Avec Denise Péricard-Méa et les Constellations Saint-Jacques
Etape n°71
LA FETE DE SAINT JACQUES
A SANTIAGO DE COMPOSTELLE
Dr. Henry Aurenche, La Croix, 5-6 août 1951, p.5
« Qui n’a pas vu Avignon au temps des papes n’a rien vu » dirait le bon Alphonse Daudet ; qui n’a pas vu Compostelle un 25 juillet, fête de l’apôtre des Espagnes, ne connaît pas le peuple espagnol.
J’entends le vrai peuple des Espagnes, pieux, familier, joyeux, un peu paresseux peut-être, mais si gentil, si sympathique, qu’on ne peut s’empêcher de l’aimer ; car, dans les grandes villes de la péninsule : Madrid, Séville, Saint-Sébastien, Barcelone, les gens qu’on rencontre sur la place sont si peu Espagnols !
Donc, nous étions arrivés dans la cité de Monseigneur saint Jacques une bonne troupe de pèlerins français, sous la houlette de S. Exc. Mgr. Blanchet, recteur de l’Institut catholique de Paris, et confortablement « managés » par M. Pichon, organisateur de la caravane.
Quoique partis du pied de la tour Saint-Jacques, comme le faisaient les vieux pèlerins du XIIe siècle, notre itinéraire qui nous avait menés à Avila et à Salamanque, malgré les réceptions cordiales des municipalités et de l’Université célèbre de ces villes, n’avait guère duré plus de huit jours, alors que nos vaillants prédécesseurs cheminaient plus de quatre mois sur le camino francés avant de voir apparaître, après la dernière crête de montagnes, la façade brillante de la basilique célèbre qui leur semblait une porte du paradis.
Godescalc, en 951 ...
En arrivant à Compostelle, on entendait sonner les cloches qui nous accueillaient joyeusement, comme elles sonnaient, au cours des âge, pour le bon évêque Godescalc qui, mille années auparavant, laissant à la garde de Dieu son diocèse et sa bonne ville du Puy-en-Velay, fut, en l’an de grâce 951, le premier pèlerin français dont on eut gardé la mémoire et dont nous glorifions le millénaire.
Dans la cité, des étendards, des guirlandes, des oriflammes : dans les rues étroites et pleines d’ombre fraîche, sous les arcades, il n’est pas de balcons, de fenêtres, si modestes soient-elles qui ne s’ornent d’une tenture brodée aux couleurs des Espagnes avec, en médaillon, le cavalier Monsieur saint Jacques vainqueur des Sarrasins et libérateur de la patrie. Les plus pauvres ont un drap portant une couronne de fleurs ou une simple serviette avec un bouquet.
Partout des fanfares, les orphéons, les danses et même, sur la belle promenade de la Alamda où l’on a une vue si magnifique sur la cathédrale et sur les tours, il y a l’inévitable manège des chevaux de bois, les balançoires, les tirs forains et tout le cortège des fêtes populaires.
Nous gagnons la cathédrale dont les clochers ciselés, comme des pièces d’orfèvrerie, étincellent dans le ciel bleu. En chemin, dans une foule de plus en plus dense, nous dépassons des chars à bœufs antiques que portent des roues pleines et bois épais, sur le modèle des chars mérovingiens ; ils sont remplis de femmes et d’enfants endimanchés ouvrant des yeux émerveillés et ces paysans dirigent avec une majesté patiente, et au mépris des règlements, leurs bœufs aux cornes immenses, indifférents au tumulte.
Une oeuvre clunysienne
Nous abordons la belle église par le parvis des Orfèvres, en donnant un coup d’œil au portique roman si pur, où les évangélistes, les saints, font honneur à Notre-Seigneur sur le tympan et nous voici, enfin, dans le transept clunysien, qui nous conduit, sous ses hautes voûtes, au chœur de la basilique où Monsieur saint Jacques, assis sur son trône doré, le bâton à la main et le grand chapeau à coquilles en tête, sourit pour nous faire accueil.
Vite un coup d’œil, quelques pas dans le noble édifice, car nous sommes heureusement en avance. Suspendu aux voûtes, le grand étendard de Don Juan d’Autriche qui claquait au vent de la galère capitaine au jour glorieux de la bataille de Lépante semble palpiter encore au vent de la victoire. Et dans le chœur, tout près du siège de Mgr. l’archevêque, la délégation française apporte sa bannière où sont représentés deux cousins, deux rois, deux saints : saint Louis roi de France et saint Alphonse roi d’Espagne.
