A Compostelle, le sceptre et le bourdon, étape 86


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 23 Novembre 2020 modifié le 2 Décembre 2020
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Pèlerin ou touriste, celui qui entre dans la cathédrale de Compostelle est happé par la magnificence du maître-autel ruisselant d’or.
Au-dessus de l'autel, il contemple la plus connue des statues de saint Jacques, celle que les pèlerins viennent vénérer. Puis, ébloui, il détourne son regard sans plus s’attarder aux personnages du groupe situé juste au-dessus, sous le dais, masqué en partie par des lustres monumentaux. Un groupe qui mérite l'attention. Il présente deux personnages rendant hommage à saint Jacques pèlerin qui les domine.
Qui sont ces personnages en si bonne place aux pieds de l'apôtre ?



PÈLERINER RE-CONFINÉS  
Etape n°86
Chers amis
C'est avec une grande tristesse que je vous fais part du décès de Philippe Parou, père de David dont la Fondation porte le nom. Nul doute que saint Jacques l'a accueilli au bout de la Voie lactée, le samedi 14 octobre 2020

 
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Les rois entourant saint Jacques
Ce groupe présente quatre rois d'Espagne dont deux seulement sont visibles depuis la nef. Ces rois aux pieds de saint Jacques résument l'histoire des relations entre Compostelle et la royauté, depuis les origines du sanctuaire. Une histoire racontée par Miguel Taín Guzmán, professeur d'histoire de l'art, titulaire de la chaire du Camino de Santiago, commune à l’Université de Compostelle, au Xacobeo et au Chapitre de la Cathédrale.
Quelle place ce groupe tient-il dans l'ensemble monumental, appelé « baldaquin » qui domine l’autel majeur ?

Les trois saints Jacques de l'autel

Ce baldaquin est une construction montée sur des colonnes soutenant un plafond à caissons (ou « ciel »). Il est constitué de trois scènes superposées.


 
La première, présentée dans l'introduction, est une statue de saint Jacques assis. C'est elle que les pèlerins peuvent aller toucher grâce à un escalier qui permet d'aller lui faire un abrazo.


La seconde, moins haute, atteint le plafond du baldaquin. Objet principal de cette Lettre, elle est représentée en tête du premier paragraphe.

Le Matamore, haut du baldaquin de l'autel
Enfin, au-dessus du plafond et atteignant les voûtes, une troisième scène, ajoutée une vingtaine d’années après les premières, présente saint Jacques Matamore.
 

Ce sont donc trois saints Jacques superposés qui, chacun, ont une fonction.
Au-dessus du tombeau, l’apôtre évangélisateur reçoit l’hommage des pèlerins ;
puis, l’apôtre pèlerin reçoit l’hommage des rois ;
enfin, le Matamore rappelle que c’est grâce à lui (et à l’Ordre de Santiago) que l’Espagne est redevenue chrétienne.

 

Cet ensemble du XVIIe siècle fut conçu dans les années 1657-1658. Le chapitre cathédral a commandé à l'architecte et sculpteur Pedro de la Torre un « groupe de statues qui rappelle aux fidèles, voyageurs et pèlerins, le caractère apostolique du sanctuaire et sa très ancienne fondation royale ».  


Projet du haut du baldaquin

La commande ne fait mention que des deux scènes situées sous le plafond du baldaquin.

Ce dessin du projet original montre que saint Jacques, costumé en pèlerin, était seul au sommet d’un dôme symbolisant une montagne.

Aux quatre points cardinaux, quatre rois l’imploraient et lui rendaient grâce. Dans le projet initial, cette scène des rois était bien plus volumineuse, occupant l’espace jusqu’aux voûtes.
 

Pourquoi ce changement qui eut lieu en 1677 ?
On est réduit aux suppositions, mais la plus vraisemblable est qu’il a été voulu par l’Ordre de Santiago. Il avait perdu son indépendance depuis que les Rois catholiques lui avaient imposé d’être leur Grand Maître. Il tenait à figurer sur l’autel central afin de rappeler le rôle que les chevaliers avaient joué dans la Reconquête.


L’hommage de quatre rois à saint Jacques-pèlerin

Identification des rois entourant saint Jacques pèlerin
La taille plus petite de cette composition et sa visibilité difficile s’expliqueraient par ce changement du plan initial. Au lieu d'être au-dessus du baldaquin, elle a  été ramenée à des proportions moindres afin d’être placée sous le baldaquin.

Là, saint Jacques est entouré des quatre rois, répartis par paires, les deux plus récents devant et les deux plus anciens, derrière. Le problème est que la nouvelle disposition permet de voir seulement les deux rois placés devant. Les deux autres, derrière, ne sont plus visibles.

