Compostelle en quatre temps


Rédigé par le 20 Septembre 2015 modifié le 28 Novembre 2015
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Un bref rappel des conditions de l'inscription des chemins de Compostelle en France au Patrimoine mondial, est complété par l'analyse des étapes qui ont suivi cette inscription. La dernière étape, engagée en 2013 risque d'apporter des modifications dans la définition des chemins de Compostelle ou de conduire à de nouveaux mensonges. La Fondation conclut en proposant une nouvelle étape novatrice.



Tout au long du Moyen âge, Saint-Jacques-de-Compostelle fut la plus importante de toutes les destinations pour d'innombrables pèlerins venant de toute l'Europe.
Cette phrase est devenue comme une ritournelle. Elle imprègne les esprits au point de faire oublier, même à des évêques, l’importance des pèlerinages médiévaux vers d’autres sanctuaires. Née de l’imagination d’intellectuels du XXe siècle, héritiers des efforts de l’Eglise pour lutter contre la déchristianisation au XIXe, elle a été mise en exergue en 1997 dans la demande d’inscription au Patrimoine mondial présentée par la France. La décision de l’UNESCO qui l’a prise en considération lui a conféré une autorité difficile à contester.
 

Le temps de l’inscription et de l’ambiguité

Le dolmen de Pech-Laglaire (Lot) a-t-il vu passer des pèlerins de Compostelle avant 1999 ?
L’inscription du Camino francés au Patrimoine mondial en 1993 déclenche pour trois organismes français intéressés à des titres divers par les chemins de Compostelle l’envie  d’obtenir cette inscription pour les chemins en France. « De quoi aurions-nous eu l’air vis-à-vis de l’Espagne ? » pense-t-on à la Société française des Amis de saint Jacques qui travaille depuis 1950 à la promotion de Compostelle. Créée en 1990, l’ACIR se voit déjà gestionnaire du réseau de ces chemins. Quant à la FFRP, l’extension du réseau et la multiplication de guides dont elle a quasiment le monopole à l’époque, lui ouvrent d’intéressantes perspectives. Mais il y a un gros problème. Aucun critère de l’UNESCO ne permet d’inscrire ces chemins non définis et pour la plupart imaginaires. Une idée finit par germer :  l'Espagne a triché pourquoi pas nous ? . Une collusion favorable de responsabilités permet d’entrevoir une solution. Le ministère de la Culture est partant. En 1997, la France soumet à l’UNESCO un dossier d’inscription de 71 monuments qualifiés de « jalons des routes pèlerines médiévales » accompagnés de 7 tronçons du GR65. De ces 71 monuments, 12 sont cités par le Guide du pèlerin, 6 ont vu un pèlerin historiquement attesté, 13 ont un lien artistique ou légendaire avec Compostelle, 27 ont un lien avec un culte à saint Jacques, 30 sont des pèlerinages locaux, 11 ont un lien avec un pèlerinage non défini ou avec un toponyme, 9 possèdent un lien contemporain, un rond-point par exemple. La somme est supérieure à 71 car certains biens cumulent ces caractéristiques. L’authenticité historique du GR, tracé à partir des années 1970, est contestable mais peu importe aux experts de l’ICOMOS dont on peut se demander s’ils ont vu autre chose que de volumineux dossiers. La demande française est acceptée à Kyoto en 1998. La description des biens inscrits est la suivante :
Tout au long du Moyen âge, Saint-Jacques-de-Compostelle fut la plus importante de toutes les destinations pour d'innombrables pèlerins venant de toute l'Europe. Pour atteindre l'Espagne, les pèlerins devaient traverser la France, et les monuments historiques notables qui constituent la présente inscription sur la Liste du patrimoine mondial étaient des jalons sur les quatre routes qu'ils empruntaient.
Ce sont donc bien des monuments qui ont été inscrits. Mais surtout, la décision répond au souhait de la France en les inscrivant sous le nom :
Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France.

Le temps de la communication et de l’euphorie

Bien que n'étant pas sur la liste des monuments inscrits, l'église de Perse (Aveyron) a reçu une plaque.
Avec la bénédiction de l’UNESCO, l’ACIR  entreprend alors une campagne de pose de plaques de marbre sur les monuments inscrits, voire sur l’église de Perse, monument non inscrit mais placé sur l’un des tronçons proposés à l’inscription, non mentionnés dans la description retenue à Kyoto. Peu importe ! Les chemins en France sont inscrits au Patrimoine mondial, donc le GR65 dans son entier et a fortiori les 7 échantillons présentés à l’inscription.
Cette communication s’est étendue sur plusieurs années.

Le temps de la désinscription et de la fuite en avant

Les responsables français du Patrimoine mondial sont conscients que les Monuments sensés jalonner le Camino francés ont été inscrits sans toujours de fondement scientifique avéré. Des exigences d’intégrité et d’authenticité beaucoup moins poussées en 1998 qu’aujourd’hui le permettaient. Des mesures doivent être prises pour mettre les chemins de Compostelle en France en conformité avec les nouvelles règles de l’UNESCO. Le risque est grand que si ce dossier n’est pas incontestable, il soit définitivement rejeté. En effet, le nombre croissant de demandes d’inscriptions et l’expérience de l’évaluation des biens proposés ont conduit à faire évoluer la notion vague en 1972 de Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) d'un Bien. Dans l'étude qu'ils ont dirigée, Valeur Universelle Exceptionnelle de l’Unesco Une utopie contemporaine (L’Harmattan, 2014), Alain CHENEVEZ et Nanta NOVELLO PAGLIANTI  ont montré que l'UNESCO a été contrainte :
d’affiner peu à peu le concept, d’évoluer avec « l’air du temps » (prise en compte par exemple du développement durable), et d’assimiler d’autres notions moins occidentales du patrimoine, plus liées à celles de la diversité, du paysage culturel, du développement et de l’implication des communautés locales
 Pour répondre à ces nouvelles exigences, les fonctionnaires des DRAC doivent « ... tenter de remplir leur mission à partir d’orientations censées éclaircir des concepts ... » publiés après l’inscription.
Incapables de reconsidérer le dossier de 1997, ses promoteurs prônent la voie de l'entêtement.  Ils ont conduit le ministère de la Culture à prendre l’arrêté suivant :
« Le préfet de la région Midi-Pyrénées, préfet de Haute-Garonne, est désigné préfet coordonnateur de l'action des préfets des régions d'Aquitaine, Auvergne, Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Ile-de-France, Languedoc-Roussillon, Limousin, Midi-Pyrénées, Picardie, Poitou-Charentes, Basse-Normandie et Provence-Alpes-Côte d'Azur pour la mise en œuvre du plan de gestion du bien « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France » et de sa zone tampon, la coordination du rapport périodique et du rapport sur l'état de conservation du bien pour une durée de cinq ans. »  

Le temps de la désillusion et de l’inquiétude

Comment ne pas être inquiet à la lecture de cet arrêté ?
1 - il continue à parler de gestion " du bien « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France » alors que l'UNESCO a inscrit des monuments
3 - il introduit une nouvelle incohérence en limitant la France des chemins de Compostelle à 13 Régions.
Pourquoi tous ces efforts ? Cherche-t-on seulement à gagner du temps et à repousser l'instant d'une décision défavorable ? Veut-on jeter un simple voile de pudeur sur notre supercherie initiale ?
Une dernière question se pose :
Que peut bien être la zone tampon des chemins ?
Le nouveau site Internet de l’ACIR résume sur sa page Patrimoine mondial toutes ces contradictions. Le titre continue à annoncer
Les chemins français de Compostelle au patrimoine mondial
Tout en affirmant quelques lignes plus bas :
Cette inscription ne concerne pas les itinéraires en tant que tels
 Pour réintroduire l'idée de chemin, l'ACIR emploie la formulation : « Le bien culturel en série (constitué de plusieurs édifices), appelé Chemins de Saint-Jacques de Compostelle en France ».  En écrivant bien au singulier, elle détourne la définition de biens en série adoptée par le COMITÉ DU PATRIMOINE MONDIAL, dans sa trente-quatrième session, à Brasilia en 2010
« …pour les biens culturels, les éléments constitutifs devraient refléter des liens culturels, sociaux, historiques ou fonctionnels clairement définis dans le temps ».
Définition dont il est facile de constater qu’elle ne peut pas s’appliquer  aux 71 monuments disparates choisis en 1997 pour définir les chemins de Compostelle.
Cette présentation est d'ailleurs en contradiction avec une intervention du représentant français au Comité du Patrimoine mondial à Brasilia en 2010 excluant l'emploi du concept de biens en série pour les monuments jalons :
« Je voudrais revenir un instant sur une précision qui me paraît très importante, c’est qu’il s’agit d’une inscription qui est proposée au titre des itinéraires culturels et pas des biens en série. Et ces itinéraires culturels demandent, nous le savons une vision d’ensemble, une vision holistique. La France a une expérience du concept de route historique qui est inscrite dans la liste du patrimoine mondial, par exemple les chemins de Saint Jacques de Compostelle »

Le temps du rêve

IL est temps de sortir de toutes ces contradictions et des mensonges officiels. Le dossier initial est pour le moins insuffisant. Personne n'osera le reconnaître officiellement. Les ministres changent, leurs conseillers passent. Les organismes continuent à " vendre leur salade " qui plaît aux politiques. Arrêtons ce petit jeu.
L'évolution des critères de l'UNESCO et la reconnaissance des biens immatériels ouvrent une possibilité d'innover.
Rêvons puisque Compostelle ouvre au rêve.
Défendons les chemins non pas dans leur réalité matérielle mais dans ce qu'ils permettent : marcher vers un lieu sacré.
Le pèlerinage de La Mecque était déjà mentionné par le rapport de la commission de la Culture du Conseil de l'Europe en 1984. La France s'honorerait en faisant avec un pays musulman une demande d'inscription de la démarche pèlerine au Patrimoine mondial. Peu de cultures ignorent le pèlerinage. Le projet pourrait être ouvert à d'autres religions. L'objectif de protéger un bien au bénéfice de toute l'humanité, inscrit sur les plaques de marbre prendrait alors toute sa valeur. Qui pourrait en contester la véritable Valeur Universelle Exceptionnelle ?
A quoi rêvaient les bâtisseurs de dolmens ?