Le « Botafumeiro »
Des bancs sont réservés au premier rang de la nef pour les pèlerins français : nous voyons passer devant nous les chevaliers de Saint-Jacques, avec leur grand manteau blanc marqué de la croix qui est une épée. Les officiers de l’armée et de la phalange, en grands uniformes chamarrés, arrivent en groupe et prennent place. On apporte le Botafumeiro, l’énorme encensoir d’argent, présent du roi Louis XIV : on l’accroche aux cordages qui pendent de la voûte, on l’allume, et, tout à l’heure, pendant la messe, actionné par 20 bras vigoureux, il va se balancer sur nos têtes, en laissant dans son sillage un puissant sillon d’encens.
Mais les trompettes résonnent, un cortège s’est formé dans le chœur : précédés des officiers et des notables, le seigneur alcalde en tête, les clercs, les abbés, les chanoines, s’avancent dans le déchaînement aux orgues d’une marche triomphale.
Dans la tour qui surmonte la porte de l’Orfèvrerie, la grande cloche s’anime et fait vibrer les murs millénaires comme une conque marine. Les dignitaires évêques, Révérends Pères Abbés quittent l’autel, précédant S. Exc. Rme. Mgr. Quiroga Palacios, archevêque de Compostelle, que suivent les généraux et l’alcalde Don Henrique et ses assesseurs Ricardo Cabeza et Drandariz et le coadjuteur de la paroisse de Sar don Vincente Fernadez.
La fête populaire
Le long cortège défila sous les voûtes augustes et reprit place dans le chœur où la magnifique cérémonie de la messe pontificale déroula lentement ses fastes majestueux.
Une foule poussée autant par la foi que par la curiosité avait débordé le service d’ordre et envahi tous les espaces où l’on pouvait se poser. Et, au milieu du grand autel, à demi-voilé par les nuages d’encens, les projecteurs nous montraient la face souriante de Monsieur saint Jacques accueillant une fois encore ses fils venus de si loin pour sa fête.
L’office se termine, les têtes s’inclinent, les corps s’agenouillent, les mains se joignent. Mgr. l’archevêque nous donne la bénédiction apostolique. Les généraux, les notables, les chanoines, abandonnent le chœur et gagnent la sacristie. L’archevêque qu’entourent Mgr. Blanchet et trois évêques américains de passage déposent les ornements sacerdotaux.
Le chœur reste vide, pas pour longtemps ...
Dans la foule toujours si dense, cependant, un passage spontanément s’est ouvert, une musique aux sonorités aigrelettes de cornemuse résonne tout à coup, et nous voyons apparaître deux géants aux faces débonnaires, vêtus d’oripeaux familiers qui traversent le sanctuaire, pénètrent dans le chœur et, toujours au son de leur musiquette se font des révérences et tournent sur eux-mêmes au milieu des cris d’enthousiasme populaire.
Puis les portes s’ouvrent, les deux héros s’en vont et nous entendons les cris et les rires de la foule qui les accueille au dehors et qui les suit en cortège à travers la vieille cité.
La conférence de S. Exc. Mgr. Blanchet
Au soir de ce jour, Mgr. Blanchet prononça, dans la salle des Actes de l’Université La Estila, en présence de S. Exc. Mgr. l’archevêque et de toutes les éminentes autorités religieuses du diocèse une conférence sur les œuvres catholiques françaises qui fut accueillie avec enthousiasme par la nombreuse assistance et a suscité dans tous les journaux un mouvement d’intérêt passionné pour le catholicisme français.
L’éminent recteur de notre Institut catholique de Paris connut là un triomphe dont il est souvent coutumier, mais qui laissera une trace durable dans le cœur de l’assistance espagnole car, ainsi que le dit l’orateur lui-même : pour s’aimer il faut d’abord se connaître.
Le soir un feu d’artifice sur l’immense parvis de la cathédrale embrasait la façade et les tours de l’Obradoiro, tandis que pour une fois au lieu de descendre du ciel les étoiles de la Voie lactée s’élevaient de terre et semblaient dans le ciel pur, gagner les célestes parvis.
Dr. Henry Aurenche
Qu’il me soit permis de remercier ici MM. les chanoines de la cathédrale, R.P. Sandex Otero et R.P. Eladio Letros Fernandez, archivistes de la cathédrale, qui ont bien voulu mettre entre mes mains le très précieux manuscrit du XIIe siècle intitulé Codex Calixtinus, qui est le monument le plus vénérable du pèlerinage de Saint-Jacques par le Camino francese.
H.A.
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