elle se tiendra au Monte del Gozo, du jeudi 20 au dimanche 23 octobre.
L’institut de Recherche Jacquaire-IRJ y sera représenté par ses présidents Denise Péricard-Méa et Joseph Torguet.



Programme

Le programme comprend des présentations des associations dans le monde et des tables rondes traitant des grandes responsabilités des associations. Le thème général est :
ASOCIACIONES, MEMORIA Y FUTURO 
ASSOCIATIONS, MÉMOIRE ET AVENIR
L'IRJ est particulièrement sensible à ce thème car faire mémoire nécessite de chercher dans l'histoire la juste place des légendes et des mythes et de décrypter la trace éventuelle d'idéologies.
Son rôle dans cette rencontre sera en ce sens particulièrement significatif puisqu’il présentera un film des années 1950.  
 
En fin de rencontre sera présenté le film Le chemin de Compostelle imaginé par l’abbé Branthomme derrière les barbelés des stalags. Dès 1949, il avait dirigé un premier pèlerinage à Compostelle. Le film a été tourné en 1950 et monté en 1951.
 
Denise Péricard-Méa a eu la chance d’en voir la dernière présentation faite par Mgr Branthomme lui-même et de s’entretenir avec lui par la suite. Elle donnera au public des clés de lecture de ce film.
Elles font l’objet du texte ci-joint dont bénéficient en primeur les lecteurs de la lettre périodique de l’IRJ.
 
Le programme détaillé est en cours d’établissement. Les mises à jour seront disponibles sur cette page web.
Annonce de la rencontre

Présentation du film

L'abbé Branthomme et son groupe de pèlerins en 1949
Ce film est un document d’archives d’une valeur exceptionnelle. Tourné en 1950, inspiré par le Codex Calixtinus, il est à la fois témoin de l’état du Camino francés à cette époque et héritier des hypothèses de savants français enthousiastes du début du XXe siècle. Il montre une Espagne d’un autre temps, d’avant les grandes transformations modernes. Il développe, dans un style lyrique propre à l’époque, une approche à la fois historique, liturgique et esthétique du pèlerinage et du patrimoine. Replacé dans son contexte il s’avère d’une lecture beaucoup plus complexe que celle d’un document sociologique.
 
En 1999, j’ai assisté à la dernière présentation de ce film, Chemin de Compostelle, faite par son réalisateur, l’abbé Henry Branthomme, alors âgé de 92 ans. Et il l’a commenté tout au long de la projection, puis il a longuement répondu à toutes les questions.
En 2003, il m’a confié une copie de ce film, qu’il me semble indispensable d’accompagner d’une introduction reprenant le plus fidèlement possible les paroles de l’abbé.
La naissance du film
L’abbé Branthomme a découvert Compostelle pendant la seconde guerre mondiale, alors qu’il était prisonnier dans un stalag en Allemagne. Un stalag n’est pas un camp de concentration. Les officiers étaient traités, plus ou moins, selon les lois internationales. Ils avaient par exemple cette possibilité de se réunir pour des raisons culturelles, ce qui les aidait à tromper l’ennui et le spleen. Un jour ont été présentés les travaux de deux érudits traitant du pèlerinage à Compostelle dans les Chansons de gestes, aucun des deux n’ayant même eu l’idée de se faire pèlerins.
Dès ce jour, l’abbé a rêvé d’y aller quand la liberté lui serait rendue et cette idée lui a donné de l’espoir. A la Libération, nommé directeur des pèlerinages pour le diocèse du Mans, il a organisé un premier pèlerinage en 1949, au cours duquel est née l’idée du film.
Son ami le cinéaste Robert Chateau a adhéré tout de suite à ce projet de tournage d’un pèlerinage qui devait se terminer à Compostelle le 25 juillet. 
 
Les relations France-Espagne n’étaient pas au beau fixe, même si les frontières, fermées en 1946, étaient réouvertes depuis 1948. Même si Franco, le 25 juillet 1948, avait déclaré à Compostelle son désir de « voir les chemins de Saint-Jacques s’ouvrir jusqu’au-delà du Rideau de fer ».
 
C’est seulement en 1950 qu’un ambassadeur français a été envoyé à Madrid. Pour entrer en Espagne, l’abbé Branthomme a ainsi dû effectuer de nombreuses démarches pour obtenir les autorisations nécessaires. L’équipe de tournage est donc partie plus tard que prévu, à la mi-juillet 1950. Dès le passage de la frontière, ils ont été très surveillés par la Guardia civil qui les suspectait d’espionnage.
A cause de ce retard, le tournage a commencé par ce qui devait être la fin, à Compostelle le 25 juillet. 
Le tournage
Le matin du 25 juillet, l’équipe s’est installée dans la cathédrale au moment des préparatifs de la messe solennelle. L’abbé a brossé un tableau pittoresque des fils électriques qui serpentaient partout dans la nef et du mécontentement des chanoines devant ces intrus occupant la place dont ils avaient besoin. Puis tout le chemin a été tourné à l’envers, sur le chemin du retour…
L’équipe voyageait dans un petit autocar que l’on voit quelques fois dans le film. Ils ont parfois été accompagnés de René de La Coste-Messelière, alors à la Casa Velasquez à Madrid, qui s’était joint à eux comme conseiller technique. Ses rapports avec le groupe n’ont pas toujours été au beau fixe ! C’est lui le « pèlerin » qui marche et que l’on voit de dos, mains dans les poches ou portant un sac à dos.
Pas de scénario, pas d’acteurs, pas de dialogue, un reportage : 
Robert Chateau a filmé, filmé pendant deux jours, le Botafumeiro bien sûr, et les fameux géants de Compostelle sortant de la cathédrale, ayant participé à la messe solennelle, etc… Puis le cinéaste a filmé tout au long de la route les monuments les plus connus et aussi des scènes de la vie en Espagne. Il choisissait évidemment tout ce qui lui semblait le plus dépaysant par rapport à la France, scènes de la vie courante et scènes de jours de fête, prises sur le vif. On y voit les familles de paysans affairées dans les champs au moment des moissons, hommes et femmes partageant le travail. A Foncebadon, ils ont rencontré le médecin du village qui leur a raconté la fonction de la croix qu’il venait de relever. 
Et les routes poussiéreuses, les rares voitures et les chars galiciens…
 
Toutes ces images constituent un témoignage réellement historique, mais qui n’est pas l’essentiel du propos, le but de l’abbé Branthomme n’étant pas de réaliser un reportage sur l’Espagne d’après-guerre. Pour lui, le Camino était bien plus qu’un moyen de communication pour se rendre à Compostelle. Les images n’étaient là que pour servir de support à son rêve caressé pendant ses années de captivité. Rêve de ressusciter les pèlerinages médiévaux. Rêve d’une paix durable entre tous les pays d’Europe. Enfin, il voulait rendre grâce à Dieu pour sa liberté retrouvée.
Le montage
Au retour a commencé le montage, en faisant référence au Codex Calixtinus sur lequel il s’ouvre. Et c’est déjà un grand moment car ce sont les seules images conservées du Codex avant sa restauration de 1965 avec, entre autres, l’image du « Songe de Charlemagne » à moitié déchirée mais dont il subsiste un très précieux morceau de sa couronne.
Les images ont été montées, bien sûr, dans le sens du pèlerinage. Pour leur donner une âme, l’abbé Branthomme a fait appel à son ami Denys de La Patellière, alors jeune assistant-réalisateur des grands cinéastes du moment. Mais il ne connaissait rien de Compostelle ! De longues conversations se sont engagées entre les deux hommes. 
Sur le Camino francés déjà grignoté par des constructions modernes, vide de pèlerins, ils ont mis un rappel de l’histoire telle qu’on la supposait à l’époque. Au fil des étapes, ils font revivre un peuple d’ombres venu de loin, les troupes de pèlerins réunies à Puente la Reina et les « Saint-Jacquaires » construisant ponts et hôpitaux pour leurs successeurs.
En fait d’éléments historiques, ils donnent l’avis du Guide du pèlerin sur le rio Salado et sur les Navarrais, racontent le Pendu-dépendu du Livre des miracles ; ils citent abondamment la Chronique du Pseudo-Turpin (Charlemagne, Roland, Roncevaux, la bataille des lances fleuries, etc). Et aussi l’Historia compostelana à propos de la tête de saint Jacques à Carrion de los Condes.
Le résultat
Le résultat est le film d’un pèlerinage religieux, celui dont l’abbé Branthomme a rêvé derrière les barbelés. C’est dit dès le début : « ce chemin mène à Dieu » et les références aux Ecritures sont nombreuses, bien qu’elles ne soient jamais nommées. Les pèlerins prient la Vierge, récitent le Salve Regina, détaillent les images de la mort de la Vierge sur les tympans, etc. 
René de La Coste-Messelière a décrit parfaitement le dessein de l’abbé dévoilé au fur et à mesure du déroulement du tournage :

« Ce n’est pas un hasard si le film Chemin de Compostelle […] se déroule comme une messe à l’ancienne : Montée à l’autel devant le Christ allemand du XVe siècle de l’hôpital roman de Puente la Reina. Evangile de pierre de la cathédrale de Burgos. Offertoire de la trilla (criblage de la moisson) entre León et Astorga, Elévation au Cebreiro, avant l’allégresse de la Communion finale de Compostelle ».

 
La voix off et la musique du film se chargent de confirmer ce dessein.
Elle est celle du comédien Michel André, ancien combattant comme l’abbé Branthomme et comme Denys de La Patellière. Sa voix est celle des commentateurs des actualités de l’époque (cinéma ou radio) mais aussi, si l’on y prête attention celle, plus emphatique, des grands prédicateurs, quand il cite des passages de l’Apocalypse, de l’Evangile de saint Luc, d’Ezéchiel…

Enfin, la musique d’orgue, très solennelle, accentue le caractère liturgique de l’œuvre. Elle accompagne les temps de méditation qui suivent les citations, en même temps qu’elle souligne la longueur de la route. Elle a été composée, elle aussi, au fil de la projection des images, par Pierre Cochereau, organiste de la cathédrale du Mans et ami de l’abbé Branthomme. (Plus tard, son talent lui valut de devenir organiste de Notre-Dame à Paris)
 

Un témoignage unique

Ce film est un témoignage unique et sincère, une belle pierre brute qui chante le bonheur de l’après-guerre et qui en remercie le Ciel. Il est aussi une invitation à partir. Lentement, les pèlerins français sont repartis.
 
Même si la qualité des images a souffert du temps, de la copie en VHS puis en CD, ce film reste une balise importante dans le développement du pèlerinage contemporain. Mais il a fallu attendre près de quarante ans pour que le pape Jean-Paul II en donne le véritable coup d'envoi en convoquant les JMJ à Compostelle.