Saint-Jacques-de-Compostelle évoque le plus souvent l'idée du voyage et du dépaysement, de l'aventure et de l'effort, du pèlerinage et de la recherche de soi. Pour certains il s'agit d'un saint personnage vénéré à Compostelle en Galice, comme saint François à Assise ou sainte Thérèse à Lisieux. Mais non, saint Jacques est Galiléen, pas Galicien et Saint-Jacques-de-Compostelle est bien le nom d'une ville, la capitale de la Galice.
Mais notre touriste ne sait pas, et les experts de l'UNESCO ne savaient pas non plus, que cette décision repose sur deux croyances, héritées du XIXe siècle :
- Tout au long du Moyen Âge, des pèlerins allaient à Compostelle en foules considérables.
- En France, ils ont marché sur quatre routes.
Par contre, c'est une erreur de ces experts de n'avoir pas su distinguer le pèlerinage espagnol du pèlerinage européen. Le dossier français leur présentait une autre difficulté. Il était notoire qu'il n'y avait pas de chemin répondant aux critères d'inscription de l'UNESCO. La demande de la France contournait cette difficulté en présentant à l'appui de sa demande, non pas les chemins mais des monuments supposés significatifs du pèlerinage à Compostelle, tout en demandant l'inscription des chemins. Les experts de l'UNESCO ont accepté ce subterfuge. Ils ont ainsi permis que soit posée l'équation 71 + 7 = 1, réduisant l'ensemble à un seul Bien.
Cette simplification a ensuite été exploitée tant par le ministère français de la Culture que par les organismes intéressés par la promotion du chemin et les instances politiques et administratives concernées. C'est le ministère de la Culture qui a recommandé la formule inscrite dans le marbre : « les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ont été inscrits par l'UNESCO sur la liste du Patrimoine mondial »
Pour intéressantes qu'elles soient, ces questions ne sont pas les plus importantes. Depuis les années 90, la recherche a évolué. Il n'est plus possible de parler de pèlerins innombrables parce que les chercheurs ne les ont trouvés ni dans les archives des hôpitaux ou autres institutions, ni dans aucun document médiéval. Il en est de même des quatre routes qui auraient été empruntées préférentiellement en France.
Alors, en quoi le pèlerinage de Compostelle mérite-t-il encore de figurer au Patrimoine mondial de l'humanité ? Quels monuments, quels chemins en sont les meilleurs symboles ? C'est pour répondre à ces questions-là que nous avons cherché à détailler la genèse de la présentation de ces dossiers à l'UNESCO, à en discuter les arguments et à ouvrir des pistes de réflexion. Notre souci est qu'aucun touriste ne soit plus berné en lisant ces plaques de marbre trompeuses.
Les résultats des travaux sur ces questions ont conduit à la publication d'un livre par les éditions La Louve : Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial.
Cette ville est connue car elle est un sanctuaire d'un pèlerinage très particulier. « Faire Compostelle », c'est s'y rendre à pied et, dans l'imaginaire contemporain, c'est « mettre ses pas dans ceux des pèlerins médiévaux ». Le Moyen Âge fait surgir des images de chevaliers, de belles dames et de châteaux-forts mais aussi de pèlerins. Il est alors un monde de chemins difficiles, de sombres forêts, de brigands et de loups, de gués ou de passeurs farouches mais aussi d'accueil et d'hospitalité, de chapelles et de cloches pour les égarés. C'est ce monde qui vient à l'esprit du touriste lisant sur une plaque de marbre, au hasard de la visite d'un monument célèbre ou moins connu :
« Au titre de la convention internationale pour la protection du patrimoine culturel et naturel, les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ont été inscrits par l'UNESCO sur la liste du Patrimoine Mondial afin qu'ils soient protégés au bénéfice de toute l'humanité ». Et sur la plaque figure en grandes lettres le nom du monument concerné suivi de :
«... et les autres monuments notables inscrits à ce titre étaient des jalons sur les routes qu'empruntèrent au Moyen Âge d'innombrables pèlerins ».
« Au titre de la convention internationale pour la protection du patrimoine culturel et naturel, les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ont été inscrits par l'UNESCO sur la liste du Patrimoine Mondial afin qu'ils soient protégés au bénéfice de toute l'humanité ». Et sur la plaque figure en grandes lettres le nom du monument concerné suivi de :
«... et les autres monuments notables inscrits à ce titre étaient des jalons sur les routes qu'empruntèrent au Moyen Âge d'innombrables pèlerins ».
L'échantillon d'humanité que constitue le banal touriste sachant lire et photographier s'en va donc, réconforté par ces affirmations, qui confirment ce qu'il savait et qui lui sont un « bénéfice ». Il ne se pose pas la moindre question, ni sur ces « innombrables pèlerins » dont il admire secrètement les aventures, ni sur ces « chemins » dont l'existence se voit ainsi matérialisée. L'honnête touriste est donc très heureux d'apprendre que le monument qu'il contemple, outre sa valeur intrinsèque qu'il connaissait ou qu'il découvre, fut un « jalon » sur les chemins menant jusqu'en Galice. Confiant par nature il va, se disant :
« C'est gravé dans le marbre, donc c'est vrai » ;
comme il se dit ailleurs :
« C'est raconté dans un son et lumière, donc c'est vrai ».