Qui sont-ils ?  

Tous les quatre sont de grands bienfaiteurs de la cathédrale, nommés dans les textes, mais les statues n'étant pas renseignées, les identifications restent hypothétiques. Seule la statue de Philippe IV est reconnaissable, tant on possède de tableaux de lui.


Par ordre chronologique on trouve, à l’arrière droit Ramire Ier (v. 790-850), à l’arrière gauche Alphonse II (v. 759-842), à l’avant gauche Ferdinand V le Catholique (1452-1516), à l’avant droit Philippe IV (1605-1665)


Ferdinand V Le Catholique

A l’arrière droit Ramire Ier dont on aperçoit juste la tête : il a établi le Voto de Santiago principale source de revenus de la cathédrale. Elle recevait une partie du butin pris aux Maures au fur et à mesure de la Reconquête.

A l’arrière gauche, Alphonse II : il est le constructeur de la première église sur le tombeau de saint Jacques.


A l’avant gauche, Ferdinand V le Catholique : il a conquis le royaume de Grenade. Ce faisant, il l’a soumis au paiement du Voto de Santiago. Une belle somme que les textes nomment Voto de Granada.

A l’avant droit, Philippe IV, mort le 25 juillet 1643, il a renouvelé solennellement de Voto de Santiago. Cette offrande royale de 1000 écus d'or est faite en reconnaissance de l'aide reçue de saint Jacques pour lui et ses ancêtres.

On peut aussi interpréter cette donation comme un remords pour le soutien il avait apporté au projet d’instituer sainte Thérèse patronne de l'Espagne.


Philippe IV

Ils sont tous habillés à la mode du XVIIe siècle. Ils portent une armure en tant que défenseurs du dogme et une cape d’hermine, signe de royauté (à défaut des couronnes qu’ils sont sensés avoir déposées au pied de saint Jacques, mais qui ont pu bêtement se détacher des têtes). Tous tiennent le sceptre royal. 

Quant aux visages, ils ne permettent aucune identification. Et pour cause ! Miguel Tain, grimpé sur une grande échelle a constaté que la tête bien connue de Philippe IV (grâce à un tableau de Vélasquez) a été donnée à Ramire… En effet, les têtes sont démontables et elles n’ont pas manqué de l’être au fil des restaurations. Ainsi, en 1764, le sculpteur Gambino a reçu « 79 ailes, 5 bras, 19 mains et 6 demi-pieds pour une restauration » ! A charge à lui de reconstituer le puzzle.


L’apôtre-pèlerin

Au sommet du baldaquin, l'apôtre Jacques

L’apôtre est vêtu d’un costume de pèlerin. Il est très jeune et élégant, avec un regard assuré et une longue chevelure blonde bouclée. Sa tunique est faite d’un tissu précieux multicolore et sans doute rebrodé. Ses épaules sont protégées par une « pèlerine » de cuir souple. Il est coiffé du traditionnel chapeau aux reflets soyeux. Dans sa main droite, le haut bourdon à la mode dans la statuaire de l’époque, auquel est accrochée la non moins traditionnelle gourde.


ll est debout sur un coussin posé sur un autel drapé d’un lourd tissu et tient de sa main gauche un Livre volumineux appuyé sur sa hanche. Le Codex Calixtinus ?


Les rois sont aussi présents à l’extérieur

Obradoiro, deux rois et saint Jacques pèlerin

Ce modèle iconographique a été ensuite reproduit sur les façades de l’Obradoiro et Azabacherias. Comme sur l’autel, sa présence passe souvent inaperçue aux yeux des pèlerins.

La façade du portail de l’Obradoiro est couronnée d’un saint Jacques en pèlerin et deux rois, sans doute Ferdinand V et Philippe IV. Sceptre en main, ils ont un genou à terre aux pieds de l’apôtre. Les sculpteurs ont été priés d’imiter le groupe du maître-autel. Le plan de 1738 a été réalisé en 1745, en granit. A l'origine, les personnages étaient polychromes et leurs métaux dorés.




Le même modèle est repris en 1766 pour terminer la façade de l'Azabachería, reconstruite après un incendie. A nouveau saint Jacques pèlerin est placé sur un haut piédestal et vénéré par deux rois couronnés portant leurs mains à la poitrine dans un geste de contrition.



Mon attention sur ces représentations méconnues a été appelée par Miguel Taín Guzmán. Un article de lui plus détaillé, en espagnol, peut être consulté à la page suivante

Une traduction en français au fil de la lecture est accessible sur ce site. Sans être très bonne, la présentation de la traduction permet une bonne compréhension du texte.


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