Compagnonnage et pèlerinage à Compostelle (2), étape n° 41


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 26 Avril 2020 modifié le 27 Avril 2020
Lu 631 fois

Il n’est pas question d’aborder ici la vaste question du personnage de Maître Jacques, mais de souligner ses rapports avec saint Jacques.



De Maître Jacques à saint Jacques

Sa légende se construit après la Révolution, au moment où se recomposent les sociétés compagnonniques à partir d’alliances et de hiérarchies. La fondation par un personnage légendaire (Me Jacques, le Père Soubise ou Salomon) prend une importance considérable.

Le génie de Perdiguier a été de pressentir, sans qu’aucun de ses écrits ne l’atteste, que saint Jacques ait été l’archétype de Maître Jacques. En 1863, il crée une lithographie (photo ci-dessus) sur laquelle il fait la synthèse des sources qui ont conduit à Me Jacques.
Si saint Jacques n’y apparaît pas, il s’inspire pourtant de ses représentations pour dresser le portrait du Maître. 

Laurent Bourcier, compagnon pâtissier, Reste Fidèle au Devoir, voit dans cette lithographie de Me Jacques une ressemblance avec le saint Jacques de la mairie de Saint-Jean-de-Luz qu’il a pu connaître. Jugez-en.


Statue de saint Jacques Saint-Jean de Luz (cl. J-P Dupin)

Une hypothèse est que Me Jacques se soit substitué à saint Jacques au XVIIe siècle lorsque l’Eglise condamna le caractère sacrilège et blasphématoire des rites de réception des Compagnons. Il fallait lui échapper.

Mais tous ne sont pas d’accord. En 1982, Henri Vincenot, dans Les Etoiles de Compostelle, sous couleur d’histoire, affirme que le chemin de Saint-Jacques est initiatique et que son parcours confère la Connaissance. Comme Charpentier il distille l’idée d’une récupération par l’église d’un chemin païen et n’assimile pas saint Jacques à Maître Jacques.

« Jacques : nom donné aux Compagnons Constructeurs Enfants de Maître Jacques […] Il n’a aucune parenté avec un saint Jacques, majeur ou mineur. »

Un texte semble le contredire, mais il ne concerne qu’un compagnonnage de métier. En 1782, la police de Troyes recherche, dans une auberge de la ville, « une boîte appelée Maitre Jacques » laissée par « les compagnons mégissiers ».
Suit la description de cette boîte :

« Sur le couvercle d'icelle, trois figures dont celle du milieu représente un saint Jacques pellerin, pour quoi lesdits compagnons l'appelaient Maître Jacques ».


Le pèlerinage à Compostelle, une pratique initiatique des compagnons ?

Portail de la Gloire rénové (cl. M. Taïn)

Au portail de la Gloire (XIIe siècle), à Compostelle, saint Jacques le Majeur est appuyé sur une canne entourée d’une longue pièce de tissu brodée aux deux extrémités. Serait-ce la canne des Compagnons ?
Mais… la plus ancienne attestation de cannes compagnonniques enrubannées date de la mi-XVIIe siècle.

Saint Jean, le frère de Jacques, à sa gauche porte son Evangile, comme Paul, à sa droite, porte ses Epîtres. Pourquoi saint Jacques ne porterait-il pas la sienne, lue si souvent à cette époque dans sa cathédrale même ? Ne donne-t-il pas l'impression de la montrer à Jean ?
 

La plus ancienne référence à saint Jacques dans un rituel date de 1674, lors de l’interrogatoire d’un Compagnon chapelier à Genève :

« Par quel chemin es-tu passé ?
– par le chemin croisé
– de quoi était-il croisé ?
– du bourdon de St Jacques »


Un siècle plus tard, vers 1763, des Compagnons fréquentent le chemin de Compostelle. Jacques Louis Ménétra, Compagnon vitrier du Devoir, l’affirme dans Journal de ma vie :

« Comme j’étais en argent étant à Toulouse il me prit envie d’aller à Saint-Jacques. Nous partîmes trois de compagnie […] Comme nous étions […] sortis de Saint-Jean-Pied-de-Port […] nous vîmes arriver des compagnons qui en revenaient et qui étaient dans un état minable. Je demande au l’Angevin et au l’Agenais qui étaient mes camarades de voyage dont l’un était ferblantier et l’autre coutelier, de ne pas aller plus loin, et nous retournâmes à Bayonne »

Dans son manuscrit, il ajoute : « Quoi que je fus jamais trop dévot ». Il n’envisage pas le pèlerinage animé d’une grande foi ; goût de l’aventure ?


En 1864, le grand-père de Pierre Calas, un compagnon cordier du Devoir, lui a laissé une chanson datant de son propre tour, vers 1794. Mais quelle est la part due à la mémoire ou à l’imagination de son petit-fils, bien connu comme auteur de « belles histoires » dans la littérature compagnonnique des années 1880 ?
Nous faisions bénir nos couleurs
A Saint-Jacques en Galice […]
Nous changions la canne en bourdon,
Et l’eau bénite en roussillon

Au XIXe siècle, saint Jacques, patron traditionnel des compagnons chapeliers du Devoir, est le patron des chapeliers d’Avignon.

Au musée du compagnonnage de Tours, un vitrail de Me Jacques daté de 1975, est inspiré de la lithographie de Perdiguier et approuvé par R. Lecotté. Il y est ajouté une coquille preuve que l’assimilation est faite.
Pour se tenir au strict point de vue de l’histoire, les recherches actuelles, loin d’être abouties, permettent d’affirmer que, même si quelques-uns ont pu se rendre à Saint-Jacques de Compostelle, ce pèlerinage n’était pas une pratique identitaire des Compagnons du tour de France. Le « leur » (ou devenu tel) était celui de la Sainte-Baume en Provence…


L'accès à l'article de Laurent Bastard, annoncé hier est disponible ici.