Il fait confiance au spécialiste et, en la matière, l'autorité de l'UNESCO est telle que ces affirmations ne peuvent être que l'exacte vérité historique.
« C'est gravé dans le marbre, donc c'est vrai » ;
comme il se dit ailleurs :
« C'est raconté dans un son et lumière, donc c'est vrai ».
Il fait confiance au spécialiste et, en la matière, l'autorité de l'UNESCO est telle que ces affirmations ne peuvent être que l'exacte vérité historique.
De retour chez lui, le touriste qui consulte le site Internet de l'UNESCO retrouve des documents confirmant la même « vérité », exprimée avec toute l'apparence de la rigueur scientifique propre aux experts cités. C'est au cours de la réunion de la 22ème session, tenue à Kyoto du 39 novembre au 5 décembre 1998, que la décision a été prise d'inscrire au Patrimoine mondial un Bien unique, composé de soixante-et-onze monuments historiques notables et sept tronçons du Chemin du Puy, ce bien étant défini par les mots « Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ». La justification est que « d'innombrables et pieux pèlerins venant de toute l'Europe » ont traversé la France pour rejoindre en Espagne un chemin lui-même inscrit au Patrimoine mondial depuis 1993.
Si, en Espagne, un seul chemin avait été honoré de l'inscription, en France les édifices marqués des plaques de l'UNESCO, apposées à la suite de la décision de Kyoto, sont des jalons sur les quatre routes qu'ils [les pèlerins] empruntaient ».
Si, en Espagne, un seul chemin avait été honoré de l'inscription, en France les édifices marqués des plaques de l'UNESCO, apposées à la suite de la décision de Kyoto, sont des jalons sur les quatre routes qu'ils [les pèlerins] empruntaient ».
Mais notre touriste ne sait pas, et les experts de l'UNESCO ne savaient pas non plus, que cette décision repose sur deux croyances, héritées du XIXe siècle :
- Tout au long du Moyen Âge, des pèlerins allaient à Compostelle en foules considérables.
- En France, ils ont marché sur quatre routes.
Il n'appartenait sans doute pas aux experts de l'UNESCO de vérifier les hypothèses sur lesquelles était basée la demande d'inscription présentée par la France. Ils étaient d'autant moins incités à le faire que, cinq ans auparavant, l'Espagne avait fait inscrire son chemin de Compostelle historique, le Camino francés, « paysage linéaire continu allant des cols des Pyrénées à la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle », avec 166 villes ou villages et plus de 1800 bâtiments allant du Xlle au XXe siècle.
La France ne présentant que quelques dizaines de monuments et sept tronçons de chemins était donc bien modeste, tant il apparaissait évident que les pèlerins parvenus sur le chemin espagnol avaient bien dû passer par la France. Par contre, c'est une erreur de ces experts de n'avoir pas su distinguer le pèlerinage espagnol du pèlerinage européen. Le dossier français leur présentait une autre difficulté. Il était notoire qu'il n'y avait pas de chemin répondant aux critères d'inscription de l'UNESCO. La demande de la France contournait cette difficulté en présentant à l'appui de sa demande, non pas les chemins mais des monuments supposés significatifs du pèlerinage à Compostelle, tout en demandant l'inscription des chemins. Les experts de l'UNESCO ont accepté ce subterfuge. Ils ont ainsi permis que soit posée l'équation 71 + 7 = 1, réduisant l'ensemble à un seul Bien.
Cette simplification a ensuite été exploitée tant par le ministère français de la Culture que par les organismes intéressés par la promotion du chemin et les instances politiques et administratives concernées. C'est le ministère de la Culture qui a recommandé la formule inscrite dans le marbre : « les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ont été inscrits par l'UNESCO sur la liste du Patrimoine mondial »
Pour intéressantes qu'elles soient, ces questions ne sont pas les plus importantes. Depuis les années 90, la recherche a évolué. Il n'est plus possible de parler de pèlerins innombrables parce que les chercheurs ne les ont trouvés ni dans les archives des hôpitaux ou autres institutions, ni dans aucun document médiéval. Il en est de même des quatre routes qui auraient été empruntées préférentiellement en France.
Alors, en quoi le pèlerinage de Compostelle mérite-t-il encore de figurer au Patrimoine mondial de l'humanité ? Quels monuments, quels chemins en sont les meilleurs symboles ? C'est pour répondre à ces questions-là que nous avons cherché à détailler la genèse de la présentation de ces dossiers à l'UNESCO, à en discuter les arguments et à ouvrir des pistes de réflexion. Notre souci est qu'aucun touriste ne soit plus berné en lisant ces plaques de marbre trompeuses.
Les résultats des travaux sur ces questions ont conduit à la publication d'un livre par les éditions La Louve : Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial.