Combien de pèlerins à Compostelle ?


Rédigé par le 24 Juillet 2015 modifié le 28 Mars 2016
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Beaucoup d'éloges sur le site de l'éditeur font douter de l'attention apportée au contenu du livre " Mille fois à Compostelle " par ceux qui l'ont présenté dans plusieurs revues. Le nombre de services de Presse reçus par les journalistes ne leur permet sans doute qu’une lecture superficielle. Ce livre fournit un très bon exemple de la nécessité d'être vigilants face à leurs avis. L’éditeur s’est probablement contenté de picorer pour son site des phrases favorables dans des présentations qui comportaient peut-être des réserves. Chacun sait en outre que tout ouvrage, si mauvais soit-il, comporte des idées et informations intéressantes que le spécialiste sait trouver et apprécier.



Des éloges qui nous semblent immérités

Le Monde de la Bible
1 mars 2015 ... livre passionnant... - Eléonore Fournié
Famille Chrétienne
13 juin 2015 ... offre une somme qui fait entrer dans l'état d'esprit - et l'état d'âme, aussi - du pèlerin médiéval... - Luc Adrian
L'Histoire
1 mars 2015 - Elle nous fait suivre ces différentes étapes à l'aide de très nombreux exemples de pèlerins riches et pauvres, qui parcourent parfois des distances immenses...
Pélerin
5 mars 2015 - Un ouvrage fort documenté qui fait revivre le quotidien et l'imaginaire des pèlerins de Saint-Jacques au Moyen-Âge.
Historia
1 juin 2015 - Cet ouvrage fort érudit étudie les traces laissées par le pèlerinage de Saint-Jacques... - Edouard Brasey

Une somme documentée et érudite mais peu scientifique

Un éditeur berné ou peu scrupuleux
C'est bien la caractéristique de cet ouvrage de 450 pages, paru en  novembre 2014. Il comporte de nombreuses notes et citations. Beaucoup sont en latin  ou en langues étrangères mettant en valeur l'érudition de l'auteur mais de peu d'intérêt pour le lecteur non spécialisé.
Elles augmentent le volume de l’ouvrage, en particulier dans les encadrés,  et contribuent à donner cette impression qu’il est une somme.
L'érudition n'empêche pas beaucoup d'approximations, affirmations sans preuves, suppositions infondées ou généralisations abusives qui peuvent donner l’impression d’un nombre important de pèlerins car il est bien difficile d’en trouver mille. Ainsi en est-il du début du paragraphe " Du monde sur le chemin " pages 179 et 180 qui tend à faire croire que tout pèlerin cité par un auteur est pèlerin de Compostelle.
Le ton est donné dès la page 15 … où il est rapporté que « le sépulcre faisait déjà l’objet de la vénération des foules - celeberrima illarum gentium veneratione - … », et écrit qu’il « fut très rapidement considéré comme l’un des trois pèlerinages majeurs de la chrétienté », alors qu'il n'a été défini comme tel qu'au XVe siècle.
L'auteur reprend en outre, sans recul ni critique, tous les écrits espagnols cités et ne distingue pas les pèlerins historiquement attestés des pèlerins littéraires ou légendaires.
 

Le livre qui fera oublier définitivement les millions de pèlerins

Au début des années 2000, il était encore courant d’entendre  parler des « millions de pèlerins médiévaux » se pressant sur  les chemins de Compostelle. Dans son livre Les Routes de Compostelle, paru en 2002 et réédité en 2006, Denise  Péricard-Méa a montré que cette affirmation n'est pas liée à la fréquentation du sanctuaire (pages  92 à 100). De plus en plus de publications ont abandonné  aujourd'hui cette expression « millions de pèlerins ». Mille fois à Compostelle confirme par son titre  la démonstration de 2002. Son objet est de présenter les traces des milliers d’hommes et de femmes qui visitèrent le sanctuaire galicien. Il le fait par une compilation importante - peut-être exhaustive - d'ouvrages antérieurs de chercheurs ou compilateurs étrangers, négligeant les chercheurs français contemporains, y compris René de La Coste-Messelière.

Une ambition éclatée

 L'ambition était de faire vivre le quotidien et l'imaginaire des pèlerins mais une compilation sans âme ne pouvait la satisfaire. Elle peine à décrire le quotidien des pèlerins, éclaté entre les divers sujets analysés.La présentation et le plan choisis étaient peu propices à la découverte de la réalité vécue par les hommes et les femmes qui se sont rendus à Compostelle et à les faire aimer.
Conformément à son titre, l'ouvrage recense des pèlerins. Est-ce pour donner l’impression d’un nombre approchant mille qu’il le fait de façon répétitive ? Le plus étonnant est le sort réservé à William Wey, Ce pèlerin  est cité 21 fois dont 19 mentionnent l’année de son pèlerinage. Pourquoi douter de la capacité de mémorisation des lecteurs au point de le faire sur quatre pages successives : 194, 195, 196 et 197 ?

Indépendamment du sort réservé à la vie des pèlerins, l'ouvrage fourmille de doublons. Il est étonnant que les BELLES LETTRES n’aient pas apporté plus de soin à cette édition et invité l’auteur à faire les corrections indispensables. Sans prétention à l’exhaustivité, en voici des exemples.
La confrérie de Moissac citée sur deux pages en vis à vis (p.386 et 387)..
L‘histoire du « pelletier Giraud » figurant aux pages 110 et 398.
Les « vieilles sur le chemin -vetulis - » présentées pages 118 et 132 en piochant dans deux compilations différentes.
La « main de saint Jacques de l’église de Torcello » dont l’histoire est racontée pages 281 et 379.
La liste des reliques vues par Jehan de Tournai à Toulouse recopiée aux pages 128 et 290. L’homme qui « avait fait le vœu de visitare et peregrinare à Saint-Jacques », dont il est fait mention pages 33, 107 et 256.

Un livre qui sera utile pour les chercheurs

Ce livre s’apparente à l’étude d’Humbert Jacomet présentée à Pistoia en 1994. Malgré l’absence, étonnante, d’une bibliographie sérieuse, il fournit un matériau intéressant pour la poursuite de recherches sur les pèlerins médiévaux. Sans atteindre le millier,  le nombre de pèlerins recensé est intéressant. Sa lecture fastidieuse sera de peu d'intérêt en dehors des études qu'il va permettre.